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Non l’indexation du barème de l’IR en 2024 n'équivaut pas à un cadeau de 6 milliards aux contribuables

Bruno Le Maire ministre de l’Economie et des finances est intervenu publiquement pour affirmer qu’une revalorisation de 4,8% du barème de l’IR pour 2024, serait appliquée et que celle-ci éviterait que 320.000 salariés ne basculent dans l’impôt sur le revenu. Un « geste » du gouvernement dont le coût total est estimé à 6 milliards d’euros de minoration de l’impôt sur le revenu. Le « cadeau » est inexistant du fait de la sous indexation du barème de l'IR par rapport à l'inflation entre 2019 et 2023, car les contribuables ont payé 6 milliards d'impôts en trop sur la période. Et même en faisant ce calcul entre 2019 et 2024, il reste encore un "trop payé" par les contribuables que l'on peut estimer entre 2,8 et 3,4 milliards d'euros. 

Un impôt revalorisé de l’inflation de l’année passée estimée en septembre n-1 sans régularisation

Nous avons déjà eu l’occasion de traiter de cette question l’année dernière dans une note dédiée. Nous choisissons cette année d’approfondir la réflexion en actualisant les chiffres dont nous disposons. 

Actuellement, et malgré la mise en place du PAS (prélèvement à la source), c’est l’IPC estimé en septembre n-1 qui détermine la revalorisation des tranches du barème de l’impôt sur le revenu.

Année de l'IPC retenu

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

IPC retenu

1,50%

0%

0%

0,80%

0,80%

0,50%

0,10%

1,00%

1,60%

1,00%

0,20%

1,40%

5,40%

4,80%

IPCH définitif INSEE 

1,50%

2,10%

2,00%

0,90%

0,50%

0,00%

0,20%

1,00%

1,80%

1,10%

0,50%

1,60%

5,20%

 

Ecart

0,00%

-2,10%

-2,00%

-0,10%

0,30%

0,50%

-0,10%

0,00%

-0,20%

-0,10%

-0,30%

-0,20%

0,20%

 

Source ; Assemblée nationale, PLF 2023 tome 2, p.25[1] actualisé et Fondation iFRAP septembre 2023.

On constate sur longue période (13 ans (hors 2023)) que les écarts entre l’IPC retenu (qui est estimatif) et l’IPC révisé par l’INSEE (définitif), les variations sont conséquences et 8 fois sur 13 en défaveur du contribuable. La somme des écarts sur la période donne -4,1 points (soit des revalorisations insuffisantes en défaveur des contribuables). Ce premier constat milite pour que l’inflation prise en compte et estimée de façon provisoire pour l’année n-1 soit régularisée à minima l’année n+1

Année de l'IPC retenu

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

IPC retenu

1,50%

0%

0%

0,80%

0,80%

0,50%

0,10%

1,00%

1,60%

1,00%

0,20%

1,40%

5,40%

4,80%

Année d'indexation du barème

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Coût/gain de la mesure (pertes en négatif, gain en positif)

-1 100

1 600

1 550

-700

-485

-100

-100

-1 100

-1 176

-1 100

-230

-1 500

-6200

-6000

Millésimes des revenus imposés

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Source ; Assemblée nationale, PLF 2023 tome 2, p.25 et présentation Fondation iFRAP septembre 2023 Note de lecture : l’année 2023, la prise en compte de l’inflation 2022 estimée en septembre pour l’indexation du barème à l’IR 2023, a constitué un coût pour l’Etat de -6,2 milliards d’euros (et symétriquement un gain pour les contribuables d’un même montant). 

La chronique des revalorisations successives actuelles montre que les coûts d’indexation pour le budget de l’Etat sont croissants à compter de 2022. Les contribuables bénéficiant avec une année de retard du bénéfice de la prise en compte de l’inflation intervenue l’année précédente. 

Si des régularisations étaient intervenues en n+1 les gains pour les contribuables (ou les coûts inversement) auraient présentés les aspects suivants[2], soit une perte totale sur la période 2010-2024 de 392 millions d’euros.

Millésime des revenus imposés

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Année d'imposition des revenus

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Coût/gain si l'on régularisait les écarts en n+1

-1 100

1 600

1 550

-700

-572,5

81,9

100,0

-1200,0

-1176,0

-1247,0

-340,0

-1845,0

-6414,3

-5770,4

Ecarts liés aux régularisations

0

0

0

0

-88

182

200

-100

0

-147

-110

-345

-214

230

Source ; Assemblée nationale et calculs iFRAP septembre 2023.

Une prise en compte de l’inflation de l’année n-1 malgré le passage au PAS

L’année de transition au PAS – 2019 – les revenus 2019 ont été assujettis au barème réévalué de l’année 2018, tandis que les revenus 2018 ont fait l’objet du CIMR (crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement). Ce faisant, les revenus 2019 imposés auraient dû en réalité bénéficier de l’effet cumulé des inflations 2018 et 2019, soit non pas de la seule année 2018, soit 2,6% au lieu de 1,6%. Cet effet est tout sauf neutre car l’année de transition cela a représenté une perte de 735 millions d’euros pur les contribuables et des pertes importantes également en 2021 et 2022 estimées respectivement à 1,1 milliard d’euros et à -4,6 milliards d’euros.

