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Besoin de franchise

Le Comité d'Alerte vient d'annoncer un déficit de l'Assurance Maladie reparti à la hausse, les prélèvements obligatoires sont à un niveau record et les professions médicales sont désemparées. Se borner à répéter les mêmes 4 voeux sur lesquels tout le monde est d'accord n'est pas très productif :
- Qualité des soins
- Liberté et égalité d'accès aux soins
- Coût acceptable pour la société
- Pratiques médicales et revenus satisfaisants pour les professions médicales Il est temps d'admettre franchement que ces 4 objectifs sont antagonistes. Ce sont des propositions sur la meilleure façon de les concilier dont notre système de santé a besoin.

Dans le domaine de la santé, les problèmes français ne sont pas différents de ceux qui existent à l'étranger. Et ils sont aussi très proches de ceux que l'on constaterait si l'on distribuait gratuitement vêtements, nourriture, logements, loisirs ou tout autre produit ou service. Différentes méthodes bureaucratiques ont bien été essayées pour gérer les conflits entre ces quatre objectifs, mais au moins l'un d'entre eux finit toujours par être sacrifié. En URSS, le seul objectif atteint était la gratuité des soins. Au Royaume-Uni ou au Canada, c'est l'accès aux soins qui est limité par des files d'attente ou des refus de traitements. En France, la gratuité et la liberté d'accès aux soins sont privilégiées, au prix des déficits, des inégalités dans l'accès aux soins et des contraintes sur les professionnels de santé.

Responsabiliser

Puisque ni les régulations bureaucratiques ni les incantations de type "appel solennel à la responsabilité" ne fonctionnent, tous les pays ont cherché comment responsabiliser les intéressés, assurés, malades, professions médicales et assureurs. C'est dans la panoplie des solutions déjà en application que notre nouveau gouvernement pourra trouver des solutions de progrès.

Concurrence des Caisses

L'Allemagne depuis toujours et les Pays-Bas depuis 2005 ont favorisé la concurrence entre Caisses d'Assurance-Maladie publiques, professionnelles et privées, tout en imposant des règles strictes de solidarité entre tous les habitants. En pratique, le montant des cotisations et des remboursements sont sensiblement les mêmes chez tous les Assureurs. La concurrence s'exerce uniquement sur la gestion interne des Caisses, la qualité des soins qu'ils financent et le conseil à leurs clients. Trois rôles que le monopole de la CNAM ne remplit pas. Chez les assurés, le choix renforce un sentiment d'appartenance donc de responsabilité envers leur Caisse. En France, l'équilibre de gestion de la Caisse autonome d'Alsace Moselle confirme l'intérêt de cette piste.

En Allemagne, c'est la majorité Social-Démocrate du chancelier Schroeder qui a mis en place en 2003 avec succès des franchises de 10 € par trimestre pour les consultations et de 10 € pour les médicaments.

Franchise

Le tiers payant, la gratuité quasi totale des soins et l'ignorance même du coût des soins ne sont pas favorables à la responsabilisation des assurés. Des franchises ont peu à peu été mises en place en France : forfait hospitalier par jour, 1 euro sur les actes médicaux et 19 euros sur les interventions lourdes, dont la prise en charge par les complémentaires est généralement interdite.

Dans son programme présidentiel, Nicolas Sarkozy a prévu d'augmenter le nombre et le montant de ces franchises. : "L'instauration d'une franchise non remboursable, ni par la sécurité sociale, ni par les assurances complémentaires, de quelques euros par acte de soin, serait plus juste et plus responsabilisante. Plus juste, car son montant total annuel par patient serait plafonné et la dépense qui pèse sur l'usager n'augmenterait pas avec la gravité de la maladie de l'assuré. Plus responsabilisante, car elle éviterait certaines consommations de soins inutiles, voire abusives." (1)

Aujourd'hui, le projet se précise : le gouvernement veut mettre en place en 2008 quatre franchises médicales (consultations, hôpital, analyses médicales, médicaments) de 10 € chacune, soit 40 € par foyer.

Mais tous les experts ne sont pas d'accord sur les vertus d'un tel système : "Instaurer un dispositif de franchise médicale sur les remboursements de soins pour les dépenses de santé aurait l'effet inverse du but recherché et accroîtrait les inégalités d'accès aux soins", estime Jean de Kervasdoué, Professeur en Economie de la santé au Centre national des arts et métiers.

