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Les IUFM font de la résistance !

C'est une révolution dans le monde universitaire du Nord de la France : après avoir signé une convention avec l'Institut catholique de Lille pour valider le cursus privé de formation des enseignants, le Président de l'Université d'Artois vient de remercier 38 enseignants en IUFM (Institut universitaires de formation des maîtres) de son université et les renvoie devant les élèves de collège et lycée. Tollé à l'IUFM qui s'indigne de la concurrence déloyale du privé et de la perte de ses effectifs enseignants alors même que, en trois ans, l'IUFM a perdu près de 70% de ses étudiants… Et la situation d'autres IUFM en France n'est pas plus reluisante.

Les IUFM (Institut universitaires de formation des maîtres), avant et après la réforme

Jusqu'en 2009, les étudiants voulant devenir professeurs devaient obtenir une licence à l'université, sanctionnant trois ans d'études (voire un master 1 ou 2 pour enseigner dans le second degré). Puis ils se préparaient pendant une année ou plus aux concours de l'enseignement (CAPES, agrégation, …). Cette préparation au concours pouvait s'effectuer auprès d'un IUFM ou ailleurs. L'intérêt majeur de l'inscription à l'IUFM pour la préparation des concours était de profiter de points de bonification pour l'affectation des lauréats dans les académies [1]. Mais cette préparation IUFM ne garantissait en rien l'obtention du concours. En effet, d'après le rapport Jolion [2] de 2008, seuls 60% des candidats réussissant au concours provenaient de la préparation IUFM (et seulement une petite moitié au Capes selon la journaliste Sophie Coignard). « C'est un peu comme si la moitié seulement des admis à Polytechnique venait des classes préparatoires, les autres se présentant en candidats libres. Un tel fiasco aurait vite fait de jeter l'opprobre sur les prépas » [3]. Après avoir réussi ce concours, les futurs professeurs devaient passer une année obligatoirement à l'IUFM, pour une formation professionnelle et pratique dont l'iFRAP avait démontré le peu d'utilité et les dérives.

En 2005 a eu lieu une importante réforme : les IUFM ont été rattachés aux universités [4]. Puis Xavier Darcos a officiellement supprimé les IUFM en 2008 (avec application en 2010). Désormais, les futurs enseignants sont recrutés durant leur première année de master : c'est ce qu'on appelle la réforme de la masterisation des concours. Mais en septembre 2010, les IUFM existent toujours, avec locaux et effectifs : entre-temps, le décret qui devait les supprimer a été enterré. Et les IUFM tentent de conserver leur monopole dans la formation des enseignants, sous la forme de la préparation des étudiants aux concours [5]. Exemple dans le Nord-Pas-de-Calais.

Dans le Nord, l'IUFM assure son monopole face à la concurrence du privé en 2011

Dans l'académie de Lille, les six universités régionales ont conclu un accord en janvier 2010, assurant la survie de l'IUFM Nord-Pas-de-Calais. L'IUFM intégrait ainsi l'université d'Artois et conservait le monopole de la formation des professeurs des écoles (1er degré), les autres universités accueillant les masters préparant les professeurs de collège et lycée (2nd degré). Puis, changement de stratégie ?, en janvier 2011, le président de l'Université d'Artois a remis en cause cet accord en signant une convention avec l'Institut catholique de Lille (la « Catho »). Par cette convention, l'université publique valide les diplômes obtenus par les élèves qui auront suivi cette formation privée au métier d'enseignant, concurrençant ainsi directement le monopole de l'IUFM [6]. Par ailleurs, cette convention doit aussi permettre à l'université publique de contrôler l'organisation de la formation des étudiants de la Catho et de la faire converger avec celle de l'université.

Le collectif IUFM-NPdC s'indigne cependant dans un communiqué d'une « logique de concurrence » et d'une « entaille faite à l'accord du 12 janvier 2010 (…) qui était censé garantir un minimum de régulation du service public de la formation des enseignants à l'échelle académique ». En bref : le collectif revendique un accord qui visait à exclure toute concurrence privée, mais aussi publique. Dont acte : le vendredi 18 mars, le collectif d'enseignants a assigné le président de l'université d'Artois devant le tribunal administratif à qui il demande l'annulation de la convention signée avec l'Université Catholique de Lille…

Vers la rationalisation des 6 sites IUFM de l'académie de Lille

Car un autre élément vient de raviver les tensions : le licenciement par le président de l'Université d'Artois de 38 formateurs à l'IUFM. En fait de « licenciement », ces formateurs, qui exercent à l'IUFM « à temps partagé » ou totalement « mis à disposition » de l'IUFM par le rectorat vont être réaffectés dans des classes avec élèves, à la demande du recteur d'académie. Les titulaires de leurs postes d'enseignants vont y retourner à la rentrée, les autres seront nommés sur des postes de l'académie. Il ne s'agit donc pas de licenciement pur et dur, simplement de retourner devant les élèves, alors que de nombreux enseignants ne sont plus devant leurs élèves… Pourtant, le collectif d'enseignants de l'IUFM parle de « traumatisme » et de « gâchis » pour ces formateurs [7]. Il y aurait pourtant de quoi se réjouir : pour les élèves, quelle chance que d'avoir ainsi comme professeurs à la rentrée prochaine des enseignants chevronnés et rompus aux meilleurs techniques pédagogiques [8] !

