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Surpopulation carcérale : nouveau pic à 135%

Les chiffres et les solutions

Le ministère de la Justice, via la publication de ses Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée permet un suivi actif de l’état de nos prisons et maisons d’arrêt. Les effectifs des personnes écrouées ne cessent d’augmenter. D’un autre côté, le nombre de places de prison ne croît pas à la même vitesse. Au 1er juin 2025, 84 447 personnes étaient détenues pour 62 566 places opérationnelles. 5 761 personnes dorment sur un simple matelas au sol. La surpopulation atteint un point très haut, à 135 %. Etablissements les plus touchés, la surpopulation dans les maisons d’arrêt culmine à 165,6 % en moyenne. Cela pose des problèmes évidents de condition humaine et sanitaire. Pour enrayer cet engrenage, la Fondation IFRAP propose depuis le 13 octobre 2016 des solutions pragmatiques visant à lutter contre ce dysfonctionnement. Ces dernières, à l’instar de la construction de cellules individuelles modulaires et de la location de places de prison à l’étranger, ont été reprises par le Garde des sceaux le 30 juin 2025 lors d’un entretien sur RTL.

Eclairage sémantique

Avant de commencer cette étude, il convient de revenir sur les termes employés dans le milieu des prisons. Les études sur la population carcérale du ministère de la justice divisent celle-ci en deux catégories. Les personnes écrouées non détenues sont soit condamnées en détention à domicile sous surveillance électronique, soit condamnées en placement extérieur (non hébergées). Elles n’entrent pas dans le champ de ceux que l’on appelle communément les « prisonniers ». Les personnes écrouées détenues regroupent les prévenus, les condamnés-prévenus, les condamnés en semi-liberté, les condamnés en placement extérieur (hébergés) et les condamnés hors semi-liberté et placement extérieur hébergé. Quand on évoque la population carcérale, il s’agit de la somme des catégories de personnes écrouées détenues.

Les prévenus détenus : Un prévenu est une personne en attente d’un jugement pour une contravention ou un délit. Il n’a pas encore été condamné. S’il s’agissait d’un crime, jugé en cours d’assise, on parlerait alors d’accusé. Les prévenus sont normalement libres mais peuvent aussi être assignés à résidence. Si cela n’est pas possible, on les place alors en détention provisoire. Ils restent présumés innocents mais sont considérés comme potentiellement à risque. Cela concerne les mises en examen pour crime ou délit puni d'une peine de prison de 3 ans ou plus et vise à :

  • « Conserver les preuves ou les indices,
  • Empêcher une pression sur les témoins ou leur famille,
  • Empêcher une pression sur les victimes ou leur famille,
  • Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en cause et ses coauteurs ou complices (par exemple, pour éviter qu'ils se mettent d'accord sur une fausse version des faits),
  • Garantir le maintien de la personne mise en cause à la disposition de la justice,
  • Mettre fin à l'infraction ou éviter son renouvellement. »[1]

Les condamnés-prévenus détenus : Ce sont des personnes condamnées dans une affaire mais prévenues dans une autre. Elles font de facto partie de la population carcérale car, bien que prévenues, Elles sont déjà condamnées par ailleurs.

Les condamnés en semi-liberté : Il s’agit des personnes condamnées autorisées à sortir de prison pendant la journée pour diverses raisons (travail, formation, soins...). Ils doivent toutefois réintégrer un établissement pénitentiaire chaque soir. Cela permet de commencer progressivement le processus de réinsertion.

Les condamnés en placement extérieur (hébergés) : Ces personnes sont placées hors des murs de la prison. Cela peut être chez un tiers ou dans une structure d’accueil type foyer ou association). Les obligations de la personne écrouée sont directement contrôlées par la structure d’accueil. L’objectif de cet aménagement de peine est de s’extraire du monde carcéral afin de faciliter la réinsertion. 

Les condamnés hors semi-liberté et placement extérieur hébergé : Ce sont ceux auxquels on pense le plus généralement quand est évoquée la question des prisonniers. Ils purgent une peine dans un établissement carcéral.

Evolution de la densité carcérale et du nombre de détenus

La série longue de données[2] met en lumière une augmentation moyenne du nombre de prisonniers. Le nombre de places de prisons progresse aussi mais de façon très lente. Le rapport entre la capacité opérationnelle des établissements et la population carcérale est à l’origine de la hausse de la surpopulation.

Au premier juin 2014, la population écrouée détenue s’élève à 68 648 personnes. 11 années plus tard, au premier juin 2025, ce nombre augmente de 23 %, s’établissant à 84 447 personnes. La surpopulation carcérale passe quant à elle de 118,9 % à 135 %. 

On peut constater un creux dans le graphique en 2020 et 2021. Ce phénomène est dû à la crise du COVID 19. En effet, les prisons, par leur nature confinée, sont des lieux propices au développement rapide de l’épidémie. Nicole Belloubet, alors Garde des sceaux avait annoncé des "mesures exceptionnelles et provisoires pour faire baisser les taux d’occupation et protéger tant les personnels pénitentiaires que les personnes détenues". Ainsi, en deux semaines, 6 266 détenus ont été libérés. Il s’agissait de remises de peine attribuées au cas par cas par le juge. 

