Actualité

Les inconvénients de la fusion RFF/SNCF

La fusion, une mauvaise nouvelle pour les clients et pour les contribuables

Le ministre des Transports vient de confirmer l'annonce de la reprise de RFF par la SNCF. Depuis près d'un an le sujet était sur la table : les "assises du ferroviaire" initiées par le précédent gouvernement avait relancé cette controverse et tout le secteur vivait dans l'attente de cette décision, retardée à… après les élections. Car le sujet est depuis toujours un chiffon rouge pour les syndicats. De son côté, la SNCF, grande gagnante de cette réorganisation, a battu la campagne pour convaincre que cette solution serait la plus avantageuse : mais pour qui ?

Pour la clarté de l'organisation du secteur sans doute : la directive européenne de 1994 prévoyait pour relancer le transport ferroviaire la séparation entre les activités de gestionnaire d'infrastructure et d'exploitant ferroviaire afin de favoriser à terme l'ouverture à la concurrence et l'intégration des marchés européens. En France la transposition de cette directive a donné lieu à une organisation particulièrement inefficace où les cheminots en charge de l'infrastructure (en gros 15.000 au titre de la planification du réseau (DCF) et 35.000 au titre de l'entretien des voies (SNCF Infra) sont restés salariés de la SNCF tout en travaillant pour RFF. Cette solution n'a pas été mise en œuvre à l'époque par hasard : elle conservait le lien de l'ensemble des cheminots à leur grande maison tout en permettant à la veille du passage à l'euro, de confier l'immense dette ferroviaire à RFF et sortant opportunément ce passif du périmètre public !

Mais depuis les problèmes se sont accumulés, pouvant se résumer à une double équation insoluble pour le gestionnaire d'infrastructure : pour rembourser sa dette et entretenir le réseau, RFF pouvait soit 1/ faire payer ses péages sur le réseau au coût réel, ce que n'auraient pu supporter que les exploitants ferroviaires les plus performants [1], mais certainement pas la SNCF ; 2/ soit gérer de la façon la plus rentable la maintenance et l'organisation du réseau ce qui impliquait de demander un effort de productivité très conséquent à son seul et unique prestataire, la SNCF. Dans tous les cas, RFF était obligé de composer, la direction de la SNCF, elle-même très soucieuse de ménager ses 150.000 cheminots. Si la solution qui devrait être mise en place a, sur le papier, le mérite de la simplicité, elle n'est certainement pas une bonne nouvelle pour les clients : si l'on procède par analogie avec le secteur aérien c'est Air France qui va gérer les aéroports et les créneaux horaires de ses concurrents ! Si tel avait été le cas, il y a peu de chances que la concurrence se soit développée et avec elle la baisse du prix des billets.

Certes toutes les précautions pourront être prises pour veiller à une stricte indépendance des équipes et faire en sorte que SNCF ne se retrouve pas en situation de verrouiller le marché sauf que… la SNCF vient justement de se faire rappeler à l'ordre en matière de transport de marchandises pour avoir mélangé les rôles : voici deux exemples de pratiques anticoncurrentielles relevées par un opérateur privé de fret – ECR, filiale de la DB - extraits du rapport de l'autorité de la concurrence : "sur le marché de la gestion déléguée de l'accès à l'infrastructure, consistant en la transmission d'informations confidentielles à sa branche Fret entre 2006 et 2008" et "une pratique d'abus de position dominante sur le marché de l'infrastructure consistant en une surréservation de capacités et une non restitution des sillons qu'elle n'utilise pas aux fins de limiter l'accès de ses concurrents". Le ministre des Transports nous annonce la création d'un haut-comité (un de plus) "constitué des différents acteurs du ferroviaire qui jouera le rôle de comité de surveillance (…) et qui pourra, le cas échéant, jouer le rôle d'instance de 'conciliation' entre les acteurs du ferroviaire en cas de différends".

Et le ministre rappelle d'ailleurs que les "exigences européennes n'interdisent pas un schéma de gouvernance fondé sur un pôle unifié à condition que certains aménagements soient apportés". Et la SNCF a beau jeu de rappeler que l'organisation qu'elle propose est celle qui est en cours en Allemagne puisque la puissante Deutsche Bahn allemande (DB) modèle de réussite ferroviaire en Europe est organisé sous forme de holding chapeautant d'une part la DB Netz (gestionnaire public du réseau allemand) et trois opérateurs ferroviaires autour des activités grandes lignes, régions et fret.

Sauf que l'organisation allemande a été faite dans des conditions toutes différentes : tout d'abord la DB a un statut de société anonyme détenu par l'État. Ensuite, à sa création, issue de la fusion des entreprises ferroviaires est et ouest-allemandes, la dette de 33 milliards d'euros a été en totalité reprise par l'État. Enfin, la réforme du secteur s'est accompagnée d'une ouverture complète à la concurrence. Et surtout d'un abandon progressif du statut des cheminots de la DB. Les nouvelles recrues ont été embauchés sous statut privé tandis que les anciens cheminots, sous statut assimilé fonctionnaire ont été repris par une structure de tutelle publique et "loués" à la DB dans les conditions du marché.