Christian Morzewski, président de l'Université d'Artois, justifie également ces fins d'activité par la baisse des effectifs d'étudiants en IUFM « passés de 6200 en 2009 à 2200 cette année. (…) Moins 70% en trois ans, on ne peut pas garder le même périmètre » [9]. A terme, le président souhaite également rationaliser l'implantation de l'IUFM, pour l'instant dispersé entre 6 sites de formation, un nombre qui serait réduit à 3 ou 4 d'ici « 5 ou 10 ans ».

On ne peut que saluer cette politique de rationalisation de l'offre de formation dans le Nord. Rien ne justifie que les IUFM conservent leur monopole sur la formation des enseignants. Et il est inquiétant de voir que la peur de la concurrence du privé peut aller jusqu'à remettre en cause la délivrance de diplômes nationalement reconnus à des élèves dont le seul défaut serait d'avoir voulu se former en dehors des IUFM pour préparer les concours de l'enseignement.

Au Royaume-Uni, la privatisation de la formation des enseignants publics est en marche.

Au Royaume-Uni, la question se pose aussi de laisser au secteur privé le soin de former les enseignants. Ainsi, un article du Guardian titrait récemment : « Can private schools train teachers for the state sector ? » [10] En effet, en novembre 2010, le livre blanc “The Importance of Teaching” [11] du ministère britannique de l'Education proposait de développer un réseau national d'« écoles d'enseignement », incluant des écoles privées pouvant former des enseignants. Suite à la vive opposition des universités publiques, qui ont vu dans cette concurrence du privé une menace pour leurs financements, le ministère a attendu plusieurs mois avant de consulter les écoles potentiellement intéressées. Or voici que 18 écoles privées indépendantes viennent de proposer leurs services, comme le Wellington College. Le gouvernement britannique devrait remettre son pré-rapport sur ce sujet dans les prochaines semaines.

Les IUFM peinent à s'adapter à la baisse de leurs effectifs

Ailleurs en France, malgré la disparition officielle des IUFM, via leur intégration aux universités, le nombre des personnels en place de façon permanente ne semble quasiment pas avoir changé. Les effectifs étudiants étant globalement en baisse dans les IUFM, on s'attendrait à ce que le nombre de formateurs baisse également. Ce n'est cependant pas le cas dans tous les IUFM dont nous avons pu retrouver les effectifs. Il est en effet difficile de retracer l'évolution des effectifs des enseignants dans les différents IUFM. Rien n'est dit à ce sujet dans « Repères et références statistiques », édité chaque année par le Ministère de l'Education nationale, qui ne donne que les effectifs étudiants par IUFM, mais pas ceux des formateurs, ni du personnel administratif. Nous avons tenté d'obtenir des chiffres, voilà ce que l'on nous a répondu : « les IUFM étant désormais écoles internes des universités, la masse salariale des IUFM est intégrée à celle des universités. Les postes n'étant pas obligatoirement « fléchés », il est donc impossible de vous indiquer l'effectif global des formateurs enseignants. »

Ainsi, d'après nos recherches, dans l'IUFM de Bourgogne, le nombre de formateurs permanents baisse en même temps que les effectifs étudiants, mais en réalité le nombre d'enseignants vacataires (précaires) a augmenté de plus de 35% sur la même période. Au sein de l'IUFM de Lyon, le nombre d'enseignants formateurs reste officiellement stable à « 550 formateurs environ » entre 2006 et 2010, malgré la baisse des effectifs (600 élèves de moins sur la période étudiée). Quant aux effectifs des autres personnels (administratifs, bibliothèques,…), la baisse de 2010 est surtout due à la « disparition » de « 15 personnels de droit privé, en contrat aidé, (qui) participent aux missions d'appui à l'enseignement et à la recherche ». Enfin, au sein de l'IUFM de Toulouse, l'intégration de l'IUFM à l'Université Toulouse II-Le Mirail n'a pas permis de faire des économies d'échelle sur le personnel non-enseignant, comme on aurait pu s'y attendre. Par exemple, pour les personnels de bibliothèques, la gestion des ressources humaines, la comptabilité, ou encore le pôle communication qui compte 8 personnes, dont des correspondants sur chaque site de formation…

Autre invariante : les IUFM, transformés le plus souvent en « école interne » dans les universités ont gardé, avec leur personnel,… leurs locaux ! C'est notamment le nombre de sites de formation par IUFM qui est frappant puisque l'IUFM de l'académie de Toulouse par exemple compte pas moins de 10 sites de formation avec une moyenne de 257 élèves par site (moyenne en France métropolitaine : 464 élèves par site). Et ce n'est rien à côté de l'IUFM de Corse : 3 sites de formation pour… 27 élèves seulement ! Sans compter les « sièges administratifs » des IUFM, dont certains sont plutôt bien lotis : ainsi le siège administratif de l'IUFM d'Aquitaine « est situé au cœur de l'un des plus beaux parcs de Bordeaux et de son agglomération. Joyaux de la fin du 19è siècle, le Château Bourran et son parc qui s'étend sur 17 hectares ont été classés monuments historiques. » [12] (Photographie ci-contre). Le parc a permis la construction de « bâtiments récemment rénovés ou en cours de restructuration pour répondre aux besoins de la formation », un bâtiment va ainsi accueillir un pôle « Art et Culture », alors que l'IUFM a perdu plus de 1200 élèves entre 2000 et 2009 et compte déjà 5 autres sites de formation. A quand une rationalisation des locaux, en lien avec la baisse des effectifs ?

