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Réforme constitutionnelle d'équilibre des finances publiques

La rigueur en trompe l'œil ?

La réforme constitutionnelle relative à l'équilibre des finances publiques vise à inscrire dans notre Constitution à l'instar de plusieurs de nos voisins européens [1] dont notre partenaire l'Allemagne une « règle d'or » budgétaire afin de remettre nos finances publiques sur le chemin de l'équilibre. Après la conclusion du premier examen à l'Assemblée nationale mardi dernier, il s'avère cependant que si l'attitude est méritoire, la réforme n'est pas drastique et ne règle pas la question d'une surveillance précise, contradictoire et informée de nos finances publiques [2]. Explications.

1) La trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques : des fondations assez imprécises :

Contrairement à notre voisin allemand qui a fait inscrire au sein de sa Loi fondamentale, le principe d'un retour ciblé à un déficit structurel de 0,35% du PIB en 2016, ou la Suède qui impose sur un cycle économique complet un excédent budgétaire de 1% du PIB, la France n'a pas choisi véritablement d'objectif contraignant. Tout au plus, la réforme prévoit-elle d'inscrire au sein même de la Constitution [3] le principe d'un tunnel (plancher de recettes et plafond de dépenses) de retour à l'équilibre des finances publiques qui sera ensuite décliné au sein des lois-cadres triennales qui remplacent les lois de programmation des finances publiques.

Afin de rendre le système plus contraignant que celui existant actuellement, la réforme constitutionnelle prévoit plusieurs garde-fous :
- Au niveau de la conception de la loi-cadre triennale et de la loi de finances (initiale, rectificative mais pas de règlement [4]), se sera le Conseil constitutionnel qui sera saisi de leur constitutionnalité au regard de l'objectif de retour à l'équilibre affiché (et éventuellement des décalages opérés par rapport aux prévisions dans le cadre des lois de règlement [5]), cependant, ce contrôle ne sera qu'un contrôle de conformité sanctionnant l'erreur manifeste d'appréciation entre l'objectif constitutionnel affiché et la loi-cadre qui devra effectivement assurer une trajectoire vers l'équilibre, ou la loi de finances qui devra effectivement converger vers cet équilibre. Le problème c'est qu'en l'état du texte, le conseil constitutionnel ne devra pas estimer la vraisemblance de l'hypothèse de croissance retenue par le gouvernement. Il n'y aura pas de chiffrage contradictoire !
- Au niveau de l'exécution, la Cour des comptes verra ses pouvoirs renforcés en direction du Gouvernement et du Parlement, afin de repérer les écarts par rapport à la trajectoire arrêtée et d'alerter les pouvoirs publics sur les dérives potentielles au moment de l'exécution. La Cour va donc détenir un rôle d'alerteur précoce.

2) Les risques liés au refus de l'introduction d'un Comité budgétaire indépendant :

Tunnel de convergence des finances publiques entre plancher de recettes et plafond de dépenses, mécanisme d'ajustement des écarts renvoyé à une loi organique, possibilité de dérogations en cas de circonstances exceptionnelles précisées elles aussi au sein d'une loi organique, contrôle formel du Conseil constitutionnel sur l'objectif de retour à l'équilibre des lois-cadres et des lois de finances… tous ces éléments démontrent qu'il n'y a pas à l'heure actuelle de consensus pour une gestion plus sûre des finances publiques.
- Le conseil constitutionnel ne peut pas faire office d'organisme de chiffrage indépendant macro-économique. Il n'en a ni les compétences, ni la vocation. Dans le meilleur des cas, s'il veut contrôler de façon la plus éclairée possible la loi déférée à l'hypothèse de retour à l'équilibre, il devra nécessairement s'adjoindre les services d'un organisme indépendant de chiffrage : prévision de croissance, crédibilité de la trajectoire retenue, soutenabilité de l'effort demandé aux administrations (dépenses) ou aux contribuables (impôts) etc. C'est le choix qui a été fait dans de nombreux pays européens au travers des CBI, les Comités budgétaires indépendants, notamment en Grande-Bretagne avec l'OBR (Office of Budget Responsability). Le rapport Camdessus avait dû écarter cette hypothèse à cause de la divergence sur cette question de certains hauts fonctionnaires de Bercy lors des travaux… Le risque, si le Conseil Constitutionnel veut affermir son contrôle, c'est de demander aux mêmes services de prévision que le gouvernement des chiffrages complémentaires. Il n'y aura donc pas vraiment de contrôle éclairé et contradictoire.
- La Cour des comptes qui devra s'intéresser aux écarts d'exécution ne va pas se retrouver dans la position d'un CBI. En effet, bien qu'indépendante, elle ne sera pas habilitée à remettre en question les prévisions gouvernementales, mais les écarts par rapport aux prévisions gouvernementales dans le cadre de l'exécution des lois de finances. Le Parlement pourra bénéficier de ses travaux, mais il ne sera pas plus éclairé en termes de crédibilité des hypothèses retenues. S'il veut proposer ses propres hypothèses indépendantes, il devra disposer de son propre département de chiffrage ad hoc, ce qui repose la question d'un CBI parlementaire, sur le modèle du CBO américain (Congressional Budget Office) pour le moment inexistant en France.

