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Licenciement des fonctionnaires : les règles, les chiffres... et les exemples étrangers

La question du licenciement des fonctionnaires n'est plus un tabou ? C'est ce qu'affirme le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, en vue de sa réforme de la fonction publique. En ligne de mire, les insuffisances professionnelles des fonctionnaires qui sont aujourd'hui très peu (voire quasiment pas) sanctionnée : en 2022, 13 licenciements dans la fonction publique d'Etat (sur un effectif de 2,5 millions de personnes) avaient été concernés par ce motif. Ainsi, si de nombreuses procédures de licenciement existent dans le Code de la fonction publique, elles ne sont, vraisemblablement, presque jamais utilisées : les taux de licenciement de la fonction publique ne dépassant jamais 0,01% contre 4,15% pour les CDI du secteur privé. 

L’objectif du projet de loi : lutter contre l’insuffisance professionnelle

D’après les documents du pré-projet de loi pour l’efficacité de la fonction publique, cette dernière doit « répondre de manière plus juste et efficace aux situations d’insuffisance professionnelle » et dresse le constat qu’aujourd’hui « le licenciement pour insuffisance professionnelle […] est la seule réponse » à ces situations et qu’il n’existe pas de « gradation de la réponse » permettant une « prise en charge dès les premières manifestations ». Au lancement des concertations avec les syndicats, le ministre de la Transformation et de la Fonction Publique, Stanislas Guérini, est allé encore plus loin en affirmant vouloir lever « le tabou du licenciement dans la fonction publique ». Il déplore une « culture de l’évitement » sur ce sujet et affiche l’objectif de « récompenser les agents qui sont engagés et de sanctionner ceux qui ne font pas suffisamment leur travail ».

Ce qui est en place aujourd’hui 

Le titre V, chapitre 3 « licenciement » du Code général de la fonction publique précise bien qu'un fonctionnaire peut être licencié :

En premier lieu pour abandon de poste[1] : dans ce cas, il faut que l’absence soit « totale et prolongée » et ne peut pas inclure les absences de types retards (même plusieurs heures) ou les absences injustifiées même fréquentes, ces dernières relevant de la faute disciplinaire. Dans le cas d’un abandon de poste avéré, l'administration n'est pas soumise aux formalités obligatoires en cas de procédure disciplinaire (entretien préalable, consultation du conseil de discipline, etc) et le fonctionnaire pas le droit à une indemnité, ni au chômage (ARE). 

En second lieu, un fonctionnaire peut être licencié pour refus de trois postes de réintégration après une période de disponibilité. Cette possibilité est également ouverte dans le cas d’un retour après un congé de maladie ou de longue durée (mais après consultation de la commission administrative paritaire, CAP). Dans ce cas, le fonctionnaire est licencié sans indemnité de licenciement, mais conserve ses droits aux allocations chômage (ARE)[2].

Troisième cas : l’insuffisance professionnelle, comme ciblée par le futur projet de loi. Selon les règles actuelles, l’insuffisance professionnelle ne peut être prononcée qu’après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire, c’est-à-dire un passage devant un conseil de discipline qui est une émanation de la commission administrative paritaire (CAP). Sur ce sujet, la fonction publique territoriale précise plus précisément que « l'absence de respect par [le fonctionnaire] de ses obligations » est bien un motif de licenciement. Le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut recevoir une indemnité de licenciement (sauf si accès à retraite à taux plein ou en cas de faute lourde) et égale à cette formule : [(Traitement indiciaire brut du dernier mois d'activité + Indemnité de résidence + Supplément familial de traitement) x 3 / 4] x Nombre d'années de services valables pour la retraite (dans la limite de 15 ans). 

Le Code général de la fonction publique précise également qu’un fonctionnaire de l’État peut être licencié « en vertu de dispositions législatives de dégagement des cadres prévoyant soit le reclassement des fonctionnaires intéressés », on parle ici de restructuration de services.

