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Une enseignante française en Finlande : au cœur d'un système scolaire dépaysant

La Fondation iFRAP publie ici le témoignage d'une jeune enseignante française, Marion Six, professeur de mathématiques à Paris. Grâce au programme Jules Verne proposé par l'Éducation Nationale qui permet un échange poste à poste entre des enseignants des différentes capitales Européennes, elle est partie enseigner un an dans un lycée finlandais, basé à Helsinki. Elle décrit un système éducatif bien différent du lycée français : plus d'autonomie, plus de vie dans l'établissement, plus de responsabilisation aussi. Un modèle différent qui interroge le nôtre.

N.B. : L'auteur décrit un certain nombre de particularités du fonctionnement éducatif finlandais, qu'on ne doit pas cependant trop généraliser : les établissements finlandais étant beaucoup plus indépendants qu'en France, leur fonctionnement peut varier, même si l'esprit général est le même pour tous.

En Finlande, la première particularité est le fait que les établissements jouissent d'une liberté de décision bien plus importante qu'en France.

Chaque établissement décide de la durée des cours, des options proposées… Le Principal choisit les professeurs travaillant dans son établissement. Il s'agit la plupart du temps de contrats temporaires. Pour ces contrats, le Principal décide seul des enseignants avec lesquels il désire travailler. Puis si la collaboration est fructueuse, il peut proposer à l'enseignant un contrat permanent qui doit, certes, être validé par le conseil de l'école, mais ça n'est qu'une formalité. Ce système me paraît sensé et juste. En effet, c'est en fonction de leur travail, de leur motivation, de leur implication que le choix des enseignants est fait, et non en fonction de leur ancienneté, du nombre d'enfants, de la situation personnelle… De plus, l'entretien avec le Principal permet de se rendre compte si notre manière d'enseigner et notre pédagogie sont en accord avec les attentes du Principal, évitant ainsi des situations catastrophiques où professeurs et Principal sont en total désaccord.

Enfin, le manque de reconnaissance étant une des raisons pour lesquelles beaucoup de professeurs perdent leur motivation, permettre aux enseignants d'enseigner dans un établissement qu'ils ont choisi et qui leur plaît, me semble un bon moyen de montrer à un enseignant que son travail est apprécié, et ce dès le début de sa carrière car il ne faut pas oublier que le nombre de professeurs qui abandonnent la profession avant dix ans d'exercice est en constante augmentation atteignant des pourcentages inquiétants ces dernières années.

Le rythme du lycée est basé sur le système universitaire. L'année est divisée en cinq périodes de sept semaines. Au cours de leurs trois ans de scolarité au lycée, les étudiants doivent valider quarante-cinq cours obligatoires et trente cours optionnels. Pour être diplômés du lycée, les étudiants doivent avoir validé leurs soixante-quinze cours. A cet effet, chaque période se termine par une semaine de tests. Au cours de la dernière année, les étudiants doivent en outre passer des examens de fin de lycée dans au moins quatre matières à choisir parmi sept principales.

Il n'existe donc pas de redoublement, juste des vitesses différentes et des groupes différents. Si un élève ne réussit pas à valider un cours, il lui suffit de le repasser à la période suivante. Certains élèves ne restent que deux ans au lycée et d'autres ont besoin de quatre ans pour être diplômés.

J'ai beaucoup apprécié le fait que les notions du programme de chaque période sont très précises. En effet, il est très important que la totalité des notions aient été abordées afin que l'élève puisse suivre le cours pendant la période suivante, et les enseignants ne peuvent se reposer sur le reste de l'année pour combler le retard car ce ne seront plus les mêmes élèves.

A contrario, j'ai été chagrinée de ne pouvoir tester mes élèves pendant les périodes. Comment s'assurer que les élèves ont bien compris les sujets abordés avant l'examen ? Par ailleurs, il n'y a pas de temps dédié à la correction des examens avec les élèves. Enfin, je trouve que cinq périodes est trop important. En effet, cela ne laisse que trop peu de temps aux professeurs pour connaître leurs élèves et identifier leurs besoins, et aux élèves pour s'habituer et comprendre les attentes de leurs professeurs.

Ma "solution miracle" serait de garder le système finlandais en limitant le nombre de périodes à trois gardant ainsi les avantages de ce rythme et en particulier l'absence de redoublement sans les inconvénients. Ce rallongement des périodes permettrait également de mettre en place une matinée par semaine dédiée aux tests afin que chaque groupe ait deux examens par période, permettant ainsi de vérifier une première fois la compréhension de tous et au besoin, de réexpliquer certains points précis.

Venons-en maintenant au rythme d'une journée scolaire. Chaque cours dure 75 minutes et les élèves ont une pause de 15 minutes entre chaque cours. Par ailleurs, mis à part le lundi, le dernier cours de la journée se termine à 14h30 donc les élèves ont la majorité de leur après-midi libre.

