Actualité

Les abus de la Française des Jeux

Comment le monopole génère des abus sur les jeux de tirage et de grattage

Les affaires qui touchent directement les joueurs manifestent des difficultés des monopoles publics à s'inscrire dans une logique de transparence en matière commerciale et à se prêter à un contrôle véritable des autorités de tutelles qui doivent se porter garantes de la sincérité et de la sécurité des jeux. En la matière, la Française des Jeux (FDJ) se révèle plutôt mauvaise joueuse : les abus sur les jeux de tirage et de grattage sont récurrents.

Les abus s'agissant des jeux de tirage

Il y a tout d'abord les erreurs évidentes : la première affaire est celle du Joker Plus dans sa version Internet. Entre juin 2006 et février 2007, le chiffre 9 qui apparaissait dans la moitié des combinaisons gagnantes n'existait pas dans les combinaisons participantes sur Internet. Résultat, un biais invalidant l'ensemble des tirages. La FDJ parle alors d'un « bug » informatique. Il s'agit en réalité d'un vice de conception puisque le mode de tirage excluait le chiffre 9 ! C'est un informaticien alsacien qui découvrit la malfaçon, mais la FDJ a mis du temps à réagir. Saisie du problème en octobre 2006, ce n'est que début 2007 qu'elle se proposera de régler le problème. Entre-temps, les 25.000 joueurs internautes vont devoir être indemnisés de l'ensemble des mises perdantes pendant la période.
Dans cet épisode, la FDJ n'avait sans doute pas testé son système de jeux en ligne. Une erreur grossière qui aurait sans doute été relevée aisément si un contrôle externe avait été mis en place.

Il y a ensuite les atteintes manifestes au principe de canalisation de l'offre de jeux : c'est l'affaire du Rapido [1]. En lançant en 1999 le jeu Rapido pour concurrencer les offres du PMU et des casinos [2], la FDJ propose une loterie instantanée quotidienne sur le modèle des vidéo-loteries américaines : des tirages tous les jours entre 5 heures du matin et 2 heures le lendemain sur la base de 432 tirages/jour. Devant les nombreux dérapages addictifs constatés par le Comité d'encadrement du jeu responsable (COJER) tout juste créé, la FDJ passe la mise maximale de 4.000 à 1.000 € et le niveau individuel des mises par point de vente a été limité à 1.000 € [3]. Sans surprise, le Rapido affiche une baisse de son chiffre d'affaires (qui s'élève tout de même à 1,8 milliard € en 2008).

Depuis, la FDJ s'est engagée à remettre un rapport annuel au COJER présentant un plan d'action pour le jeu responsable dont on appréciera les contradictions manifestes, devant conjuguer « l'obligation de modération de l'activité des jeux et le dynamisme de l'offre ». Consciente du phénomène d'addiction, la FDJ a en outre décidé du lancement du Centre de recherche sur le jeu excessif, organisme doté de 750.000 € en 2008, à rapporter au budget de lancement de son nouveau Loto (15 millions d'€). Les phénomènes addictifs sont donc loin d'être une vraie priorité.

Les abus s'agissant des jeux de grattage

Ceux-ci représentent 3,3 milliards d'€ soit 36% du chiffre d'affaires de la FDJ. Là, les choses se corsent. Robert Riblet, ingénieur de profession, a mis à jour un système qu'il estime frauduleux dans la distribution des jeux de grattage en France. D'après lui [4], le hasard pur et l'égalité entre joueurs n'existeraient pas, il s'agirait d'un hasard programmé encore appelé « hasard prépondérant ». La répartition précise des tickets dans chaque livret de grattage se fait de façon remarquablement constante, comportant environ 1/3 de leur valeur en petits gains avec généralement un lot de valeur intermédiaire en sus. Cette technique, la FDJ dit l'appliquer pour lutter contre le « syndrome de Bergame » qui avait vu de nombreux tickets gagnants se localiser dans la même ville d'Italie. Du coup, il y avait eu un rush des joueurs superstitieux. Plus prosaïquement, cela veut dire que la Française des Jeux était dans la plus parfaite illégalité quant à sa répartition des gains des jeux de grattage et à l'information des consommateurs qui avait gravement été entravée.

Mais ce « hasard prépondérant » permet la combine suivante : des habitués achètent des livrets et grattent les tickets jusqu'au moment où ils trouvent un gain significatif supérieur ou égal à 20 €. Ils savent qu'alors il n'y en a pas d'autres dans le livret et ils rendent les tickets non grattés au buraliste qui les revend à des joueurs innocents. Il se peut également que le commerçant lui-même achète la fin d'une bande lorsque le lot significatif de celle-ci n'est pas encore tombé. Robert Riblet relève d'ailleurs que le public a été habilement tenu à l'écart de cette information, puisque jusqu'en 2006, alors que ni le règlement des jeux de grattage ni le règlement général de la FDJ consultés par les joueurs les plus attentifs n'utilisaient le terme de « hasard prépondérant », celui-ci était néanmoins légalisé par un décret relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loteries. Ce qui le conduisit à poursuivre la FDJ pour « tromperie, publicité mensongère et escroquerie ». À l'appui de ses affirmations, le dépouillement complet de plus de 200 bandes de tickets à gratter de 150 € chacune, pour une somme totale de près de 22 000 €. Il met à nu, avec le témoignage d'un ex-courtier à la FDJ [5], la combine expliquée ci-dessus. La FDJ finit par avouer en audience publique en 2008, alors qu'elle poursuivait M. Riblet pour diffamation : elle admet qu'il n'y avait au mieux qu'un seul gain significatif (supérieur ou égal à 20 €) par livret de jeu de grattage quel qu'il soit entre 1989 et 2006, jamais plus. Entre-temps, le règlement général de la Française des Jeux est modifié et fait apparaître la notion de hasard prépondérant contenu dans le décret.

Cet article date de septembre 2009

Ci-dessous un article plus récent :
L'attractivité du marché des jeux en ligne sera-t-elle suffisante ? (avril 2010)

[1] Le Rapido est un jeu de loterie en ligne dont les tirages s'échelonnent toutes les 3,3 minutes sur une chaîne spécifque de la FDJ diffusée dans les débits de boisson.

[2] Il faut dire que depuis le décret du 5 mai 1987 autorisant les machines à sous dans les casinos, leur chiffre d'affaires a été multiplié par 12 entre 1990 et 2000.

[3] Voir Pons, Noël, Cols blancs et mains sales, économie criminelle, mode d'emploi, Odile Jacob, Paris, 2006, p. 101.

[4] Voir à ce propos son ouvrage cosigné avec Gilles Delbos, 100% des perdants ont tenté leur chance. L'affaire des jeux de grattage, Le Seuil, Paris, 2008, 187 p.

[5] Qui livrera en audience trois listings de 4.370 livrets de 562.000 tickets au total.