3) L'initiative parlementaire sur-rationalisée avec le monopole des lois financières sur les dispositions impactant les finances publiques :

Afin de verrouiller sa réforme, et dans la mesure où il refuse d'inscrire dans la Constitution un objectif de retour à l'équilibre, le Gouvernement a porté une grande attention à éviter toute dérive en matière de dispositions législatives impactant les finances publiques. A cette fin, et dans le droit fil de la circulaire du Premier ministre du 4 juin 2010 précisant que l'ensemble des mesures fiscales ou relatives aux recettes de la sécurité sociale devaient être exclus des projets de lois des ministères mais réservés aux lois financières, le Gouvernement a décidé de rationaliser l'initiative parlementaire. A l'heure actuelle toute nouvelle mesure avec un impact sur les comptes publiques (en recettes : niches fiscales et niches sociales ; ou en dépenses : crédits supplémentaires etc…) devaient, en vertu de l'article 40 de la Constitution, se trouver « gagées » sur des recettes supplémentaires généralement les accises (tabac et alcool) que l'on augmentait d'une « contribution additionnelle ».

Mais si l'on voulait ainsi « rationaliser » l'activité législative [6], plusieurs options s'offraient aux pouvoirs publics :
- Soit couper les lois en deux, avec une loi portant sur les dispositions elles-mêmes et une seconde portant sur leur volet financier (lois de prélèvement obligatoire).
- Soit autoriser l'ensemble des dispositions tel qu'actuellement et en assurer ensuite la « reprise » en loi de finances (celle-ci déclenchant ainsi leur « activation »).

La question était d'importance car il s'agit de savoir comment dégager au fil du temps un solde d'exécution provisoire des lois de finances à raison de l'activité législative, de façon à pouvoir corriger le tir au fil de l'eau. En réservant aux lois de finances un monopole des dispositions financières, le projet gouvernemental permet de « rationaliser » budgétairement l'activité législative mais risque du même coup de forcer le Parlement à se dédire : ce qui aura été voté par loi régulière tombant ensuite en loi de finances sur le volet financier. Si au contraire on coupe en deux les lois, celles-ci sont votées de concert, mais l'étude d'impact ne peut pas forcément être produite à temps et le coût budgétaire des mesures s'en trouve ainsi mal maîtrisé, bien que le droit d'initiative du Parlement demeure « sanctuarisé ». De plus une telle réforme complexifie le travail parlementaire et impose de facto une primauté de la Commission des finances des deux assemblées sur les autres commissions permanentes.

Le compromis intervenu en première lecture tente de concilier le droit d'initiative parlementaire avec la volonté de « rationalisation » budgétaire. L'initiative parlementaire se voit simplement filtrée par le Gouvernement ou le Président de l'Assemblée quant à la recevabilité des amendements. Le Gouvernement a par ailleurs introduit un second dispositif de sécurité en cas de « complaisance » parlementaire : le vote des dispositions parlementaires pouvant être coûteuses seront déférées automatiquement au Conseil Constitutionnel. En échange, le projet de loi de finances est transmis dès le 15 septembre [7] et le PLFSS le 1er octobre, mais la « surpression » du travail parlementaire pendant les 3 mois de discussion des budgets de l'État et de la sécurité sociale en sort encore renforcée… il n'est pas sûr qu'à l'usage, il ne faille « décaler » le travail de « budgétisation » de l'administration, de façon à permettre un travail du Parlement moins contraint et en conséquence de meilleure qualité.

La complexité du dispositif retenu ne doit pas nous étonner. Elle est directement le produit d'un autre non-choix parlementaire : celui de la création d'un organisme interne de chiffrage, éventuellement partagé entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le modèle du Joint Committee on Taxation américain. En effet, si toute disposition à caractère fiscal avait pu être chiffrée en termes de dépenses publiques et de recettes avec coût brut et coût net (budget dynamique), nul n'aurait été besoin de traquer les propositions et les amendements coûteux pour le Trésor, et de réserver leur monopole aux lois financières (lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale). D'ailleurs aux Etats-Unis la cohérence de l'ensemble en termes de gouvernance macro-économique et macro-budgétaire est complète puisque le Joint Committee est intégré au sein du CBO (Congressional Budget Office) qui est responsable de la prévision économique du Congrès américain. Ainsi, l'articulation dans le suivi des mesures est complète et contradictoire puisque le Trésor américain possède son propre organe de chiffrage (comme la direction du Trésor en France) l'Office of Management and Budget (OMB). En refusant de poser clairement la question de l'indépendance des évaluations et chiffrages, le Parlement français risque donc de voir son droit d'initiative bridé par le monopole financier des lois de finances…