Bref, difficile de savoir si, sans changer fondamentalement notre système de santé qui reste à mi-chemin entre étatique et cogéré par les partenaires sociaux, le système des franchises peut changer les comportements et améliorer l'efficacité des dépenses.

Variété des Contrats

Aux Etats-Unis, non seulement les assurés ont le choix entre de nombreuses Caisses d'Assurance, mais des contrats très divers leur sont proposés, suivant les niveaux des options choisies. (2)

Ces contrats, souvent souscrits dans le cadre des entreprises, favorisent incontestablement les groupes de personnes en bonne santé. En France, de nombreuses Mutuelles Santé fonctionnent déjà de cette façon : les mutuelles d'enseignants ou des banques n'admettent pas les ouvriers du bâtiment.

Bonus annuel

En 2004, les Hollandais ont estimé qu'on pouvait faire mieux, plus positif que la franchise. Tout au long de l'année, les cotisations de chaque assuré sont versées sur un compte. En cas de soins, il peut ou non demander à se faire rembourser par son assurance. En fin d'année, s'il a moins dépensé qu'un certain plafond, l'assurance lui reverse une partie de ses cotisations. Les maladies graves peuvent être exclues de ce système, le plafond et le montant du bonus sont facilement modulables. Incontestablement, les personnes naturellement en bonne santé sont avantagées par ce système, mais aussi celles qui en prennent soin. Si cela reste dans des proportions raisonnables, le système peut être acceptable et efficace. Aux Pays-Bas, le niveau de solidarité reste considérable.

Compte d'Epargne Santé pluri-annuel

Aux Etats-Unis, un nouveau mécanisme, le Compte d'Epargne Santé, est en voie de généralisation. Sorte de bonus amélioré, il semble prometteur.

Le coût des risques majeurs ne peut pas être supporté par les individus même riches. Ils sont donc pris en charge par une assurance santé classique répartissant le risque sur un grand nombre d'individus. Le nombre d'abus est de toute manière limité, les soins intensifs étant par nature obligatoires et peu agréables. Pour les autres risques, les cotisations d'assurance maladie de chaque assuré sont versées sur son compte d'épargne santé à long terme. Les sommes déposées sont placées et produisent des intérêts. Ces cotisations peuvent être fournies par l'employeur ou par la personne elle-même et sont exemptées d'impôt sur le revenu.

En cas de soins, le malade peut payer ses soins à partir de son Compte d'Epargne. Les parlementaires américains estiment que ce système encourage les assurés à dépenser leurs cotisations de façon plus avisée et à choisir les meilleurs fournisseurs de soins. Cette méthode diminue également les frais administratifs qui peuvent être ridiculement élevés pour des soins mineurs (A combien revient le seul traitement administratif en France d'un soin infirmier de 2 € ? Entre 2 et 5 €). Quand les assurés décident de fermer leur Compte d'Epargne Santé, à 65 ans par exemple pour être pris en charge par Medicare, les sommes disponibles sont réintégrées dans leur revenu et taxées.

Ce système favorise également les personnes en bonne santé. De nombreuses variantes peuvent y être apportées selon la définition du risque majeur. C'est ce système de compte épargne santé que propose d'expérimenter en France le Professeur Guy Vallancien dans son ouvrage publié chez Bourin Editeurs, La Santé n'est pas un droit : "Les malades pourront investir dans un capital santé défiscalisé comme les fonds de pension."

Le fonctionnement "à guichet ouvert" n'est pas tenable à long terme sauf à se terminer par une étatisation à l'anglaise. Si rien ne change, c'est pourtant vers cette solution que s'achemine la France. L'objectif minimum est d'intéresser les assurés à leurs dépenses de santé en les incitant le plus possible à les gérer.

Une combinaison de la première méthode (Caisses multiples) et d'une variante des 4 autres, avec un généreux filet de sécurité pour les personnes défavorisées constitue certainement la moins mauvaise solution. Il est dommage de devoir passer par l'étape franchise avant de passer au bonus puis au compte d'épargne santé, mais c'est peut-être inévitable pour des raisons pédagogiques et politiques. Concurrence des caisses et compte épargne santé existeront certainement un jour en France, espérons que ce soit avant 2050.

Suite à cette réflexion, nous avons adressé une lettre ouverte au ministre de la Santé.