Et d’autres motifs s’appliquent également à la fonction publique territoriale, comme uniquement dans le cas d’un fonctionnaire à temps non complet et qui peut être licencié pour inaptitude physique définitive avec impossibilité de reclassement ou pour refus d’une modification de la durée de travail.

La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) précise aussi que les procédures aboutissant à valider une faute disciplinaire peuvent aboutir à des licenciements notamment dans le cas de « violences sexistes et sexuelles, violences, insultes, mauvaise qualité de service, manque de probité »[3].

Également depuis 2018, le Code de la Sécurité intérieure a ouvert la voie via une commission sur la mutation ou la radiation d’un fonctionnaire « exerçant des missions dans le domaine de la sécurité, de la souveraineté et de la défense nationale et dont le comportement est jugé incompatible avec ses fonctions » (comme la radicalisation)[4].

Enfin, on notera que l’indemnité de licenciement d’un fonctionnaire n’est pas soumise à cotisation et est non imposable à l’impôt sur le revenu[5]. Ce n’est pas le cas de l’indemnité de licenciement du privé qui n’est que partiellement exonérée de l’impôt sur le revenu (intégralement dans le cas d’un plan social, d’une procédure non respectée, d’un accident du travail, etc) et n’échappe aux cotisations que sur sa part exonérée. 

La réalité des chiffres en pratique

Il apparait donc qu’il existe de nombreuses procédures de licenciement dans la fonction publique. Mais qui disent les chiffres ? Premier point, il n’existe aucune série de donnée officielle sur le sujet. Voilà ce que l’on sait : 

Pour la fonction publique d’État (FPE) : les chiffres circulant dans la presse annoncent que selon la DGAFP, en 2022, 235 fonctionnaires de la FPE ont été licenciés dont 13 pour insuffisance professionnelle et 222 pour faute disciplinaire. Soit un taux de 0,009% sur un effectif de 2,5 millions d’agents.

Pour la fonction publique territoriale (FPT) : les dernières données sur le sujet sont regroupées dans le synthèse des bilans sociaux 2017 du CNFPT et de la DGCL. Cette année-là, 200 agents ont été licenciés. Soit un taux de 0,013% sur un effectif de 1,5 million d’agents à l’époque.

Pour la fonction publique hospitalière (FPH) : il n’existe pas de donnée. On sait néanmoins d’après le bilan social du personnel non médical des hôpitaux de Paris (APHP), qu’en 2022[6] : 11 agents ont été licenciés. Soit un taux de 0,01%, sur un effectif de 68 930 agents. Un taux particulièrement haut puisque l’année précédence, seulement 2 agents avaient été révoqués. Soulignons que cette statistique n’est pas partagée dans le bilan social du personnel médical[7].

En comparaison, dans le privé. Selon la DARES, en 2022 : 625 740 salariés en CDI ont été licenciés pour des raisons non économiques (et 94 835 pour des raisons économiques)[8]. En écartant les raisons économiques, on trouve un taux de licenciement de 4,15% pour un effectif de 15 millions de CDI[9] actifs en 2021/2022. 

Focus sur les données autour des enseignants.

Le rapport « de l'entrée à la sortie de l'Éducation nationale » édité uniquement en 2020[10], dénombrait, sur un effectif de 680 522 enseignants, 660 licenciements par rapport à l’année précédente… sauf que le rapport précise que ces licenciements concernent surtout des stagiaires, exactement 2,1% d’entre eux.  

On parle ici des enseignants néo-titulaires qui n’ont pas été validés à la suite de leur année de stage : ils sont donc licenciés de la fonction publique, mais rien de permet de dire qu’ils ne deviennent (ou ne redeviennent) pas contractuels à la rentrée suivante. En 2017, il serait donc 558 à avoir été licencié[11], ce qui porte la part d’enseignants titulaires licenciés à environ 101, soit un taux de 0,01% de l’ensemble de l’effectif.

