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Les enseignants méritent une meilleure procédure d'évaluation

Un projet de réforme de l'évaluation et de l'avancement des enseignants du primaire et du secondaire prévoit de transformer l'actuel système de double notation (administrative par le chef d'établissement et pédagogique par l'inspecteur) par une évaluation via un entretien professionnel, tous les trois ans, par le "supérieur hiérarchique direct", en l'occurrence le chef d'établissement en collège et lycée.

Ce projet du ministère va dans le sens des réformes que la Fondation iFRAP demande depuis longtemps : donner une véritable autonomie aux chefs d'établissement. Cela passe selon nous, non seulement par l'évaluation des enseignants mais aussi par une autonomie dans le recrutement et la gestion des salaires de ses personnels. Comme nous l'écrivions dans une tribune en juillet 2011 dans Le Figaro, « Après les universités, l'autonomie des établissements scolaires des premier et second degrés pourrait être au cœur des débats de 2012. A juste titre car c'est par un recrutement plus libre des professeurs et une gestion moins centralisée, voire même déléguée, que la qualité de l'Enseignement progressera. »

Le projet du ministère de l'Éducation nationale

Il s'agit d'un décret « portant dispositions statutaires relatives à l'appréciation et à la reconnaissance de la valeur professionnelle des personnels enseignants, d'éducation et d'orientation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale » et d'un arrêté, dont l'application est prévue pour la rentrée 2012. D'après ce projet de réforme, l'enseignant serait évalué sur ses compétences dans sa discipline, mais aussi sur d'autres critères comme la progression des élèves ou encore « la qualité du cadre de travail » (lutte contre le chahut scolaire…). Il s'agit d'un véritable progrès car cette évaluation professionnelle, plus fréquente, serait aussi beaucoup plus large que l'inspection actuelle en prenant davantage en compte la globalité du métier d'enseignant.

Article 5 du projet d'arrêté

Le processus d'évaluation est engagé par une démarche d'auto-évaluation qui s'appuie principalement sur les compétences définies à l'annexe de l'arrêté du 12 mai 2010 portant définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation. Il s'agit notamment pour l'agent d'évaluer sa capacité à faire progresser :
- chaque élève ;
- les compétences dans sa discipline ou ses domaines d'apprentissage ;
- sa pratique professionnelle dans l'action collective de l'école ou de l'établissement, en lien avec les parents d'élèves et les partenaires. Cette action se situe conformément aux orientations validées par les instances de l'école ou de l'établissement par la mise en place notamment de projets pédagogiques transversaux et pluridisciplinaires assurant la cohérence d'un enseignement collectif ;
- la qualité du cadre de travail afin qu'il soit propice aux apprentissages et au partage des valeurs de la République, notamment le respect mutuel et l'égalité entre tous les élèves.

Cette évaluation aurait aussi un véritable effet sur l'évolution du salaire. Une évolution qui serait moins rapide, car l'avancement accéléré dont bénéficiaient les enseignants et qui faisait qu'ils plafonnaient au maximum de salaire au bout de 20 ans, est ralenti, et le système d'avancement accéléré (appelé « au choix » ou, encore plus rapide, « au grand choix ») est supprimé. En plus de l'évaluation régulière par le supérieur hiérarchique [1], seul est conservé le critère d'avancement à l'ancienneté [2]. Ce nouveau système permettra de récompenser plus vite les jeunes enseignants (moins de 5 ans d'expérience), qui pourraient avoir un avancement plus rapidement que ce que prévoit le système actuel. Ainsi, ce nouveau système permettra de lutter contre le mécanisme automatique qui veut que l'avancement soit proportionnel à la fréquence des inspections et non point uniquement à la qualité des enseignants. Avec cette réforme, les incitations exceptionnelles qu'étaient les avancements accélérés ne sont plus nécessaires puisque tous les enseignants bénéficient d'un suivi et d'une évaluation au quotidien. Ce projet supprime aussi l'avancement automatique pour les enseignants ayant atteint la hors classe (le summum en matière de salaire, réservé à l'élite des enseignants en théorie). Mais en prenant acte des négociations de 2007 avec les syndicats pour que l'ancienneté soit davantage prise en compte dans cette promotion « hors classe ». Le nombre d'enseignants pouvant recevoir de l'avancement sera aussi plus restreint (80% du corps maximum au lieu de 100%), afin d'éviter que tous les enseignants ne se voient attribuer un avancement plus rapide. Cela devrait permettre une plus forte responsabilisation des évaluateurs et éviter les avancements quasi automatiques.

L'inspection à l'ancienne a-t-elle vécu ?

