Actualité

Revenir au cœur de métier de taxi

La manifestation nationale des chauffeurs de taxis vient de nouveau de mettre en lumière les conséquences de l'absence d'une politique cohérente de la part de l'administration sur ce sujet : les Parisiens ont depuis longtemps renoncé à trouver des taxis aux heures de pointe, les Français découvrent avec effarement les 3,5 milliards d'euros remboursés par la Sécurité Sociale pour des transports médicaux sur simple prescription d'un médecin, et les chauffeurs de taxis sont au bord de l'exaspération.

Une administration malthusienne

A l'origine de ce dysfonctionnement majeur, on relèvera le malthusianisme de l'administration qui, pendant des années et dans toute la France, a bloqué la délivrance des autorisations accordées aux loueurs de Véhicules de Tourisme avec Chauffeur (VTC, autrefois appelés « petite remise »). Cette attitude, résultait de l'opposition de la toute puissante fédération des artisans taxis, capable de bloquer une ville en quelques heures et qui bénéficie curieusement de puissants appuis au sein des pouvoirs publics. C'est ainsi que cette corporation s'est progressivement attribué le monopole du transport individuel de personnes dans le pays.

Les conséquences de ce mélange des genres sont multiples. On relèvera qu'à Londres en 2008 on comptait 44.000 VTC contre pratiquement aucun à Paris ! Les sociétés de taxis elle-mêmes sont progressivement éliminées du paysage par les artisans. Elles ont disparu à Lyon et à Marseille. A Paris, même la puissante G7 n'est plus guère qu'un central téléphonique au service des chauffeurs indépendants. Le transport individuel de personnes souffre en France des mêmes maux que la pêche : une incapacité à passer au stade industriel, favorisée par une fascination nationale pour l'artisanat.

C'est ainsi que les usagers se trouvent privés du service qu'ils sont en droit d'attendre. Une entreprise ferait tourner ses taxis 24h sur 24 grâce à des chauffeurs salariés, mais les artisans taxi ne peuvent conduire plus de 11 heures par jour (et c'est déjà beaucoup !). Comme ils sont libres de choisir leurs horaires et ne tiennent pas à se trouver coincés dans les bouchons, les taxis désertent le centre-ville aux heures de pointe.

Côté clients, les entreprises et les décisionnaires se sont organisés pour bénéficier d'un traitement de faveur en adhérant à des organismes de réservation susceptibles de leur garantir un taxi sur demande, au moyen éventuellement d'une sur-tarification. Ceci au détriment du grand public qui ne peut accéder à ce luxe : ces taxis ainsi réservés en lieu et place des VTC, dont ce serait le métier, ont disparu des stations. Des petits malins en ont profité, particulièrement à Paris, et les taxis clandestins se sont répandus sans réaction particulière des autorités.

Une mise en concurrence mal comprise

Cette situation a bien été comprise lors de la prise en compte du « rapport Attali » sous le précédent quinquennat. L'administration a alors libéralisé la délivrance des autorisations de mise en service de VTC, mais elle l'a fait sans nuance et sans contrôle. En quelques mois, plusieurs milliers de VTC ont été ainsi mis en service, ce qui a provoqué une déstabilisation de la profession. Les taxis ont aujourd'hui du mal à admettre cette concurrence, et ne parviennent pas à se recentrer sur leur vrai métier qui est de prendre le client dans la rue. En effet les citadins, supportant mal la pénurie, sont devenus réticents à ce mode de transport, et à la campagne cette clientèle n'existe tout simplement pas.

Pour sortir de ce blocage, il nous semble qu'il faut revenir aux fondamentaux : séparer nettement les deux activités, VTC et taxis, et les répartir intelligemment sur le territoire.

Les taxis tirent leur nom du taximètre. Cet appareil s'avère indispensable en ville pour éviter qu'un client qui vient de héler une voiture ne se trouve à la merci d'un racket de la part du chauffeur. Les touristes qui se sont trouvés pris au piège dans des pays où cet accessoire n'existe pas savent de quoi nous parlons… Le tarif est fixé par l'administration, il est le même pour tous et ne souffre aucune discussion. La faculté de prendre des clients sans réservation préalable doit donc rester absolument interdite aux VTC.

En parallèle, la présence d'un taximètre à bord d'un véhicule réservé par avance est absolument inutile. Le tarif peut en effet être discuté entre les deux parties, et le client est en situation de s'adresser à un autre prestataire en cas de désaccord. C'est le cas de tous les transports individuels effectués en dehors des grandes villes, lesquels font tous l'objet d'une réservation préalable. C'est le cas de la majorité des véhicules faisant l'objet d'un remboursement par la Sécurité Sociale, laquelle serait à même de passer des agréments et des accords tarifaires.

Des solutions simples

Les solutions préconisées par la Fondation iFRAP sont donc les suivantes :

- Continuer à délivrer des autorisations de mise en service de VTC au rythme actuel sans état d'âme, afin de stimuler la concurrence,
-Réserver l'appellation « taxi » et l'usage du taximètre aux villes d'une certaine dimension et reconvertir en VTC sans taximètre les véhicules établis à la campagne,
-Renforcer fortement les contrôles et le montant des sanctions envers les « motos-taxis » et les VTC qui prendraient des clients sans réservation préalable, ainsi qu'envers les taxis clandestins,
-Augmenter très sensiblement les tarifs horaires aux heures de pointe dans les centres-villes, et les baisser en dehors. (Un chauffeur de taxi parisien doit avoir intérêt à rester en service à ces heures-là, et ne pas être obligé d'aller dans un aéroport pour pouvoir gagner sa vie…),
-Limiter la distribution des licences gratuites aux seules entreprises qui emploient des salariés, mode d'exploitation qui garantit aux usagers une présence du taxi sur la voie publique 24h sur 24.
-Transférer l'administration des taxis parisiens au Ministère des Transports, la Préfecture de Police de Paris, actuellement en charge, ayant largement démontré son incompétence.

A ce jour le gouvernement a réagi au mouvement des taxis en reconnaissant que les textes applicables aux VTC étaient imparfaits et mal appliqués. Il a promis une plus grande vigilance à ce sujet, et s'est engagé à rédiger de nouveaux projets en concertation avec les organisations professionnelles. Quant au texte litigieux concernant les remboursements par la Sécurité Sociale, le décret d'application ne serait pas publié.

Il serait regrettable que la peur d'une corporation puissante, l'immobilisme, ou la tentation d'un retour en arrière mettent fin à une évolution souhaitée par les usagers. Le taxi et le transport individuel de personnes avec chauffeur sont des modes de transport qui doivent se développer l'un et l'autre dans notre pays pour le bien-être de nos concitoyens. Il y aura de la place pour chacun si les règles sont claires et bien appliquées.