On se souvient qu’en 2015, l’affaire de Villefontaine concernant un directeur d’école déjà condamné pour détention d’images pédopornographiques et toujours en poste avait fait grand bruit. Le ministère avait acté sa radiation et affirmait que l’erreur était dû au fait que « toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont bien été transmises à l'Éducation nationale. Il ne peut, en conséquence, être exclu que des situations identiques à celles de l'Isère et de l'Ille-et-Vilaine se reproduisent». Un an plus tard, Libération[12] faisait le bilan des radiations d’enseignants pour fait de pédophilie et pédopornographie : 27 en 2015, 19 en 2014, 26 en 2013 et 15 en 2012. 

Malgré les options, la fin de l’emploi est très rarement actée

De toute évidence, il existe un fossé très important entre la multiplicité des options de licenciement qui existe dans le Code général de la fonction publique et la réalité des chiffres : le taux de licenciement dans la fonction publique étant quasi nul. 

Il est essentiel que les raisons de ce non-recours au licenciement dans la fonction publique soient étudiées avant la présentation du projet de loi pour l’efficacité de la fonction publique. Un bilan des récents avancements, en 2018 et 2019, sur les radiations pour faute disciplinaire liée aux violences sexistes et sexuelles ainsi que pour fait de radicalisation doit également être établi. 

Pour la Fondation IFRAP, l’une des origines potentielles de ce blocage résulte dans le passage obligatoire de la décision via des comités sociaux constitués de représentants syndicaux qui ont le pouvoir de bloquer les licenciements. Si la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a retiré la compétence des commissions administratives partiaires (CAP) sur les questions de mutations, de mobilités, de promotion et de valorisation (elles dépendent d’un nouvel organe, les comités sociaux qui rendent un avis express, et non pas consultatif, à raison du mécanisme de la revue par les pairs), ces CAP ont vu leurs attributions être recentrées sur les « décisions individuelles délicates » comme les refus de titularisations et… les licenciements. 

Il ne faut pas non plus exclure la possibilité d’une autocensure des managers du public par rapport à ces commissions, mais aussi par rapport à la notion d’insuffisance professionnelle à prouver. Cela expliquerait pourquoi, dans la fonction publique d’État, les licenciements d’agents pour faute disciplinaire sont beaucoup plus nombreux (222 contre 13 en 2022). En effet, lorsqu'il n'existe pas d'école d'application, le recrutement par concours généraliste ne permet pas de s'assurer des compétences de l'agent sur son poste même après la période de stage (surtout s'il en change). Cette absence de préparation aux métiers est particulièrement flagrante pour les enseignants dont la titularisation est entièrement dépendante de la validation d'un concours composée d'épreuves écrites et orales. Ainsi, dans le cas du concours des professeurs des écoles, moins de 23 % des lauréats n’ont pas suivi de formation spécifique pour devenir professeurs.

Par définition, dans une fonction publique généraliste, dite de carrière, les agents ne sont spécialistes en rien et doivent suivre des cycles de professionnalisation important une fois titularisé. Et s'il y a une insuffisance de formation continue en interne (ou externe) sur le poste, un licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas justifiable. A l'inverse, le recrutement par contrat dans une fonction publique, dite d'emploi, doit permettre d'avoir, de un, des personnes compétentes sur des postes précis et de deux, de pouvoir les évaluer sur des compétences et des objectifs concrets. 

Des solutions de réformes existent notamment lorsqu’on regarde chez nos voisins européens où l’idée d’une propriété des agents sur leur emploi est inexistante. Ainsi, la part de contractuels dans la fonction publique en Suède est de 98%, de 78% au Danemark ou de 85% en Italie… contre 21% en France.