Rien ne dit toutefois que cette « rationalisation » à outrance du travail parlementaire sera suffisante pour palier les carences de la « règle d'or ». Celle-ci devra s'articuler avec le programme de stabilité français dans le cadre du semestre européen qui sera désormais transmis au Parlement et voté. Celui-ci projette les efforts budgétaires français pour un retour vers les critères de Maastricht (déficit de 3% du PIB, endettement dans la limite de 60% du PIB) sur une durée de quatre ans. Or la règle d'or vise l'équilibre tandis que le programme de stabilité vise une règle de déficit public autorisé. Il faudra nécessairement que les ajustements soient très forts dès les premières années de mise en place du dispositif. Par ailleurs, si règle d'or il y a, cela veut dire qu'à l'instar des collectivités territoriales le seul endettement toléré sera celui portant sur les dépenses d'investissement au sens comptable. Or celles-ci actuellement sont de 20 milliards d'€ sur un budget de 380 milliards pour l'État. Elles sont inexistantes pour les lois de financement de la sécurité sociale qui sont par construction des dépenses pures de fonctionnement. En conséquence, cela impose qu'à moyen terme les dépenses de fonctionnement soient à ce point contractées, que la section « fonctionnement » du budget de l'État parvienne à dégager un excédent brut d'exploitation susceptible de soutenir en partie (tendant vers le tout) le service de la dette. Il faudra sans doute même plus, puisque cela suppose qu'il faudra nécessairement programmer à moyen terme un budget équilibré des dépenses de sécurité sociale tout en réorientant l'endettement public en direction stricte de l'investissement. D'ailleurs à cette fin a été mis en place un système de « fongibilité » des dépenses et recettes (tant verticales que transversales) permettant une mutualisation des efforts dans le cadre des lois-cadres entre finances étatiques et finances sociales.

Conclusion :

Il nous apparaît donc que le projet, même atténué, est ambitieux, peut-être même trop s'il est appliqué de façon vraiment orthodoxe, mais en même temps il ne met pas toutes les chances de son côté en termes de crédibilité en évitant le débat de l'évaluation contradictoire : en termes de perspectives macro-économiques (absence de Comité budgétaire indépendant) comme en termes de dépenses (absence de chiffrage via un organisme parlementaire ad hoc type Joint Committee on taxation) permettant d'ailleurs d'avoir un débat dépassionné et efficace en matière de dépenses fiscales et de niches sociales… Reste qu'il faudra par ailleurs, pour que le texte survive, qu'il soit voté de façon comparable par l'Assemblée nationale et le Sénat et qu'ensuite il fasse l'objet en Congrès, d'un vote des 2/3. Une majorité qualifiée qu'il semble à l'heure actuelle bien difficile de dégager… l'autre voie alternative serait celle du référendum, mais les enjeux techniques sont si importants et l'approche transpartisane si introuvable que toute tentative en ce sens pour le moment, apparaît comme vaine. Reste en dernière analyse que l'arbitrage sur l'efficacité supposée ou réelle de la réforme ne nous appartient déjà plus, c'est de la note de la France dont il s'agit. Un point d'augmentation de taux d'intérêt coûterait à la France 2 milliards d'€. Raison de plus pour être (et non paraître) véritablement crédible.

Lire la suite de cet article sur la Réforme constitutionnelle d'équilibre des finances publiques : Acte 2, la pierre d'achoppement du monopole fiscal (juin 2011)

[1] Notamment l'Allemagne, la Pologne et la Suisse, pour les pays européens. La Suède et la Grande-Bretagne utilisent également une « règle d'or », mais elle n'est pas inscrite dans la Constitution.

[2] Relevons d'ailleurs que dans la mesure où la réforme proposée est de niveau constitutionnel, aucune étude d'impact n'a été jointe au présent projet… en l'absence de texte, les pouvoirs publics se sont donc abstenus, dommage.

[3] Et non au sein de la loi-cadre triennale qui devrait « encadrer » les lois de finances des années successives en les faisant converger vers l'équilibre.

[4] Celle-ci demeurant purement comptable.

[5] Voir l'amendement de Jean-Luc Warsmann en ce sens, n°4, déposé au nom de la Commission des lois, permettant un rattrapage des écarts constatés dans l'exécution entre la programmation de la loi cadre, la loi de finances initiale et la loi de finances (rectificative ou de règlement). Seul soucis, les modalités en seront prévues par une loi organique ultérieure… dont on ne sait en réalité rien.

[6] Dont le coût additionnel est actuellement supporté à 85% en volume par la production d'initiative gouvernementale et à 15% par l'initiative parlementaire.

[7] Le délai d'examen ne couvrant qu'à partir de la transmission des derniers documents budgétaires, généralement vers le 15 octobre.