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La fonction publique compte encore (beaucoup) trop de corps

Depuis 2005 la réduction des corps de carrière des administrations et des opérateurs de l’Etat est assez spectaculaire. Elle passe de près de 700 en 2005 à une cible de 270 dès 2023 soit une réduction en 18 ans de près de 61%. Indubitablement sur les 3 derniers quinquennats c’est sous celui de Nicolas Sarkozy que l’on a le plus réduit le nombre de corps, soit entre 2008 et 2012 une réduction de 15,5%, les corps actifs passant de 387 à 327. Sous François Hollande le nombre de corps baisse de 10, mais de 28 si l’on inclut le différentiel par rapport à 2012. Lors du 1er quinquennat d’Emmanuel Macron le nombre de corps baisse de 19 unités entre 2018 et 2022, notamment à cause de la réforme du déroulement des carrières PPCR (pour « parcours professionnels, carrières et rémunérations) lancée par François Hollande en 2016 et confirmée ensuite par la nouvelle équipe gouvernementale à l’occasion du rendez-vous salarial du 16 octobre 2017, mais aussi à cause de la réforme de la haute fonction publique et de l’ENA qui voit la création de l’INSP (Institut national du service public) et la création d’un corps unique d’administrateurs civiles, le Corps des administrateurs de l’Etat. Ainsi entre 2021 et 2023, le nombre de corps devrait baisser encore d’environ 14 unités dont -10 sur la 1ère année du nouveau quinquennat. Les perspectives de baisses supplémentaires semblent au-delà cependant aujourd’hui assez ténues…Pourtant, la réduction des corps devrait se poursuivre et lui substituer à terme comme dans la fonction publique territoriale une logique par filière (8 filières contre 270 corps). Cela permettrait de tenir compte de la montée en puissance du contrat dans la fonction publique (logique duale) et d'améliorer la mobilité de carrière entre ses différents versants. A terme, les trois fonctions publiques pourraient se répartir en une vingtaine de filières différentes. 

Une baisse de 61% des corps administratifs de l’Etat entre 2005 et 2023

Entre 2005 et 2023 les corps administratifs de l’Etat sont passés de 700 à 270, soit une baisse de 61%. La majorité de la baisse se réalisant avant la présidence de Nicolas Sarkozy. En effet entre 2005 et 2007 de 44,7% (-230 corps). Cette réduction étant principalement obtenue grâce à une rationalisation du nombre des opérateurs et des vagues de décentralisation, mais aussi à la suite de la signature du protocole d’accord du 25 janvier 2006[1] relatif à l’amélioration des carrières et l’évolution de l’action sociale dans la fonction publique[2], dont le relevé de conclusion acte « les regroupements et fusions de corps, facilitant la mobilité fonctionnelle et élargissant les possibilités de gestion individuelle des carrières. »

A compter de Nicolas Sarkozy ces éléments continuent à jouer (dont la baisse des opérateurs de 798 en 2007 à 560, soit -30%) et poursuite de l’article III de la décentralisation (16 décembre 2010, 27 janvier 2014 et 7 août 2015)). Cette dynamique n’est pas sans incidence sur la baisse de 15% supplémentaire du nombre d’opérateurs entre 2008 et 2012 (passage de 387 à 327 corps) et même de -143 corps si l’on intègre les réformes en cours à compter de 2007.

Sous François Hollande, les fusions/suppressions se poursuivent, soit -10 intervenues entre 2013 et 2017 et même -28 entre 2012 et 2017, soit une baisse additionnelle comprise suivant l’année de référence entre -3,2 et -8,5%. Cependant, comme le note le PAP relatif à la Fonction publique annexé au PLF 2013, les objectifs étaient bien plus ambitieux[3] avec une cible de 230 corps vivant en 2015 puis 2016… il ne le sera en définitive jamais (puisque la cible actuelle pour 2024 est fixée à 270 corps).

Le mouvement se poursuit ensuite sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, profitant là encore de la longue traine de fusion des opérateurs de l’Etat, dans la foulée de CAP 2022[4]. Ainsi entre 2018 et 2022 les opérateurs baissent de 486 à 438 entités (soit -10%, -48 unités) et même de 11% par rapport à 2017 (baisse de 492 entités à 438 entités). Les corps baissent sur la période de 19 entités dont 4 entre 2021 et 2022 à cause de la réforme de la haute fonction publique.

La relance du processus de fusion à compter de 2021​

En 2021, la fusion des corps des maîtres de conférences des universités – praticiens hospitaliers (MCU-PH) et des professeurs des universités – praticiens hospitaliers (PU-PH) intervient dans le cadre d’une harmonisation des déroulements de carrière entre personnels relevant des disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques. La création d’un corps unique MCU-PH et PU-PH pour ces disciplines permet la suppression de 4 corps sur les 6 actuels. Le nombre des corps de fonctionnaires relevant de l’Etat ou de ses établissements publics est ainsi porté à 284.

Cependant la réforme de la haute fonction publique lancée au printemps 2021 entraîne des mises en extinction des corps ou des fusions. La création au 1er janvier 2022 du corps à vocation interministérielle des administrateurs de l’Etat intègre d’ores et déjà les corps des administrateurs civils et des conseillers économiques. 13 autres corps sont placés en voie d’extinction dans le cadre de cette réforme. C’est la raison pour laquelle la cible 2023 s’établit à la baisse par rapport au nombre de corps recensés en 2022.