AcadémiesNombre d'étudiants en 2010Nombre de sites d'enseignementNombre d'élèves par site d'enseignement en moyenne
Aix Marseille 2942 5 588
Amiens 1792 4 448
Besançon 1142 5 228
Bordeaux 2713 6 452
Caen 1370 3 457
Clermont Ferrand 874 4 219
Corse 27 3 9
Créteil 3806 6 634
Dijon 1428 5 286
Grenoble 1811 5 362
Lille 4589 6 765
Limoges 563 3 188
Lyon 3656 3 1219
Montpellier 2728 5 546
Nancy- Metz 2489 7 356
Nantes 2273 5 455
Nice 1641 3 547
Orléans Tours 2177 7 311
Paris 3396 3 1132
Poitiers 1513 4 378
Reims 1434 5 287
Rennes 2250 5 450
Rouen 1643 3 548
Strasbourg 1860 4 465
Toulouse 2572 10 257
Versailles 4829 5 966
Guadeloupe 522 1 522
Guyane 403 1 403
Martinique 510 1 510
La Réunion 1000 2 500
France métro. 57518 124 464
DOM 2435 5 487
France59953129465

Conclusion

Les IUFM sont comme ces têtes de l'hydre Lerne : quand on les coupe, ils repoussent toujours. Il serait néanmoins souhaitable que l'on achève la réforme des IUFM, en encourageant la concurrence (privée ou publique) des organismes entre eux. Rien ne justifie plus un quelconque monopole des IUFM. Rien ne justifie non plus d'entretenir à grands frais un nombre important de sites de formation et donc de personnels alors que le nombre d'étudiants est en baisse. Nous ne pouvons donc que féliciter le président de l'Université d'Artois de favoriser l'essor d'une concurrence privée aux IUFM... Si l'idéologie IUFM, « La machine à détruire les enseignants », semble bien avoir disparu, il reste donc encore à faire un gros effort de rationalisation des effectifs et des locaux, qui permettront sans doute de recentrer les financements de l'Enseignement supérieur vers d'autres priorités.

[1] Voir : http://www.etudes-litteraires.com/f...

[2] « BILAN ET EVOLUTION DU CURSUS DE MASTER », rapport de Jean-Michel Jolion, à la demande de Valérie PECRESSE, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, 2008. http://www.sauvonsluniversite.com/I...

[3] Sophie Coignard : « Le pacte immoral » (Albin Michel, janvier 2011).

[4] Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005.

[5] Sur ce sujet, voir le chapitre 8 « Vraies fausses réformes » du dernier livre de Sophie Coignard : « Le pacte immoral » (Albin Michel, janvier 2011).

[6] L'Université Catholique de Lille propose en effet un « Master sciences humaines et sociales "Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation" spécialité enseignement, professeur des écoles (2011-2012) ».

[7] Communiqué du collectif d'enseignants de l'IUFM

[8] Une anecdote à ce sujet est savoureuse : « Elle s'appelle Mélanie, jeune enseignante, quelques années d'ancienneté (…) . Elle témoigne ici de ce qu'elle vient chercher dans ce type de manifestation, entre retrouver le collectif et s'enraciner pour mieux se diriger (…) : « Le plus agréable a été d'entendre P. Meirieu raconter qu'il a un peu halluciné ("été surpris", sans doute !) après l'IUFM quand il a repris des CM2 en zep , constatant que les mômes ne tiennent véritablement pas en place, qu'il faut aller sans cesse d'une table à l'autre redire la consigne à chacun presque, parce que chacun n'a pas écouté/entendu .. et ça m'a rassurée, de me dire que ouf ! même des pédagogues avec une sacrée bouteille n'ont pas de réponses miracles, et donc c'est normal que ce soit pas facile pour moi ... » (Cf. Nantes : 21ème salon de la pédagogie Freinet, 2011 : « Résister pour rester en vie et avoir envie », Par Lucie Gillet).

[9] Source : Nord Eclair, « Veut-on « démanteler » l'Institut de formation des maîtres ? », 26 mars 2011.

[10] Source : The Guardian, “Can private schools train teachers for the state sector ?”, Liz Lightfoot, 15 mars 2011 http://www.guardian.co.uk/education...

[11] Livre blanc : “The importance of Teaching”, novembre 2010, Department of Education.

[12] Site Internet de l'IUFM : http://iufm.u-bordeaux4.fr/accueil/...