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La réforme Fioraso des universités, les bons et les mauvais points

Le mois dernier, la ministre Geneviève Fioraso a présenté son projet de loi d'orientation de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Ce texte se veut le prolongement dans le supérieur du projet de « refondation de l'école », avec 20 mesures pour la réussite des étudiants, la réorganisation de la recherche, la coopération des établissements et l'ouverture internationale. On peut cependant s'inquiéter du retour envisagé sur les lois de 2006 et 2007 [1], et d'un projet qui n'affronte pas les vrais enjeux auxquels sont confrontées les universités françaises et notamment leur ouverture plus large aux entreprises et à la vie économique locales.

Notamment, ce projet fait marche arrière sur l'autonomie : si les outils mis en place par la LRU sont toujours disponibles, la restauration de l'État stratège et la transformation nouvelle de la gouvernance empêchera en pratique les universités de les utiliser.

Le « retour de l'État stratège »

Au cœur du projet de loi Fioraso, est inscrit le retour de l'administration centrale sous le titre évocateur : un « État qui redevient stratège » [2].

Le projet de loi crée un Conseil Stratégique de la recherche (Art. 53) qui réunit le Haut conseil de la science et de la technologie (HCST) et le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT). Le ministère n'a pas précisé s'il comptait faire des économies grâce à cette fusion. Alors que la loi LRU et les Investissements d'avenir avait favorisé une prise en main de leur stratégie par les établissements, le nouveau projet de loi revient en arrière en réhabilitant une planification centralisée de l'enseignement et de la recherche à mille lieu des pratiques internationales. [3].

L'État stratège transforme aussi le processus de reconnaissance des formations. Le projet de loi prévoit en effet que ce ne soit plus les diplômes qui soient habilités mais les établissements qui soient accrédités. L'accréditation devenant la condition nécessaire pour délivrer les diplômes inscrits dans la nouvelle nomenclature nationale introduite par cette loi. Sous prétexte d'une simplification nécessaire, l'État resserre son contrôle sur le fonctionnement des établissements, et prend le risque de limiter les innovations pédagogiques et de formation. Dans le même temps on peut craindre aussi que l'évaluation ne se portant plus que sur l'établissement comme un tout, l'attention portée aux formations elles-mêmes diminue.

Les modifications en matière de gouvernance

Très critiquée par les syndicats depuis son adoption, la gouvernance mise en place par la LRU est décousue. Les rôles du président et du Conseil d'administration sont réduits [4] au nom de la collégialité incarnée par la création du Conseil académique qui rassemble le CEVU et le Conseil scientifique. Ce Conseil acquiert un double rôle consultatif et délibératif, et est chargé de répartir les moyens alloués par le Conseil d'administration (Art. 24, 27 à 29). Cette mesure risque de ralentir la prise de décisions dans les universités et d'encourager les logiques corporatistes, surtout elle ne répond pas directement au problème de gestion qu'elles ont rencontrés après leur passage aux RCE (Responsabilités et compétences élargies). Les universités font face aujourd'hui à des problèmes importants de gestion budgétaire, que les diminutions de dotations supposées ne justifient pas complètement [5]. Un récent rapport de l'IGAENR a relevé de nombreux points qui pourraient permettre une meilleure gestion des universités françaises (modernisation des outils de gestion, etc.), l'actuel projet de loi ne semble pas en tenir compte.

Le projet de loi modifie également le mode de nomination des personnalités extérieures au Conseil d'administration, leur permettant de prendre part à l'élection du président, comme le demandait la Fondation iFRAP. Cette amélioration dont nous nous félicitons doit néanmoins être nuancée. En effet, la loi Fioraso élargit le Conseil d'administration mais ne touche pas au nombre des représentants extérieurs, en conséquence de quoi leur poids diminue mathématiquement dans la prise de décision [6] (Art. 26).

Le secteur privé toujours négligé

Le projet fait de l'alternance une priorité et affiche pour ambition le doublement des étudiants alternants d'ici à 2020 (Art. 15). Il oublie cependant que l'une des clés de la réussite des filières d'apprentissage et d'alternance, est l'implication des professionnels des métiers concernés dans l'élaboration de la formation théorique. Ceci n'est pas évoqué dans le projet de loi. L'Allemagne, souvent citée en exemple dans ce domaine, fait de l'entreprise allemande l'opérateur principal de l'alternance et non l'école ou l'université. En outre, on peut s'étonner qu'une telle importance soit accordée à ce mode de formation dans les niveaux supérieurs au moment même où le gouvernement entend abandonner l'apprentissage pour les jeunes de 14-15 ans.

En ce qui concerne la valorisation de la recherche universitaire, qui devrait être l'un des points de rencontre les plus importants entre l'université et le secteur privé, le projet de loi se contente d'introduire la notion de « transfert » comme l'une des missions de service public remplies par l'enseignement supérieur et la recherche (Art. 5-7). Essentiellement, il s'agit d'apporter une nuance à la notion de valorisation de la recherche qui était déjà présente dans le code de la recherche. La véritable nouveauté réside dans la définition de l'attribution de la propriété intellectuelle d'une découverte : elle revient à l'établissement ou l'unité de recherche à laquelle le chercheur se rattache, et non au chercheur ni à l'entreprise (qui n'entre qu'en bout de chaîne dans le dispositif de valorisation mis en place par le projet).