La qualité du cours professé et le respect des instructions ministérielles (pas de lecture globale si ce n'est plus la mode, avancement conforme du programme traité suivant la date) décrivent les limites de ce que l'inspecteur peut actuellement évaluer au cours de l'heure à l'heure trente qu'il passe dans la classe d'un enseignant. Cette inspection en classe est suivie d'un entretien avec l'enseignant, censé lui indiquer les bonnes pratiques à mettre en œuvre dans son métier. Mais ces inspections sont à la fois trop rapides, et surtout trop rares : elles n'ont lieu que tous les trois ou quatre ans (voire moins fréquemment). Juger de ce que les élèves retiennent de cet enseignement est pratiquement impossible. Difficile aussi d'évaluer les relations entre l'enseignant et les élèves dans cette ambiance artificielle [3]. En outre, dans la pratique, l'inspection se révèle être un exercice passablement artificiel durant lequel l'inspecteur ne s'appuie pas uniquement sur les observations in situ mais également sur le ressenti du proviseur.

Sans compter que le rôle du professeur ne se limite pas à faire son cours. L'objectif le plus important est dans les résultats de ses élèves mais doivent aussi compter les relations avec les parents, les relations avec ses collègues, la participation à la vie de l'établissement, la sureté de son jugement sur le potentiel de ses élèves. Des critères essentiels que le malheureux inspecteur est dans l'incapacité d'évaluer.

Le directeur d'établissement scolaire est accusé – a priori − par les syndicats de ne pas être capable d'évaluer les enseignants "faute de compétence pédagogique et technique dans chacune des matières enseignées". Mais, sauf dans des cas extrêmes, les professeurs sont largement libres de leurs méthodes et doivent être jugés sur leurs résultats. Et les chefs d'établissements sont très bien informés des résultats de chacun de leurs professeurs : par les élèves, par les parents, par les autres enseignants et par les contacts qu'ils ont avec chacun des enseignants, soit individuellement soit au cours des conseils de classe ou autres réunions au niveau de l'établissement. L'absentéisme de certains enseignants, la motivation principale de certains autres pour leur emploi du temps (pas de cours le lundi ni le vendredi par exemple) sont des exemples des nombreux signaux de démotivation qui peuvent alerter le responsable. Pour s'en persuader, il suffit de voir le soin méticuleux avec lequel les proviseurs constituent l'équipe pédagogique de chaque classe, dosant les professeurs expérimentés et les novices en fonction des enjeux de l'année scolaire (une classe qui passe le bac ou le brevet par exemple).

L'évaluation des enseignants par les chefs d'établissement est donc naturelle et en pratique déjà effective. Mais il faudrait qu'elle ait des conséquences significatives sur la carrière et les salaires des intéressés. Cette évaluation rend aussi indispensable le droit pour les directeurs de constituer leurs équipes d'enseignants comme ils le souhaitent et donc de recruter eux-mêmes leurs enseignants sur des listes de personnes désirant changer d'emploi et après entretiens d'embauche comme cela se pratique déjà en partie dans l'enseignement privé.

Un nouveau rôle pour un corps réduit d'inspecteurs

Dans ce cadre, le rôle des inspecteurs d'académie pourrait être réduit et concentré sur la solution des cas de conflit entre l'enseignant et son directeur. Mais, au lieu de ne consacrer que deux heures à un enseignant, l'inspecteur mènerait un véritable audit de la situation, étudiant les résultats des élèves sur une longue période et rencontrant parents, collègues et élèves. Un travail de fond, à risque pour les intéressés, et qui devrait limiter la fréquence des contentieux. L'évaluation des enseignants par les chefs d'établissements ne résout pas complètement le problème de la solitude de l'enseignant tout au long d'une carrière de 40 ans. Les enseignants débutants ont besoin d'être étroitement guidés, les enseignants en poste mais qui rencontrent des difficultés de discipline ou de compétence pédagogique ou technique ont besoin d'être aidés. Tous ont besoin d'une animation propre à leur discipline, un rôle que les inspecteurs ne peuvent plus jouer, étant déjà trop pris par des tâches bureaucratiques, et par leurs tournées d'inspection.

Conclusion

Le projet du ministère et certains programmes électoraux proposent un renforcement de l'autonomie des établissements scolaires. C'est enfin la reconnaissance de la position des chefs d'établissement, qui avant d'être des gestionnaires, sont aussi les seules personnes en position de faire la synthèse des différents aspects du métier d'enseignant. Une nouvelle étape vers l'autonomie ?

[1] le chef d'établissement en collège et lycée et l'inspecteur pour les professeurs des écoles (le directeur d'école n'ayant pas d'autorité sur ses collègues).

[2] Les bons enseignants recevront des mois de réduction d'ancienneté pour prétendre plus tôt à un changement d'échelon.

[3] Soit le meilleur élève est interrogé par le professeur, soit l'élève choisi au hasard est terrorisé par la circonstance. Soit la classe choisit d'être plus calme qu'à l'habitude parce que le professeur est sympathique, soit plus chahuteuse par mesure de rétorsion.