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Faits et chiffres pour décrypter la grève des enseignants

D'où vient le malaise enseignant ? Une journée de grève nationale -public et privé réunis- a mobilisé (selon le ministère) 29% de grévistes dans le primaire et 22% dans le second degré public. Dans la ligne de mire des enseignants frondeurs : suppressions de postes, fermetures de classes et propositions de réforme du statut des professeurs. Décryptage en chiffres pour y voir clair dans un débat passionnel.

Nombre d'élèves par classe, public et privé confondus :
Nombre d'élèves par classe en :19802010
Maternelle 30,1 25,8
Élémentaire 23,9 22,7
Collège 27,1 24,0
Lycée 27,1 26,0
Source RERS 2001 et 2011

Donc, si l'on regarde l'évolution de ces chiffres, on voit bien que les enseignants d'hier avaient des classes plus chargées que les enseignants d'aujourd'hui. Étonnamment, au moment même où l'on évoque le trop grand nombre d'élèves par classe, certains parents d'élèves se battent pour faire entrer dans les écoles privées sous contrat leurs enfants dans des classes de plus de 30 élèves… Et d'autres se rappellent que dans les années 1950 les classes dépassaient les 40 élèves.

Fermetures de classes

Les enseignants et certains parents protestent contre les fermetures de classes… mais on les entend moins quand ce sont au contraire de nouvelles classes qui s'ouvrent. Pour la première fois cette année, le nombre de fermetures de classes serait supérieur au nombre d'ouvertures. Ce n'était pas le cas les années précédentes et ne sera pas le cas l'an prochain en 2012, a promis Nicolas Sarkozy, mais il est difficile d'avoir les vrais chiffres, car le Ministère n'a rien rendu public...

Voici ce qui est sûr (statistiques RERS du Ministère de l'Éducation) :

En 2007, la France comptait -premier et second degré confondus- 505.712 classes, en 2010, la France compte 506.154 classes, soit 442 classes de plus.

282.034 classes dans le premier degré en 2007 contre 282.438 en 2010 (404 classes de plus) 223.678 classes dans le second degré en 2007 contre 223.716 en 2010 (38 classes de plus)

404 classes de plus dans le premier degré pour 19.163 élèves en plus entre 2007 et 2010 38 classes de plus dans le second degré pour 18.200 élèves de moins entre 2007 et 2010.

Nombre d'élèves total : 12.016.516 en 2007 et 12.017.479 en 2010, soit un écart de 963 élèves pour 442 classes ouvertes en net entre 2007 et 2011.

Il est clair ainsi que l'on ne supprime pas des classes à tour de bras comme cela a été évoqué à tort. Dans le tableau ci-dessous, on peut constater que, selon les départements, la situation est très différente.

Quelques exemples locaux en septembre 2011 :
DépartementOuverturesFermeturesSolde
Haute-Garonne 28 23 positif 5
Bouches-du-Rhône 37 (surtout en maternelle) 8 (en élémentaire et collège) positif 29
Seine-Maritime 27 110 négatif -83
Eure 34 39 négatif -5
Morbihan (primaire public, par postes enseignant) 20 12,5 positif 7,5
Alpes-Maritimes 8 1 positif 7
Yvelines (premier degré) 20 1 positif 19
Source : recoupement d'informations locales

La solution des regroupements d'écoles ?

En 2010, il reste en France métropolitaine [1], (public et privé confondus) 4.970 écoles primaires d'une seule classe (dont 4.824 dans le public). Nous avons, selon les chiffres de l'Institut Thomas More, 2,3 fois plus d'établissements de premier degré que l'Allemagne pour seulement 24% d'élèves en plus. C'est le résultat de la France des 36.000 communes qui veulent chacune garder leur école même en dépit du bon sens, de l'efficience et parfois de la qualité de l'enseignement. Il faudra à terme regrouper beaucoup plus d'écoles.

Dans l'Académie d'Amiens en 2009 par exemple, 13 écoles (presque une école par commune) ont été regroupées en 3 écoles dans la communauté de communes du Haut-Clocher avec un inconvénient : un coût de 10 millions d'euros d'investissements, et l'organisation des transports scolaires, mais avec à terme des économies d'échelle et de bien meilleurs équipements pour les jeunes élèves. Responsabiliser plus les communes dans la gestion des écoles primaires et dans le coût de l'enseignement par élève serait sûrement gagnant.

