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TER et dépenses des régions

La folie des grandeurs

Les TER, ou transports express régionaux, sont de la compétence exclusive des régions depuis 2002. Étape importante de la décentralisation, ce domaine d'intervention représente entre 10 et 20% de leur budget, ce qui en fait le troisième poste de dépenses après les lycées et la formation professionnelle, soit 3,7 milliards d'euros officiellement. Pour des régions, presque toutes de gauche, cette politique est l'occasion de développer leur action auprès de leurs électeurs en affirmant "un droit au transport".

Les régions signent une convention avec un prestataire unique, la SNCF, et définissent contractuellement les trajets à mettre en place, le nombre de liaisons, les tarifs, le niveau de qualité du service à offrir, etc. "dans des conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix ainsi que de coûts pour la collectivité", précise la loi Loti [1].

Cette activité connaît un intérêt tout particulier en raison du Grenelle de l'environnement qui a fixé pour objectif de développer les transports collectifs d'ici 2020. Depuis 2002, le trafic a connu une augmentation de 41%, passant de 9 à 13 milliards de voyageurs x km (ou VK) [2], ceci en raison de l'augmentation de l'offre de transports de plus de 14%.

Un poids durablement marginal dans le transport de personnes

Le premier argument avancé par les partisans des transports ferrés régionaux est leur développement spectaculaire ces dernières années. Cependant, même si ce n'est pas toujours dit, ce poids reste souvent marginal au regard des autres modes de transports. Malgré l'augmentation de l'offre et la coûteuse rénovation du matériel roulant, le poids des TER égal à 1,47% dans l'ensemble des transports de personnes, reste particulièrement faible, voire anecdotique. Son poids représente la moitié du trafic du seul réseau régional Île-de-France, qui regroupe pourtant 18,5% de la population française.

1999200220052009
Voiture 700 734 727 724
Autobus/Autocar 42 40 44 49
Ferroviaire 77 85 89 99
- TGV 32,4 39,8 42,7 51,9
- Lignes classiques 16,8 14,5 13,3 9,7
-TER 8 9,2 10,2 13
- Trains Ile-de-France 9,1 10 10,2 11,4
- Autres* 10,8 11,5 12,6 13
Aérien 15 14 13 13
Total833872873885

*RATP, métros de province

Cela s'explique aisément : comme une région a une métropole densément peuplée, un petit nombre de villes moyennes et pour le reste un territoire pour l'essentiel à habitat diffus, le trafic potentiellement économiquement rentable pour le mode ferroviaire est faible. De plus, les lignes de TER reproduisent, pour l'essentiel, le modèle national en étoile et sont donc centrées sur la capitale régionale. Il n'est donc pas étonnant que le trafic par liaison effectivement régionale soit faible et que les reports de trafic de la route vers les TER soient également minimes.

En effet, le nombre de villes et de bourgs desservis est faible. Avec un éloignement de plus de 3 km pour un trajet moyen en TER inférieur à 50 km, un voyageur doit utiliser au moins deux ou trois modes de locomotion : lieu de départ/gare de départ, gare de départ/gare d'arrivée et, éventuellement gare d'arrivée/lieu de destination, avec pour chaque mode de locomotion des contraintes et des aléas d'horaires. Avec deux ou trois modes de transport, pour une utilisation quotidienne, le TER n'est pas compétitif en temps ni en confort par rapport aux transports routiers collectifs et surtout individuels. Le nombre de voyageurs potentiels inclus dans la zone de chalandise est également affecté par la position habituellement excentrée des gares dans les petites villes. On voit que le marché des clients des TER purement régionaux est très limité.

Dans ce type d'habitat, la voiture particulière et le car sont deux moyens de transport globalement plus compétitifs et efficients. En conséquence de quoi, le volume de trafic atteint actuellement n'augmentera jamais de façon suffisamment significative pour "décongestionner le trafic routier" qui, en dehors des grandes métropoles, ne sature d'ailleurs pas le réseau. On peut donc s'interroger sur le bien-fondé de l'utilisation de près de 20% des budgets régionaux pour un résultat aussi marginal.

Un marché artificiel

En dehors de quelques cas tels que la région parisienne et des zones urbaines denses, étendues ou multipolaires (par exemple l'Alsace, les villes qui gravitent autour de Lille, la bande Marseille-Menton), le recours au train pour assurer un transport collectif de voyageurs est injustifié économiquement. Ses coûts sont soit quasi fixes pour les voies et équipements annexes, ainsi que les gares et, pour le matériel roulant, proportionnels au nombre de trains x km (ou TK) [3], que les trains soient bondés ou presque vides. Le train est donc un moyen de transport économiquement inadapté aux faibles volumes de trafic en fréquence et en nombre de passagers par train.

Cette situation a déjà été vécue en France avec le fort développement, puis la quasi-disparition des lignes de chemins de fer départementaux en 1950 (le réseau qui devait desservir tous les cantons a atteint 3.000 km de voies métriques) et de celles du programme Freycinet de 1879 (programme de 10.000 km de lignes pour relier toutes les sous-préfectures). Ces lignes ont presque toutes disparu pour insuffisance de trafic, donc de rentabilité, puis de concurrence des transports routiers à partir de 1918, les conditions économiques et écologiques ayant évolué en défaveur du mode de transport ferroviaire. À l'exception d'un nombre faible de lignes, les TER roulent au-devant du même échec.