Cependant les gains issus de ces réformes devraient rapidement se tarir : « Au-delà de cette réforme, seules les réorganisations de services, les restructurations d’établissements public et d’éventuelles suppressions de corps ministériels aux effectifs réduits fournissent aujourd’hui, de façon résiduelle, des occasions de procéder à des simplifications et rationalisations statutaires. » relève le PAP Fonction publique annexé au PLF 2023. Il est donc nécessaire pour relancer le processus de poursuivre la rationalisation des établissements publics nationaux et de poursuivre des réformes de structure.

Incidence de la réforme de la haute fonction publique sur le nombre de corps

La réforme de l’encadrement supérieur de l’Etat a été conduite parallèlement à la réforme de l’ENA devenue INSP à travers l’ordonnance du 2 juin 2021[5] et divers textes réglementaires d’application. Ainsi, si l’ordonnance du 2 juin 2021 précisée par le décret n°2021-1556 crée l’INSP et ajoute à sa mission de formation initiale des cadres supérieurs de l’Etat des compétences additionnelles multiples[6], le décret 2021-1550 du 1er décembre 2021 crée un corps des administrateurs de l’Etat à vocation interministérielle rassemblant la plupart des corps de débouchés existants hors corps ayant des hautes fonctions juridictionnelles (Cour des comptes et Conseil d’Etat, les second n’ayant pas le statut de magistrats[7]) et à l’exclusion des lauréat issus des grands corps techniques de l’Etat[8] (Polytechnique etc.). Ainsi ce décret organise l’intégration des corps des administrateurs civils et des conseillers économiques dans le corps des administrateurs de l’Etat à compter du 1er janvier 2022, puis place en extinction à compter du 1er janvier 2023 d’autres corps, soit une quinzaine en deux ans, dont corps diplomatiques ou de la préfectorale[9] et les corps d’inspection générales (en tout environ 6.000 personnes relevant de l’encadrement supérieur de l’Etat[10]).

Pour les membres de ces corps mis en extinction à compter du 1er janvier 2023, il prévoit notamment l'exercice d'un droit d'option pour intégrer le nouveau corps des administrateurs de l'Etat ouvert jusqu'au 31 décembre 2023. Les agents concernés y ont tout intérêt dans la mesure où « la rémunération sera plus attractive grâce à un alignement des niveaux indiciaires et des plafonds indemnitaires sur les plus élevés dans les corps existants. » La fusion s’effectuera ainsi « par le haut », avec des conséquences budgétaires inévitables qu’il est encore prématuré de chiffrer. Désormais, « une nouvelle grille indiciaire (…) commune au corps des administrateurs de l’Etat et aux emplois fonctionnels supérieurs (préfets, ambassadeurs, inspecteurs généraux) » est mise en place. Les discussions sur la mise en place d’une grille indiciaire unique devraient avoir lieu en 2023 après les élections professionnelles du 8 décembre 2022 et les négociations salariales de début d’année. Durant la phase d’extinctions, les grands corps restent « fonctionnels » mais uniquement pour les membres qui n’optent pas pour un rattachement au corps unique nonobstant les avantages proposés et la conservation de leur déroulé de carrière.[11]


[1] Voir jaune budgétaire Opérateurs de l’Etat de 2008 p.227 https://www.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2008/pap/pdf/PAP2008_BG_Gestion_finances_publiques_et_ressources_humaines.pdf#page=227

[2] https://www.fonction-publique.gouv.fr/fonction-publique/modernisation-fonction-publique-37

[3]https://www.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2013/pap/pdf/PAP2013_BG_Gestion_fnances_publiques_ressources_humaines.pdf#page=259

[4] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/budget-2021-agences-de-letat-en-est-ou

[5] Mais aussi la création de la DIESE (délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat) par le décret n°2021-1775 du 24 décembre 2021, permettant d’assurer le suivi et l’accompagnement personnalisé des cadres supérieurs de l’Etat. Cette direction prend la suite de la mission cadres dirigeants qui avait été lancée en 2012 dans la lignée de la circulaire du 10 février 2010, voir https://www.gouvernement.fr/mission-cadres-dirigeants/documents-de-reference et https://www.aefinfo.fr/depeche/552803-recrutement-des-cadres-dirigeants-de-l-etat-le-gouvernement-souhaite-rendre-plus-operationnel-et-selectif-son-vivier. Par ailleurs des lignes directrices de gestion interministérielles ont été mises en place par le décret n°2022-441 du 25 avril 2022.

[6] Le tronc commun proposé aux écoles de service public formant les cadres supérieurs des trois versants de la fonction publique ainsi qu’une participation à leur formation continue.

[7] Etant entendu que la particularité des fonctionnaires relevant du Conseil d’Etat est qu’ils n’ont pas le statut de magistrats contrairement aux juges administratifs des TA/CAA pourtant concernés par la réforme « Sauvadet » de la loi du 12 mars 2012. Pour autant même les magistrats administratifs n’ont pas de reconnaissance de niveau organique contrairement aux magistrats financiers des chambres régionales et territoriales des comptes (les magistrats de la Cour des comptes n’ayant pas non plus cette reconnaissance organique, mais ont toutefois le statut de magistrat).

[8] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-polytechniciens-echappent-a-la-reforme-de-la-haute-fonction-publique-1882197

[9] les corps des sous-préfets, des préfets, des conseillers des affaires étrangères, des ministres plénipotentiaires, de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale de l'administration au ministère de l'intérieur, de l'inspection générale de l'agriculture, de l'inspection générale des affaires culturelles, des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, du contrôle général économique et financier, des administrateurs des finances publiques, des administrateurs du Conseil économique, social et environnemental, de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche.

[10] https://www.vie-publique.fr/en-bref/287436-haute-fonction-publique-la-reforme-se-concretise

[11] https://www.transformation.gouv.fr/reforme-de-l-encadrement-superieur-de-l-etat/je-suis