Remplacement des professeurs absents

Un des problèmes majeurs aujourd'hui, surtout dans l'enseignement public, est le système de remplacement, qui est à la fois inefficace et très coûteux. Inefficace car le système public de remplaçants permanents fonctionnaires (titulaires sur zone de remplacement ou TZR) assure un moindre taux de remplacement que le système privé qui fait davantage appel aux contractuels. Très coûteux parce que le public emploie un très (trop ?) grand nombre de remplaçants (plus de 26.000 dans le premier degré soit 8% des effectifs et plus de 21.000 dans le second degré public soit 6% des effectifs).

Malgré ce grand nombre de remplaçants, il y a des soucis sur le terrain pour remplacer les professeurs absents sur la courte et moyenne durée. Cela pose la question du taux d'absentéisme des professeurs. Mais aussi, en terme de solution, le refus par les enseignants de la bivalence des professeurs (possibilité d'enseigner deux matières ou plus).

En effet, il y aurait moyen de faire assurer les remplacements de courte et moyenne durée par les collègues de l'établissement, mais à plusieurs conditions (qui sont réunies en Allemagne où le système de remplacement de courte durée est très efficace) :

Que les professeurs soient au moins bivalents et que des heures de remplacement soient intégrées dans leur emploi du temps. Mais avec le statut actuel cela semble difficile (à moins d'une réforme en profondeur) car les concours sont pour la plupart monovalents, bien que certains concours aient désormais aussi une majeure et une mineure (par exemple en allemand du fait de la raréfaction des postes, on propose un CAPES d'allemand avec une mineure en lettres modernes). On pourrait rendre tous les futurs enseignants bivalents. Pour les professeurs déjà en poste, on pourrait accepter la bivalence sur la base du volontariat et des compétences.

Il suffirait d'un trait de plume du ministre pour décider que les professeurs de langue, qui ont tous des épreuves de littérature et d'histoire, soient considérés comme trivalents à l'issue de leur concours. Pendant des années, les Professeurs d'Enseignement Général des Collèges, qui étaient en fait des instituteurs, enseignaient deux ou trois matières en collège alors qu'aujourd'hui, certifiés et agrégés ne peuvent en enseigner qu'une au lycée.

Plus d'autonomie aux lycées et de pouvoir aux proviseurs pour mettre en place des dispositifs nouveaux avec les professeurs volontaires permettrait aussi de résoudre bien des problèmes. Mais les Inspections d'Académie, les rectorats, les Inspecteurs généraux et régionaux semblent être de gros freins à toute évolution et s'arcboutent sur la monovalence des professeurs pour des raisons obscures. En clair : des professeurs qui ont les compétences et qui voudraient enseigner plus, ne le peuvent pas pour des raisons purement administratives.

Conclusion :

Depuis 2007, il y a eu plus d'ouvertures de classes que de fermetures. En 2010, les élèves sont moins nombreux par classe qu'en 1980. Nous avons dans le second degré public près de 40.000 professeurs qui n'enseignent pas devant les élèves, et 8% des enseignants du primaire sont affectés au remplacement. Il apparaît donc très clairement que la France ne manque pas de classes… ni d'enseignants. Les professeurs ont avant tout manifesté hier –pour ceux du public– pour défendre leur statut et leur nombre réduit d'heures de travail par semaine (entre 15 et 18 heures de cours devant élèves dans le second degré).

Pour les professeurs du privé sous contrat, c'est un peu différent, il y a de plus en plus de demandes d'inscriptions (contrairement au public) d'élèves -40.000 en attente- et pourtant, on ferme des classes et certaines atteignent plus de 40 élèves par classes [2]. Pourquoi ne pas prendre en compte le fait que les parents sont nombreux à préférer le privé qui, pour moins cher, délivre un meilleur enseignement ? Pourquoi vouloir à tout prix restreindre l'offre privée à 20% seulement de l'offre publique ?

Au final, on constate une fois encore que la gestion centralisée de l'Éducation nous joue des tours. Même si on pourrait faire aussi bien avec moins de moyens, l'impression de pénurie organisée demeure alors que des solutions simples existent. Encore faudrait-il avoir le courage de voir le problème en face et d'établir -par exemple-, le vrai chiffre de l'absentéisme des professeurs.

[1] Selon les chiffres de la DEPP.

[2] Source : RERS 2011