Retrouvez notre dossier "TER : Faites entrer la concurrence", Société Civile n°113 de mai 2011, publié à l'occasion de la sortie du rapport Grignon sur la libéralisation des transports ferroviaires régionaux.

Des cas, cités dans les rapports de la Cour des comptes et des Chambres régionales des comptes sur les TER, sont encore plus aberrants : trains transportant moins de 10 voyageurs et lignes sur lesquelles ne roulent, à titre de symbole que deux trains par jour, le reste du trafic étant assuré par des cars. Ainsi, la Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées a indiqué que le train Foix-Toulouse de 19h34 avait un remplissage maximum de 8 personnes pour 320 places assises [4].

En conséquence, le marché actuel des TER est largement artificiel car, pour accroître l'attractivité tarifaire des TER par rapport aux autres moyens de transport, le prix du voyageur x km est fortement subventionné. Ainsi, compte tenu du prix facturé par la SNCF et des avantages tarifaires consentis pour tenter de remplir les trains, la subvention est proche de 75% du prix de revient direct.

Les raisons de cet engouement : le contribuable national mis fortement à contribution

En application de la loi SRU, l'État a compensé la subvention TER des régions puis a augmenté substantiellement cette compensation dans le cadre de la décentralisation. L'augmentation de la cadence des dessertes et le financement par les régions du matériel roulant, des gares et d'une partie des voies ont conduit les régions à affecter progressivement une partie de leurs recettes propres aux TER. Mais la contribution des régions aux TER reste actuellement faible en valeur relative dans le budget global.

En 2007 [5], la subvention directe de l'État était de 1.970 millions d'euros, celle indirecte par sous-tarification des péages versés à RFF de 1.055 millions d'euros et celle des régions de 730 millions d'euros, soit un total de 3.755 millions d'euros. La part des subventions supportées par l'État est donc de 80%.

Une fois de plus, on constate l'effet pervers du mille-feuille du financement des collectivités locales. Si les régions avaient dû financer l'intégralité des subventions sur leur budget propre, les Conseils régionaux auraient été amenés à examiner de plus près la réalité du marché, à contrôler sérieusement le coût des prestations de la SNCF et à examiner le recours à la solution alternative du transport par cars, voire réclamer depuis longtemps une ouverture à la concurrence. Au lieu de cela, elles se sont lancées dans le développement du ferroviaire, la multiplication des trains étant un moyen d'afficher leur action dans les territoires, servant utilement leur politique de communication.

Le dilemme de la région face au monopole de la SNCF

Retards, trains supprimés, grèves, horaires inadaptés, inconfort… les utilisateurs se plaignent des TER à leur Conseil régional. Réaction logique, les élus des régions se retournent contre la SNCF. Leur argument est trivial, mais clair : "On n'en a pas pour notre argent." Commence alors une bataille de chiffres entre les deux parties, les régions réclamant toujours plus de détails sur les coûts de la SNCF et la SNCF jurant qu'elle dépense plus que prévu.

Ce travail de vérification de la prestation coûte cher et n'aboutit à rien, vu la disproportion de moyens et de compétence entre les deux parties. Au lieu de se cantonner, en acheteurs compétents, au contrôle du respect des objectifs fixés dans le contrat, les régions se transforment en contrôleurs inefficaces de la façon dont la SNCF fonctionne. Depuis 2002, les régions ont constitué des équipes chargées uniquement de surveiller les TER : 32 agents en Rhône-Alpes, 14 en Picardie par exemple. C'est une méthode "perdant-perdant" pour le client final des TER, comme pour le contribuable. Les services du fournisseur SNCF en situation de monopole coûtent plus cher, de l'aveu même de la SNCF, qui, dans une note qui a fuité dans la presse, avoue être "dans une position concurrentielle difficile" en matière de transport régional avec des écarts de coût de l'ordre de 30% [6] par rapport à ses homologues européens. Ramené à 3,7 milliards d'euros de prestations régionales, cela représente quand même plus d'un milliard d'économies pour le contribuable local ET national !

Mais difficile pour des présidents de conseils régionaux tous de gauche (sauf l'Alsace), dont les vice-présidents responsables aux transports sont souvent des élus communistes, d'aller plus loin et de demander l'ouverture à la concurrence. Les élus se retrouvent donc dans une impasse.

Dernier exemple : en 2010, la SNCF a réclamé une rallonge aux régions pour financer la réforme des retraites des cheminots. Les régions ont fortement réagi, comme la Bourgogne à travers la voix de son président, François Patriat (PS) : "Les conventions passées entre la SNCF et les régions comprennent en effet la prise en charge de l'ensemble des coûts TER : le matériel et le personnel. La SNCF en profite pour nous imposer de financer la réforme des retraites des cheminots." Pour une région comme la Bourgogne, cela représente 4 millions d'euros pour la période allant de 2009 à 2012.

[1] Loi d'orientation des transports intérieurs. Depuis cette loi de 1982, la SNCF a le monopole des transports ferroviaires en France. Un monopole qui a été écorné pour le fret (2003, 2006), puis le transport international de voyageurs (2009), mais qui résiste.

[2] Unité de mesure qui équivaut au transport d'un voyageur sur une distance d'un kilomètre.

[3] Unité de mesure correspondant à l'offre de service d'un train sur une distance d'un kilomètre.

[4] Dans son rapport du 04/08/2009.

[5] source : rapport de la Cour des comptes sur les TER et Association des régions de France

[6] « SNCF : le surcoût du TER pour les régions », Les Échos du 24 février 2011