  • On peut s’inspirer de la Belgique :

En Belgique, la procédure de licenciement est plus simple pour le secteur public que dans le privé. Ainsi, un fonctionnaire belge peut être licencié, d'office et sans préavis, pour raisons disciplinaires et pour inaptitude professionnelle. Les agents passent des « périodes d’évaluation » très régulièrement et dans le cas de l’obtention de 2 mentions « insuffisante » en 3 ans, la procédure de licenciement peut être engagée. Notons que la première mention « insuffisant » peut bloquer une promotion. Cette procédure concerne aussi bien le personnel contractuel que le personnel statutaire. Dans le cas d’un fonctionnaire statutaire, il recevra une indemnité de départ en fonction de son ancienneté. 

  • On peut s’inspirer du Royaume-Uni :

Côté britannique, le Civil Service Code explique bien qu'un agent dont le travail ou le comportement est insatisfaisant ou en cas d'une faute prouvée, peut être sanctionné jusqu'au licenciement. En 2023, sur un effectif de 519 780 agents, 2 365 avaient été licencié : soit un taux de 0,4%. La quasi-totalité des agents sont liés à leur employeur public par un contrat à durée indéterminée et l’avancement (par ancienneté, prise de responsabilité, promotions, etc) ne se fait que sur 7 grades qui peuvent renforcer la protection autour de l’emploi. 

  • On peut s’inspirer de la Norvège :

Le pays a réformé en 2017[13] sa politique de licenciement des fonctionnaires pour l’aligner sur celle du secteur privé et pour faire de la structure publique employeuse, le responsable central sur ces questions. Elle a ainsi introduit des périodes de préavis longues afin de donner le temps aux fonctionnaires de retrouver un emploi : 1 mois avant un an d’ancienneté, 3 mois pour plus d’un an d’ancienneté, 6 mois après plus de deux ans dans le cas d’un licenciement (1 mois pendant la première année, 3 mois après dans le cas d’une démission). 

La réforme visait à faciliter les licenciements pour plusieurs cas : la nécessité de réaliser des économies pour l’organisation publique, la restructuration du service et le besoin de relocalisation du service. Pour ces situations, l’existence d’un emploi à pourvoir équivalent à celui du fonctionnaire dans le service ne peut plus stopper son licenciement. Néanmoins, un fonctionnaire, permanent ou temporaire, avec plus d’un an d’ancienneté, conserve un droit de recrutement prioritaire sur les emplois publics équivalents. 

En plus, la réforme a renforcé la possibilité de licenciement pour « dissonance entre les qualifications du fonctionnaire et les besoins du poste », « performance insatisfaisante et persistante du fonctionnaire » et « incapacité répétée à exercer ses devoirs ». Pour ce dernier point, 3 incapacités doivent avoir été validées par une procédure disciplinaire avant d’envisager le licenciement. 


[1] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34919/0_0_3?idFicheParent=F514#0_0_3

[2] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34919/0_0_0?idFicheParent=F514#0_0_0

[3] Voir le rapport.

[4] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/282059.pdf

[5] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34919/0_0_2?idFicheParent=F514#0_0_2

[6] https://cme.aphp.fr/sites/default/files/CMEDoc/cme21novembre2023_bilansocial_pnm.pdf

[7] https://cme.aphp.fr/sites/default/files/CMEDoc/cme21novembre2023_bilansocial_pm.pdf

[8] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-licenciements

[9] Calcul IFRAP sur la base, en 2022, d’un emploi total de 26,8 millions personnes dont 72,7% de salariés à durée indéterminée (Insee) comprenant les personnes en CDI… et les fonctionnaires qui représentaient un effectif de 4,4 millions de titulaires de la fonction publique au 31 décembre 2021 (DGAFP). 

[10] https://hal.science/hal-03097648

[11] Sur la base d’un volume de recrutement en 2017-2018 de 26 601 postes/néo-titulaires. Voir ici pour la réponse du ministère du 5 décembre 2019. 

[12] https://www.liberation.fr/france/2016/03/16/pedophilie-qu-a-fait-l-education-nationale-depuis-l-affaire-de-villefontaine_1439981/

[13] https://www.tekna.no/en/salary-and-negotiations/employment-law/dismissal-in-the-public-sector/