Les établissements classés par densité de population :

  • 23 établissements ou quartiers ≥ 200% ;
  • 70 établissements ou quartiers ≥ 150% et < 200% ;
  • 33 établissements ou quartiers ≥ 120% et < 150% ;
  • 22 établissements ou quartiers ≥ 100% et < 120% ;
  • 132 établissements ou quartiers < 100%.

Les problèmes découlant de la surpopulation

Le premier problème posé par la surpopulation des prisons et maisons d’arrêt est celui de la dignité humaine. Normalement, les détenus devraient avoir droit à un encellulement individuel. La loi prévoit cette disposition en maison d’arrêt depuis la loi Béranger de 1875. Après d’innombrables échecs, des moratoires ont repoussé l’entrée en application de cette mesure. Cela jusqu’en 2022, dernier en date qui la décale encore de 5 ans.

Cela pose aussi question sur le plan sanitaire, et l’épidémie de COVID 19 l’a rappelé. La promiscuité ne fait jamais bon ménage avec la bonne santé. De plus, les douches et toilettes sont prévus pour un certain nombre de personnes. La trop grande population de détenus entraine une surcharge des infrastructures. Enfin, les 5 761 personnes qui dorment sur un matelas au sol ne sont isolés ni des aléas climatiques, ni des potentiels nuisibles.

Un autre effet pervers extrêmement grave a été pointé dans une motion d’alerte du 17 juin par le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP CFDT). Il s’agit de la radicalisation des détenus : « Nous rendons aujourd’hui à la société des personnes potentiellement plus dangereuses qu’au jour de leur incarcération et ce risque engage d’ores et déjà notre responsabilité individuelle et sociétale. »[3]

Des propositions de l’IFRAP mises en œuvre par Gérald Darmanin

C’est avec un enthousiasme réel que la Fondation IFRAP constate que ses propositions de 2016[4] sont reprises par le Garde des sceaux, Gérald Darmanin. Interrogé sur RTL le 30 juin, le ministre a déclaré être en discussion avec ses homologues espagnols et allemands concernant la location de places de prisons dans d’autres pays. L’IFRAP, sur le même sujet, proposait « la mise en place d’une mutualisation européenne des capacités carcérales ». Il est essentiel que les détenus envoyés à l’étranger soient volontaires car ils seront géographiquement éloignés de leur famille. 

Autre proposition de la Fondation : le recours à des cellules individuelles modulaires (dispositifs préfabriqués) a été acté par le ministre de la Justice. Selon lui, cela permettrait de faire baisser les coûts de 400 000 € à 200 000 € par places et de passer de 7 ans de construction à 1 an et demi. Livrés d’ici 2027, ces établissements vont accueillir 1 500 détenus.

Les sites des premières 17 prisons modulaires[5]

Enfin, le ministre évoque la réhabilitation de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) fermés en prisons. Il s’agit d’une proposition constructive pour fournir rapidement des places de détention. De son côté, la Fondation IFRAP avait proposé une solution similaire spécifique aux zones portuaires : la transformation de navires cargos en centre de détention. Ces deux solutions sont complémentaires. Nous pensons également qu'une coopération accrue entre le ministère de la Défense et celui de la justice (entre la DTIE et l'APIJ) pourrait permettre de réaliser certains programmes carcéraux par le ministère de la défense lui-même et sur ses propres emprises pour ensuite en remettre la gestion opérationnelle au second. Cette solution permettrait de passer outre certains blocages municipaux qui tendent à ralentir les projets d'implantation. 

Toutes les propositions de la Fondation IFRAP au sujet de la surpopulation carcérale ont régulièrement été réaffirmées. La dernière publication sur le sujet date du 2 décembre 2024[6].


 


[1] Détention provisoire - Information judiciaire, ServicePublic.fr, Vérifié le 18 mars 2025 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F36506/0?idFicheParent=F1042

[2] Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, Ministère de la Justice, Màj 30/06/2025 https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/statistiques-mensuelles-population-detenue-ecrouee-9

[3] Carole Sterlé, Timothée Boutry, Surpopulation carcérale : l’alerte choc d’un directeur de prison, Le Parisien, 26/06/2025 https://www.leparisien.fr/faits-divers/surpopulation-carcerale-lalerte-choc-dun-directeur-de-prison-26-06-2025-EF2BNZLCGZEY3NJ7HJHBPM6VAY.php

[4] Samuel-Frédéric Servière, Mettre vraiment fin à la surpopulation carcérale, Fondation IFRAP, 13/10/2016 https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/mettre-vraiment-fin-la-surpopulation-carcerale

[5] Paule Gonzalès, La carte de France des nouvelles «prisons Darmanin» en préfabriqué, Le Figaro, 30/06/2025 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ou-se-situeront-les-nouvelles-prisons-darmanin-en-prefabrique-20250630

[6] Samuel-Frédéric Servière, Prisons françaises : 80.130 détenus pour 62.357 places, Fondation IFRAP, 02/12/2024 https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/prisons-francaises-80130-detenus-pour-62357-places