Tout l'inverse de ce que nous annonce le ministre Cuvillier qui nous informe que l'ouverture à la concurrence sera respectée "mais ne saurait être anticipée avant 2019" et prend garde à protéger le service public à la française en insistant "s'agissant de la concurrence entre les entreprises ferroviaires, la définition de règles sociales harmonisées, applicables à l'ensemble des salariés du secteur, est nécessaire afin d'éviter des pratiques de dumping social".

Car la question sociale est plus que jamais derrière cette réorganisation. Cette réforme va devoir s'attaquer au chantier d'une prochaine convention collective et la négociation va être rude. Alors que les opérateurs privés de fret s'apprêtaient à signer une convention collective, Guillaume Pépy a fait capoter la négociation en introduisant un recours contre ce projet de convention et en réclamant la mise en œuvre d'un cadre social harmonisé entre cheminots sous statut SNCF et cheminots sous statut privé. Actuellement les différences entre le régime SNCF et le régime privé notamment sur le temps de travail et les retraites représentent un écart de productivité de 30% au détriment de l'opérateur historique. Raison pour laquelle les nouveaux entrants dans le secteur du fret ont ravi de nombreux marchés à Fret SNCF, la filiale de transport de marchandises de la SNCF. Or, pour l'ouverture du transport de voyageurs, qui se prépare à Bruxelles, la SNCF souhaiterait qu'une convention collective qui harmonise vers le haut les conditions d'emploi des cheminots soit en vigueur pour ne pas se retrouver dépassée par la concurrence. C'est ce qui s'est passé pour l'ouverture du marché de l'électricité où le statut des électriciens et gaziers a été étendu aux nouveaux entrants rendant de fait la concurrence peu opérationnelle.

Cette décision n'est d'ailleurs pas non plus une bonne nouvelle pour les contribuables et les finances publiques : avec un endettement d'un peu moins de 40 milliards d'euros, la séparation entre RFF et SNCF avait au moins le mérite de mettre en œuvre un schéma où RFF faisait payer ses péages pour amortir sa dette à défaut de financer la rénovation du réseau. Mais qu'en sera-t-il maintenant ? La SNCF-gestionnaire d'infrastructure fera-t-elle payer le prix juste à la SNCF-exploitant ferroviaire, surtout s'agissant de sa filiale, Fret SNCF, dont les comptes sont dans le rouge ? La SNCF qui s'est toujours plainte de voir le prix des péages fixés trop haut, voudra-t-elle les baisser au risque de voir ses concurrents en profiter pour lui livrer une bataille encore plus féroce ?

Quant à la solution de "bad bank" qui portera les 20 milliards d'euros de dette originelle, elle pourrait être amortie nous dit-on par le dividende que verse la SNCF à l'État. Mais il s'agit là d'un leurre comptable puisque actuellement le système ferroviaire ne fonctionne qu'au prix de 13 milliards d'euros de subventions annuelles notamment pour financer les retraites des cheminots, la rénovation du réseau et les délégations de service public dans les régions où la SNCF conserve le monopole.

Si le système mis en place en 1997 n'était certainement pas le plus opérationnel, il avait le mérite de mettre chacun des acteurs sous pression pour rechercher la solution la plus performante. Avec la décision qui vient d'être prise, SNCF semble être la grande gagnante en se voyant confier les rênes du système ferroviaire lui permettant de l'organiser selon ses propres priorités. Mais cette victoire pourrait être une victoire à la Pyrrhus, car l'opérateur historique sera plus que jamais sous l'œil de l'Europe :

- Il lui faudra faire valider le montage proposé pour la dette, alors que les aides d'État sous forme de garanties sont dans le collimateur de Bruxelles. En effet, la SNCF pourrait avoir à affronter un éventuel changement de statut car la Cour européenne de justice a rejeté un recours en annulation introduit par la France, qui contestait les conclusions de la Commission européenne sur les bénéfices liés au statut d'EPIC. Bruxelles estime que ce statut (examiné à l'époque pour le cas de la Poste) confère l'équivalent d'une "garantie financière implicite et illimitée" de l'État, qu'il qui protège et procure un avantage sur ses concurrents. La Commission pourrait-elle profiter de cette réorganisation pour demander à la SNCF de revoir son statut juridique avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur son financement ?

- Il lui faudra aussi assurer un réseau qui garantisse les mêmes conditions d'accès à tous les opérateurs tout en préparant l'ouverture à la concurrence dans le secteur du voyageur, régional ou national. Elle sera là confrontée à de puissants concurrents, étranger comme la DB, ou français comme Véolia et Kéolis, sa propre filiale ! Si à l'international, la SNCF joue le jeu de la concurrence, elle ne pourra pas multiplier les atermoiements lorsqu'il s'agit d'ouvrir son propre marché, car ses concurrents ne manqueront pas de s'en plaindre directement à Bruxelles. En tout cas, le dossier ferroviaire connaîtra sans nul doute de nouveaux rebondissements dans les prochains mois.

[1] Et rendons cela à la SNCF sur les liaisons les plus rentables : or, l'État depuis toujours demande à la SNCF de maintenir des liaisons déficitaires au titre de l'aménagement du territoire (et de la paix sociale)