Année d'imposition des revenus

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Situation actuelle

-1 100

1 600

1 550

-700

-485

-100

-100

-1 100

-1 176

-1 100

-230

-1 500

-6200

-6000

Situation avec prise en compte du PAS

-1 100

1 600

1 550

-700

-485

-100

-100

-1 100

-1 911

-340

-1 845

-6 414

-5 770

-3375

Avec les écarts de taux imputés en n+1

-1 100

1 600

1 550

-700

-485

-100

-100

-1 100

-1 911

-561

-1 335

-6 151

-6 008

-3 375

Ecarts entre une situation véritablement contemporaine et la situation actuelle

 

 

 

 

 

 

 

 

-735

540

-1 105

-4 651

192

2 625

SI la contemporanéisation et régularisation s'effectuaient sur le même exercice

 

 

 

 

 

 

 

 

-2 132

-51

-1 071

-6 388

-6 008

-3 375

 Source ; Assemblée nationale et calculs iFRAP septembre 2023.

En "oubliant" une année d'inflation lors du basculement au PAS, puis en poursuivant la révision du barème de l'inflation n-1 au motif que l'acompte contemporain prélevé au PAS est "non libératoire", entre 2019 et 2023 les français ont été prélevés de +6 milliards d'euros. +5,7 milliards si on incluait par ailleurs une clause de rattrapage en cas de réévaluation du niveau d'inflation n en n+1, soit l'équivalent des 6 milliards restitués aujourd'hui par le Gouvernement pour 2024. Au total le trop perçu entre 2019 et 2024 pourraient représenter entre 2,8 et 3,4 milliards d’impôts en moins pour les contribuables (prise en compte de l’inflation 2018 et 2019 l’année de basculement au PAS, puis prise en compte de l’inflation de l’année ensuite, régularisations en fin de l’année « n » ou en « n+1 » etc). 

Une réévaluation du barème qui ne vaut pas s’agissant de la CEHR

Autre loup, si le Gouvernement parle aujourd’hui d’une revalorisation de l’IR, il ne pipe mot de l’entrée dans la CEHR[3], la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus[4] : soit >250.000 euros pour un célibataire et >500.000 euros pour un couple, dont la fraction au-dessus est imposée à 3% puis à 4% pour les célibataires (>500.000) et 1 million d’euros (pour 1 couple). Malgré son caractère « provisoire » en LFI 2012, cette taxe exceptionnelle perdure. Et son assiette est plus large que celle de l’IR puisqu’elle intègre l’ensemble des plus-values et revenus soumis à titre optionnel au PFU[5]. Et le plus grand silence domine quant à son rendement réel, qui ne figure même pas dans le rapport sur les voies et moyens tome 1 transmis chaque année aux parlementaires.

Si nous rappelons les derniers chiffres connus, en 2018 le rendement de la mesure représentait 1,045 milliards d’euros[6]. Il n’y a plus d’évaluation chiffrée depuis le basculement au PAS. Le fait de ne pas revaloriser le barème de cette cotisation depuis de nombreuses années, doit constituer une part importante de la productivité de l’IR qui n’est pas prise en compte à la source. Or la DGFiP propose la décomposition suivante :

Il y a tout lieu de penser que puisque cette contribution est prélevée en même temps que les produits d’IR sur base non contemporaine, donc toujours avec un décalage d’un an, son montant doit être intégré aux produits « hors prélèvements à la source » et spécifiquement ceux relevant de « l’exercice précédent », soit 2,1 milliards d’euros prévisionnels pour 2023. Son produit pourrait dépasser largement le milliard d’euros en 2023.

Qu'en conclure ? Que si en vertu du principe du consentement à l’impôt, l’impôt sur le revenu en France est autorisé chaque année par le Parlement, celui-ci pourrait fort bien inscrire en loi de finances un mécanisme de revalorisation automatique de son barème progressif en fonction de l’inflation estimée. La logique du prélèvement à la source devrait militer pour qu’au lieu de l’inflation de l’année passée, ce soit celle de l’année présente modulo les corrections intervenues dans l’estimation de l’inflation de l’année passée calculées par l’INSEE. Enfin, il est impératif de faire toute la transparence nécessaire sur la CEHR et de revalorisation son barème de l’inflation rétroactivement et ce, depuis 2011… à minima et sinon de la supprimer puisque son caractère exceptionnel n’est plus aujourd’hui justifié. 


[1]https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4524-tii_rapport-fond.pdf#page=25

[2] Attention toutefois, un gain (positif) pour l’Etat, représente une perte pour le contribuable et inversement. Les tableaux sont présentés du point de vue de l’Etat. 

[3] Julie Ruiz, Comment l’inflation va faire augmenter insidieusement les impôts, Le Figaro, 13/09/2023, https://www.lefigaro.fr/finances-perso/comment-l-inflation-fait-augmenter-insidieusement-les-impots-20230913

[4] Voir notre note sur le sujet : https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/la-cotisation-exceptionnelle-sur-les-hauts-revenus-existe-deja

[5]https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2014435qpc/2014435qpc_ccc.pdf

[6] Voir Jean-Paul DUFREGNE, rapport en faveur de la contribution des hauts revenus et des hauts patrimoines à l’effort de solidarité nationale, p.19, juin 2020 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b3076_rapport-fond.pdf#page=19 et Sénat Amendement BOCQUET/SAVOLDELLI n°49 au PLFR pour 2020, 14 novembre 2020 https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/122/Amdt_49.html