Le financement de l'enseignement supérieur, grand absent du projet de loi

La question des moyens des universités est passée sous silence dans le projet de loi. Aucune mesure n'est prise pour assurer la soutenabilité financière de l'enseignement supérieur, qui restera fortement dépendant de l'État. Sur ce point la réforme LRU n'a pas encore été pleinement appliquée. Elle offrait une panoplie d'outils auxquels les universités ont recouru de manière inégale : gestion de la masse salariale, dévolution du patrimoine immobilier, création de fondations pour attirer des financements privés, sont autant d'éléments clés d'une véritable autonomie introduite par l'ancien gouvernement qu'une nouvelle réforme aurait dû approfondir et encourager [7].

Le projet Fioraso passe également sous silence le modèle d'allocation des ressources par le ministère. La LRU en 2009 avait introduit le SYMPA (Système de répartition des moyens à la performance et à l'activité) qui s'est avéré difficile à mettre en place et a été progressivement transformé, si bien qu'aujourd'hui, nul ne sait exactement comment le ministère répartit son enveloppe entre les établissements. Les documents budgétaires évoquent simplement pour 2013 un modèle d'allocation qui « conjoint logique d'activité et logique de performance ». Selon un rapport de l'IGAENR publié en 2012, chacune des enveloppes qui composent les dotations des universités : fonctionnement, investissement et masse salariale (celle-ci n'étant pas calculée par le SYMPA), fait « l'objet d'un suivi par des directions distinctes du ministère, ce qui complexifie l'analyse d'ensemble des moyens alloués aux universités ». La rénovation de ce système, fortement préconisée par l'inspection, n'est pas non plus évoquée par le projet de loi.

Conclusion

À l'heure où l'enseignement supérieur a besoin de souplesse et de marge de manœuvre pour se moderniser, le projet de loi de Mme Fiorsao renforce l'étau du centralisme d'un côté, en termes de stratégie et de financement, et des corporatismes internes de l'autre, avec une collégialité sans ouverture.

Plusieurs mesures ont été suggérées par l'IGAENR : renforcement des outils de pilotage, développement des ressources propres, etc. Nous insistons en outre sur les apports multiples aussi bien en termes de moyens que de technologie et de savoir-faire, que pourrait offrir une plus grande implication des acteurs privés. C'est sur la base de la soutenabilité financière et de l'ouverture au reste de la société locale, nationale et internationale, que l'enseignement supérieur français garantira son autonomie, sa capacité d'innovation et la qualité de la formation et de la recherche qu'il délivre.

[1] Loi d'orientation, de programme et de recherche (création des Pôles de recherche et d'enseignement supérieur) en 2006 et Loi sur les Libertés et les responsabilités des universités (Autonomie des établissements) en 2007.

[2] La loi prévoit ainsi la mise en place d'une Stratégie nationale de l'Enseignement supérieur (Article 3) et d'un Agenda stratégique de la Recherche à l'Horizon 2020 (Art. 11) qui se veut une déclinaison nationale de la stratégie Europe 2020 : «  Europe 2020 est la stratégie de croissance que l'Union européenne a adoptée pour les dix années à venir. [...] Concrètement, l'Union européenne a fixé cinq objectifs ambitieux à atteindre d'ici 2020 en matière d'emploi, d'innovation, d'éducation, d'inclusion sociale et d'énergie (ainsi que de lutte contre le changement climatique). » Pour en savoir plus : http://ec.europa.eu/europe2020/inde...

[3] L'exemple invoqué par le ministre de la High Tech Strategy 2020 mise en place depuis 2006 en Allemagne, ne correspond que peu aux ambitions affichés du projet de loi. Nos voisins allemands se sont en effet résolument engagés dans un rapprochement entre les universités et les entreprises sous la forme de clusters autonomes. La première conséquence de leur stratégie, sous-titrée « Idée-Innovation-Prospérité », a été l'accroissement des investissements privés dans la recherche de 19% entre 2005 et 2008[[Rapport publié en 2010.

[4] Contrairement à la recommandation du Comité de suivi de la LRU dans son rapport 2010, qui suggérait que le président puisse prendre seul davantage de décisions en matière de gestion courante.

[5] L'IGAENR a en effet montré que les ressources de l'enseignement supérieur ont augmenté depuis 2007, contrairement à ce que clament les syndicats. Voir : http://cache.media.enseignementsup-...

[6] La situation actuelle est 7 à 8 personnalités extérieures pour un Conseil d'administration variant de 20 à 30 membres (généralement proche de 30 dans les faits), tandis que dans le projet de loi ESR, le Conseil d'administration compte 24 à 36 membres.

[7] En ce qui concerne la gestion de la masse salariale, à la flexibilité que le transfert devait permettre, ont été privilégiées les titularisations massives ; sous l'effet de la loi Tron notamment. À côté de cela, la dévolution du patrimoine immobilier est encore un phénomène marginal ; seuls trois établissements y ont procédé à ce jour. Quant aux fondations, plus de 40 (universitaires ou partenariales) ont été créées mais peu réussissent à lever des fonds significatifs. Les universités qui avaient déjà des liens étroits avec le secteur privé et les entreprises ont montré que la tâche n'était pas impossible (voir par exemple la fondation de l'université Paris-Dauphine ou encore l'école d'économie de Toulouse), et constitue une alternative crédible au tout-État en matière de financement.