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SNCF : des efforts de productivité plutôt que l'augmentation des tarifs

Alors que la SNCF vient d'annoncer une augmentation en 2015 de 2,6% de ses tarifs, il est bon de rappeler qu'en face de ces augmentations régulières de tarifs, l'État et les régions n'ont cessé d'augmenter leurs subventions à la SNCF. De 10 milliards en 2010, le montant des financements publics à la SNCF est passé à 13 milliards en 2013. En parallèle, le prix moyen par kilomètre sur les grandes lignes a augmenté de 37%. La SNCF, si elle a commencé à réduire un peu le nombre de postes, n'est pas encore passée à la phase productivité. Ce n'est pas en repoussant toujours plus loin l'ouverture à la concurrence sur le transport voyageur et l'épineuse question de la réforme du régime spécial des cheminots, que la SNCF réussira à réduire ses coûts. Une première étape serait de suivre les pas de l'Italie qui va céder 40% du capital de Ferrovie dello Stato, sa compagnie de chemin de fer détenue jusque là à 100% par l'État. Une ouverture du capital, en attendant l'ouverture à la concurrence pour que la SNCF bouge et passe en mode productivité.

La ministre de l'Écologie s'est récemment emportée contre l'augmentation de 2,6% des tarifs SNCF. Elle a notamment déclaré « c'est un très mauvais signal », « je veux que la SNCF reste un outil de transport de masse » et « je veux dire aux dirigeants des entreprises publiques qui, parce qu'elles sont en situation de monopole, s'engagent dans des fuites en avant et considèrent qu'elles peuvent augmenter leur chiffre d'affaires en augmentant les tarifs, que ce n'est plus possible » [1].

La ministre s'est d'ailleurs déclarée favorable à un encadrement par décret de la façon dont l'État contrôle les prix du train : depuis 2011 une certaine latitude a été donnée à la SNCF pour adapter l'encadrement des tarifs à la faveur de l'ouverture progressive à la concurrence. Cet encadrement vaut pour les billets TER et Intercités sans réservation et les TGV et Intercités avec réservation, applicable au plein tarif loisirs (pour la 1ère classe, la SNCF est libre de fixer les prix) .

La FNAUT (fédération nationale des associations d'usagers des transports) a dénoncé une augmentation dangereuse et injustifiée : notamment parce qu'avant d'augmenter ses tarifs la SNCF doit en priorité maîtriser ses coûts de production. Un message relayé également par les présidents de régions principaux bailleurs de fonds pour les TER : Laurent Beauvais, Président PS du Conseil régional de Basse-Normandie a déclaré : « Les justifications de cette hausse ne sont en rien crédibles en Basse-Normandie » « La SNCF fait des promesses pour justifier cette hausse excessive ! Nous verrons en Basse-Normandie comment ces promesses prendront réalité. »

Cette protestation fait écho à un autre problème de tarification auquel se heurtent les régions : il s'agit des redevances d'accès versées par les TER et Transilien pour l'accès aux gares. En pointe de ce combat le STIF (Ile-de-France) conteste le tarif réclamé par la SNCF. Le Figaro rappelle que cette activité de facturation de l'utilisation des gares est la plus rentable pour la SNCF, notamment par le biais d'une redevance pour investissement particulièrement élevée. En contrepartie les régions, STIF en tête, réclament des engagements de performance et de productivité sur lesquels la SNCF n'est pas en mesure de s'engager.

Dans un précédent article nous avions dénoncé cette augmentation des tarifs SNCF à la fois sur les grandes lignes et TER :

  • De 2001 à 2011 le prix moyen du VK (voyageur x km) payé par le voyageur « grandes lignes » a augmenté 37%, soit environ le double de celui des prix de détail. En euros constants le prix moyen a donc augmenté de 15% sur cette période.
  • Le prix payé par le voyageur du VK des TER est resté nettement inférieur à celui des grandes lignes (0,0788 euro contre 0,1119 euro pour les grandes lignes). Le prix moyen du VK incluant les subventions, c'est-à-dire le prix facturé par la SNCF aux régions, est égal à 3,77 fois celui payé par un voyageur de TER (0,2970 euro contre 0,0788 euro). La recette directe reçue par la SNCF pour les TER est égale à 2,65 fois celle d'un train « grandes lignes ». Sur la période 2001-2011 et en retenant les seules subventions d'exploitation, les recettes par VK de la SNCF ont augmenté de 47%, soit 2,41 fois l'augmentation des prix de détail et 1,52 fois l'augmentation du tarif de base. En euros constants les recettes par VK de la SNCF ont augmenté de 22,3%.

Cette augmentation en euros constants est de 45% supérieure à celle des Grandes Lignes, alors que le volume de trafic des TER a augmenté trois fois plus vite que celui des Grandes Lignes. On constate donc un phénomène économique paradoxal : plus le trafic des TER augmente plus le prix du VK augmente.

Tous reprochent à la SNCF la même chose : profitant de sa situation de monopole, l'entreprise en profite pour augmenter les prix, plutôt que de faire des efforts de productivité, alors que pour faire passer la réforme ferroviaire votée cet été, après une semaine de grève, la direction de la SNCF s'était engagée dans la voie de l'efficience.