J'ai adoré ce rythme journalier : avoir des cours de 75 minutes permet d'enseigner une notion en entier, en laissant le temps aux élèves de l'intégrer et de s'entraîner en classe sur des exercices de base. De plus, les quinze minutes de pause nous permettent de répondre aux questions des élèves à la fin du cours sans les presser, retourner dans leur bureau pour prendre leurs affaires et se préparer pour le cours suivant.

Continuons à cibler nos observations : l'attitude des élèves pendant les cours. L'attitude globale des élèves est vraiment déconcertante de prime abord. Ils semblent, selon nos critères français, totalement irrespectueux. Certains gardent leurs manteaux, leurs casquettes, d'autres se lèvent sans demander l'autorisation pour aller aux toilettes ou répondre à un appel. Les textos sont envoyés abondamment pendant l'heure de cours et il arrive que des élèves ne sortent pas leurs affaires de l'heure, ne prennent pas le cours ou discutent avec leur voisin tout du long. Sans oublier le fait que les élèves arrivent régulièrement avec cinq-dix minutes de retard.

Mais si l'on regarde plus en profondeur, on se rend compte que l'idée globale est la responsabilisation de l'élève : "tu ne veux pas faire ton travail, tu ne veux pas suivre le cours, grand bien te fasse, mais ne viens pas te plaindre ensuite". Les professeurs travaillent avec ceux qui le désirent et ne perdent pas leur temps et leur énergie à faire travailler ceux qui ne le veulent pas. Et quant au respect dû aux professeurs, il est présent. Aucun élève ne refuse d'obéir ou se permet de critiquer ouvertement le cours : il leur semble clair que si le professeur a décidé d'étudier telle notion c'est pour leur bien. De leur côté, les professeurs sont très positifs quand ils parlent des élèves. Même devant eux, ils les encouragent beaucoup et se concentrent sur le positif.

Ainsi, même si j'apprécie beaucoup la politique de responsabilisation mise en place en Finlande, je reste tout de même perplexe sur une éventuelle transposition en France. Je ne suis pas sûre que nos élèves de quinze ans soient assez matures pour se rendre compte qu'apprendre et aller à l'école est enrichissant. Bien sûr, le fait que seuls les élèves qui le désirent aillent au lycée est un élément [1]. De plus, ils doivent postuler pour entrer dans le lycée de leur choix, donc les élèves présents sont souvent motivés et intéressés par les options que propose l'établissement.

Une autre particularité du système scolaire finlandais est que tout est fait pour que l'élève se sente bien à l'école. Il y a une vraie vie dans l'établissement. La "semaine folle" comme ils l'appellent correspond à la remise des diplômes de fin d'étude au lycée. C'est une énorme fête, un événement très important pour eux et pour l'ensemble de la vie d'établissement.

De plus, l'établissement essaie de sensibiliser les élèves à la vie politique ou à l'écologie. Par exemple au moment des élections du Parlement, un débat a été organisé avec huit jeunes politiciens se présentant aux élections. Les élèves ont eu la parole pour poser les questions qui les intéressent. Et elles furent nombreuses : politique d'immigration, frais d'université, changement du concours d'entrée à l'université… Leur intérêt était vraiment flagrant. En plus de ce débat, des élections fictives ont permis à de nombreux élèves de seize à dix-huit ans de voter ; les résultats ont été publiés avant la réelle élection afin que les Finlandais connaissent l'opinion des jeunes.

L'importance de se sentir bien dans l'établissement, pour les professeurs cette fois Il y a une salle des professeurs commune à tous les professeurs utilisée pour les réunions, les déjeuners… mais également six autres salles, chacune pour cinq à dix professeurs leur permettant d'avoir chacun leur bureau et tout le matériel nécessaire. Tout est fait pour que les enseignants se sentent à l'aise dans l'établissement et pratiquement la totalité des professeurs travaillent uniquement au sein de l'établissement. Par ailleurs, les professeurs reçoivent des bourses lorsque l'établissement remplit les critères imposés par la municipalité : un taux d'absentéisme bas, une majorité d'élèves diplômés en trois ans… Une partie de l'argent est utilisé pour équiper l'établissement, déjà extrêmement bien équipé. Le reste de la bourse est versée sur le salaire de l'ensemble des professeurs. Enfin, le Principal oblige chaque professeur à appartenir à une équipe pédagogique : écologie – politique – international – bien être dans l'établissement, chaque équipe devant développer ses propres actions durant l'année.

Ce tour d'horizon du système scolaire finlandais n'est évidemment pas exhaustif. Mais cela permet d'avoir une bonne vue d'ensemble de la politique suivie là-bas. Il y a certaines améliorations que nous pourrions, selon moi, transposer dans notre système français comme le rythme scolaire annuel et également journalier ; cette sensation d'appartenance à l'établissement et de s'y sentir bien ; l'indépendance plus marquée des établissements et le fait que les professeurs postulent dans les établissements ; mais d'autres, telle que la politique de responsabilisation des élèves face à leur comportement dans les classes, me semblent peu appropriées à notre jeunesse française.

[1] La scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans, ce qui correspond généralement à l'âge des élèves à la fin du collège en Finlande.