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Création du centre national de la musique : une vraie rationalisation ?

Le gouvernement l’a assuré, il cherche à réduire le nombre de comités Théodule et d’opérateurs jugés inutiles et inefficaces. A la clé, une recherche d’économies sans doute plus symboliques que réelles. Le problème est que dans le même temps d’autres organismes sont créés. C’est l’effet noria. Le dernier en date qui devrait rentrer en activité au 1er janvier 2020 est le CNM (le Centre national de la musique), qui devrait fusionner plusieurs organismes existants. Mais comme toujours, le diable se cache dans les détails. Une proposition de loi a été adoptée en ce sens à une quasi-unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale.

Une démarche qui mâture depuis 2011

En Septembre 2011, Nicolas Sarkozy aux prises avec une industrie musicale largement en crise (notamment sous l’effet de la numérisation et du développement du streaming), recevait des mains de deux députés, Frank Riester et Didier Salles, un rapport de mission commandé par le ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, intitulé Création musicale et diversité à l’ère du numérique. Celui-ci proposait déjà la création d’un Centre National de la Musique, dans la mesure où la musique serait « le dernier art vivant qui ne dispose pas d’un centre national, à rebours d’autres disciplines telles que la danse, le livre, le théâtre, les arts de la rue et le cirque ou, bien sûr, le cinéma, avec le plus connu le Centre national du cinéma et de l’imagine animée (CNC), qui fut créé dès 1946…[1] » Les dispositions globales sont alors déjà arrêtées[2] et très proches de celles retenues par la présente proposition de loi : absorption du CNV, du FCM et de l’IRMA, le Bureau Export (Burex) et l’Observatoire de la musique. Mais le projet fut enterré avec l’alternance politique. François Hollande mettant le projet en sommeil.

François Nissen choisit de reprendre le projet. Deux rapports sont alors commandés aux conclusions extrêmement proches, mais avec un volume budgétaire différent. Celui demandé à M. Roch-Olivier Maistre (Conseiller maître à la Cour des comptes), rendu en octobre 2017 prévoyant un budget en augmentation pour la nouvelle structure post-fusion de 50 millions d’euros, puis celui rendu en novembre 2018[3] par les députés Pascal Bois et Emilie Cariou au Premier ministre, qui prévoit une augmentation des moyens financiers du nouvel organisme de 20 millions d’euros (mission de préfiguration).

Une vraie simplification ?

La proposition de loi propose donc de fusionner :

  • Le CNV (centre de la chanson, des variétés et du Jazz) et d’intégrer sa subvention pour charge de service public actuelle de 895.000 euros, ainsi que les 4 millions d’euros qu’il perçoit de la taxe sur les spectacles[4], et des crédits destinés aux contrats de filière (200.000 euros). Il administre par ailleurs la niche fiscale crédit d’impôt phonographique et du spectacle vivant, dont le dernier montant connu (2017) est de 11 millions d’euros, ainsi qu’un fonds d’intervention pour la sécurité des sites et manifestations culturels de 2 millions d’euros ;
  • Le FCM (fonds pour la création musicale), association "professionnelle" financée par une subvention du ministère de la culture (262.000 euros) et par 4,9 millions via une fraction de la part de 25% de la rémunération pour copie privée ;
  • L’IRMA (le centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles) et son budget de 1,6 million d’euros (dont une subvention de 830.000 euros) et des produits d’activité de 535.000 euros ;
  • Enfin le Burex (le bureau export) association financée par les OGC (organismes de gestion collective des droits), dont le budget n’est pas précisé. Le Bureau dispose d’une capacité d’analyse prospective et propose des aides financières et l’accompagnement des projets à l’export.

Mais la rationalisation aura-t-elle vraiment lieu ? Certes, un « comité de préfiguration » a été constitué, mais la volonté du législateur est de ne pas « nationaliser » les structures associatives qu’il projette d’intégrer dans la nouvelle structure. Aussi, « En ce qui concerne le FCM et l’IRMA qui sont des associations, leur dissolution doit être décidée par les membres… » Si les professionnels décidaient de changer d’avis, la fusion proposée n’aurait pas lieu. Au total et hors BUREX, le CNM reprendrait « les contrats en cours », soit un total de 47,8 ETP.

En réalité le projet est malgré tout « inflationniste », ce que reconnaît le rapport annexé à la proposition de loi et que relève la député Brigitte Kuster lors des discussions en commission : « Un CNM, avec les moyens du CNV, c’est croire que l’on peut faire mieux avec autant, voire moins, ce qui est une illusion. 20 millions d’euros : c’est la somme préconisée par le rapport Bois-Cariou, sur laquelle l’ensemble du secteur s’accorde, et il faudra bien nous dire où trouver cette somme. »

Conclusion

La mise en place du CNM est certes un évènement « micro » sur le plan des finances publiques, mais on voit bien comment les mécanismes « inflationnistes » se déploient sous couvert de rationalisation des structures. Alors certes, les associations financées par les pouvoirs publics du secteur ont souvent des gouvernances sous-optimales, mais elles sont issues du secteur professionnel dont elles s’occupent. Avec la création projetée les nominations seront à la discrétion du gouvernement par décret. On semble créer là de nouvelles futures sinécures.

Le Gouvernement pousse pour la création d’un ultime Centre national mais son budget devrait intrinsèquement augmenter sitôt la constitution acquise. Par ailleurs, les questions budgétaires (spécialisation de la loi de finances oblige) sont repoussées au PLF 2020. C’est sans doute une mauvaise façon de procéder parce que les parlementaires doivent accepter la création d’une structure dont ils ne maîtrisent pas ab initio le budget prévisionnel ni les rationalisations projetées. Ils votent donc à l’aveugle. Nous avons là un exemple « micro » de l’inflation des dépenses publiques. On aurait aimé connaître les gages que l’exécutif compte dégager afin de neutraliser les effets budgétaires de cette nouvelle création.


[1] http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r1883.pdf#page=5

[2] https://spedidam.fr/2011/11/rapport-riester-selles/

[3]https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/02/rapport_de_pascal_bois_et_emilie_cariou_-_mission_de_prefiguration_du_centre_national_de_la_musique_-_23.01.2019.pdf

[4] Sur les 35 millions de produits collectés.