Même dans un domaine non réglementé, la SNCF semble avoir un problème de productivité : sa filiale ID Bus est lourdement déficitaire et en retard par rapport à des compagnies privées, comme Eurolines, déjà bien implantées. À considérer aussi que sur 222 salariés, l'entreprise compte 72 administratifs pour 150 chauffeurs !

Dans un élan de sagesse, Guillaume Pépy a annoncé vouloir s'attaquer à ses charges de personnel et poser la question du statut. En effet comment expliquer que malgré une baisse constante des effectifs, les charges de personnel augmentent régulièrement, elles atteignent aujourd'hui 9,1 milliards d'euros (masse salariale) et les charges de personnel représentent 47% des charges selon les estimations. Un rapport avait révélé une hausse des charges sur les 10 dernières années (elles étaient de 7,75 milliards en 2003) malgré une baisse des effectifs et une faible inflation moyenne sur la période. En cause selon la direction : un système d'augmentation proche de celui de la fonction publique avec son fameux GVT et qui entraîne une augmentation automatique des grilles en fonction du statut. Des éléments que démentent les syndicats qui y voient plutôt la conséquence de la réforme des régimes spéciaux de 2007 et l'allongement des carrières ! [2] Ou bien encore l'augmentation des indemnités pour travaux de nuit liées à l'entretien du réseau.

Aujourd'hui la SNCF a annonce la suppression de 1.100 postes en 2015, qui font suite aux 1.400 suppressions de postes annoncées en 2014 (1.085 réalisées). Des chiffres qui font bondir les syndicats mais qui restent modestes rapportés à l'ensemble du groupe : 155.000 cheminots et 243.000 personnes au total dans le groupe.

Une fois encore il faut rappeler l'attitude équivoque des pouvoirs publics : les politiques ont forcé la main des responsables de la SNCF pour faire construire de coûteuses lignes LGV, les régions houspillent la SNCF mais réclament des rames dernier cri, l'État lui-même demande à la SNCF des efforts de productivité mais lui demande aussi d'être un acteur engagé dans la bataille de l'emploi : traduction la promesse de reprendre le personnel licencié d'Ecomouv' (la SNCF s'y est engagée en tant qu'actionnaire) ou encore l'achat de 40 rames de TGV dont, de l'aveu même de cadres de la compagnie, la SNCF n'avait pas besoin, pour garnir le carnet de commandes d'Alstom.

Depuis le 14 décembre dernier, la compagnie privée Thello exploite une liaison Marseille-Milan. En pratique avec les arrêts prévus (cabotage), il y aura une concurrence de fait avec la SNCF sur la portion du trajet Marseille-Nice-Monaco. Problème, l'opposition de la région PACA, bailleur de fonds du TER, et qui voit d'un mauvais œil cette concurrence. La société Thello a demandé de pouvoir mettre en place des accords avec la région pour accueillir contre compensation les abonnés régionaux mais la région a décliné préférant se donner un ou deux ans pour voir…

Avant la séparation entre le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur historique, les pertes d'exploitation se traduisaient par une augmentation de la dette. Avec la séparation, et la nécessité de contenir l'endettement assimilable à de la dette publique, RFF et SNCF sont parvenus à couvrir leurs frais en accroissant les subventions et en pratiquant des hausses de tarifs.

Il est paradoxal qu'au moment où l'on vote la loi Macron qui s'attaque aux rentes, on ne touche à rien à la SNCF. Au contraire, le 4e paquet ferroviaire qui devait préparer la dernière étape, à savoir l'ouverture à la concurrence du secteur du voyageur, paraît repoussé sous la pression de différents États membres qui redoutent de s'attaquer à ce secteur. Alain Vidalies, secrétaire d'État aux Transports, dans un communiqué, a d'ailleurs demandé à la Commission « le respect des choix des États membres en matière de gouvernance du système ferroviaire tout en restant vigilant sur les initiatives susceptibles de créer un risque de dumping social ». L'économiste des transports Rémy Prud'homme dit dans une récente tribune, que la SNCF ne doit pas être le bouc émissaire et que c'est le rail lui-même qui est une technologie coûteuse et obsolète. Mais ce n'est certainement pas en protégeant la SNCF de la concurrence que l'on s'en rendra compte. Ce n'est certainement pas en reculant l'échéance que des efforts de productivité pourront permettre de baisser les 13 milliards d'euros de subventions publiques annuelles. Pour contenir la progression des tarifs, la seule solution c'est de tenir bon sur l'ouverture du marché. La repousser encore serait un mauvais signal pour reprendre la formule de Mme Royal.

L'alternative italienne : Dans le cadre d'un large mouvement de vente de participations, le gouvernement italien a déclaré son intention de céder 40% du capital de Ferrovie dello stato, l'opérateur italien de chemin de fer, détenu à 100% par l'État. Une décision identique pourrait être prise en France…

[1] Une remarque tout à fait pertinente quand La Poste augmente le prix du timbre de 15%, la RATP celui du ticket de métro de 5,8% et la ville de Paris le stationnement de 100%.

[2] Des échelons supplémentaires ont été créés pour les personnels dont les carrières sont prolongées en fonction d'une curieuse logique : le salaire doit augmenter avec l'âge, même si les personnels font toujours exactement le même travail.