Actualité

Oups, le gouvernement a oublié de supprimer le régime spécial des fonctionnaires

La réforme présentée par la Première Ministre acte, à termes, la suppression des régimes spéciaux puisque les nouveaux embauchés à partir du 1er septembre 2023 seront affiliés au régime général pour la retraite. C'est la clause du grand-père. 

Tous les principaux régimes spéciaux ? Non. Pour être exact, les deux plus importants, à savoir le régime de retraite des fonctionnaires d’Etat et le régime de retraite des fonctionnaires locaux et hospitaliers ne seront pas supprimés. Même s’ils n’apprécient pas d’être assimilés aux régimes spéciaux, les régimes de retraite des fonctionnaires sont bien des régimes spéciaux au sens où ils ne sont pas alignés sur le régime général qui concerne la majorité des Français, notamment les salariés du privé.

L’argument le plus souvent avancé est que les retraites du public sont déjà alignées sur les retraites du privé. C’est vrai, un mouvement de convergence a été entamé avec la réforme de 2003 dite Fillon : alignement des règles de durée d’assurance requise, revalorisation des pensions sur l’inflation, mise en place d’un dispositif de décote/surcote. Ce mouvement s’est étendu avec la réforme de 2010 (alignement du taux de cotisation salarial, l’extinction du départ anticipé pour les parents de 3 enfants et la réforme du minimum garanti).

Pour autant, il reste du travail

Taux de cotisations : si l’alignement prévu en 2010 concernait le taux de cotisation salarial, il ne concernait pas le taux de cotisation employeur qui auto-équilibre le régime. De plus, la mise en application du dernier accord Agirc-Arrco (2019) a conduit à une nouvelle augmentation des taux de cotisation pour les salariés du privé. Augmentation qui n’a pas été appliquée pour les fonctionnaires.

La prise en compte de la pénibilité : celle-ci continue de se faire sous la forme de classement en catégories actives dans la fonction publique alors que le compte pénibilité est individuel dans le privé. Le classement en catégorie active est présumé pour les fonctionnaires appartenant à certains corps (ex. police, administration pénitentiaire, contrôleurs aériens, sapeurs-pompiers, infirmières, aides-soignantes, égouttiers,...) alors qu’il doit être apprécié de façon individuelle pour la pénibilité.

Les limites d’âge, les bonifications, le minimum garanti, les majorations de pensions pour 3 enfants, ou encore la pension de réversion continuent d’être mis en œuvre dans des conditions distinctes entre public et privé.

Le mode de calcul dans la fonction publique

Mais surtout, le salaire de référence et le mode de calcul restent calculés selon des méthodes très différentes. Le salaire de référence est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu des 25 meilleures années (retraite de base) et de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé ; ce salaire de référence, de même que l’assiette des cotisations sociales, excluent les primes. Le ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, avait acté dès cet automne l’intention du gouvernement de ne pas toucher au mode de calcul dans la fonction publique.

Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés du secteur privé (retraite de base). Mais pour les salariés du privé s’y ajoutent les retraites complémentaires (Arrco-Agirc).

Dernier point de différence substantielle : les fonctionnaires sont couverts par un régime supplémentaire en capitalisation obligatoire pour lequel ils cotisent sur leurs primes.

Quel taux de remplacement ?

La comparaison entre public et privé présente des difficultés mais des travaux sont régulièrement réalisés pour estimer l'impact des modes de calcul : l’égalité du taux moyen de remplacement, malgré des règles très différentes, résulte du hasard. Elle masque d’ailleurs d’importantes disparités, chez les fonctionnaires en fonction du taux de primes.

En 2018, la Fondation iFRAP a effectué, à partir d’un échantillon robuste de plus de 4 000 enregistrements, une micro simulation du mode de calcul du privé sur des carrières d’agents de la fonction publique. Nous sommes parvenus aux résultats suivants : l’application des règles du privé présente un différentiel de pension (moindre pension) de -21 % en moyenne sur les 3 générations étudiées. Alors que l’application des règles de la fonction publique conduit à une retraite de 27 847 € sur notre échantillon, elle ne serait que de 21 975 € par an avec les règles du privé. Ce calcul s’entend sans tenir compte des primes perçues pendant la carrière de l’agent puisqu’elles ne sont pas soumises à cotisations.

D’ailleurs une note de la DREES, le service statistique du ministère du travail, a confirmé ces différences en estimant que pour bénéficier d’une retraite quasi équivalente au privé, les fonctionnaires devraient s’acquitter d’environ un quart de cotisations salariales supplémentaires sur leurs primes sur l’ensemble de leur carrière. Ce surcroît de cotisations augmentant avec la part de primes.

La nécessité d’une réforme : un déficit de 30 Mds € pour ces deux régimes

Un dernier point majeur renvoie aux différences de taux de cotisation employeur entre fonctionnaires et salariés du privé : 74,3% pour les fonctionnaires civils d’Etat, 126,1% pour les militaires et 30,6% pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Ces cotisations représentent au total 65 Mds € alors qu’elles ne seraient que de 19 Mds€ si elles étaient alignées sur les cotisations employeur du privé (16,5%).

Les agents publics avancent que cette sur-cotisation correspond au déficit démographique de leur régime et les rapports officiels présentent cette sur-cotisation comme une cotisation d’équilibre sans vraiment chercher quel déséquilibre est ainsi couvert. Une méthodologie désormais reconnue permet d’établir que le besoin de financement des régimes des fonctionnaires est de façon structurelle de 30 Mds €.

Comme l’indique Sophie Bouverin, auteur d’une note publiée par la revue Risques et qui reprend la méthodologie déjà présentée en avril 2022 dans la revue Commentaire, ce besoin de financement clairement établi conduit à réévaluer le déficit réel de notre système de retraite :

  • Loin d’être à l’équilibre comme l’affirme les adversaires de la réforme, notre système de retraites présente déjà un déficit de plus de 1,1% du PIB
  • La couverture des besoins de financement de l’ensemble de notre système d’assurance vieillesse aura contribué à environ près de 160 Mds € de déficits publics sur la période 2017-2021, soit 25% de l’augmentation de 600 Mds € de la dette publique sur cette période

Si on majore les déficits d’ores et déjà confirmés par Olivier Dussopt, ministre du Travail, la semaine dernière dans Le Parisien (12,4 milliards d’euros de déficit en 2027) des besoins structurels de financement des régimes de retraite des agents publics, cela porte à plus de 40 Mds € le besoin de financement réel de notre système de retraite. Avec 10,4 Mds € d’économies, le report de l’âge à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation sont loin de suffire !

Une seule solution s’impose : appliquer aux régimes de fonctionnaires la même réforme que les autres régimes spéciaux, à savoir arrêter d’embaucher au statut et soumettre les nouveaux entrants aux mêmes conditions que les salariés du privé pour leur système de retraite.