Actualité

La SNCF se repaye une retraite "spéciale" sur le dos des Français

Par un accord signé entre les organisations syndicales et la direction de la SNCF, les conducteurs et contrôleurs bénéficieront d’un régime de cessation progressive d’activité encore plus généreux que celui en place actuellement. C’est un contournement de la réforme des retraites qui devait s’appliquer à la SNCF et reporter l’âge de 2 ans pour un cout maximum et annuel que l'on peut estimer à 300 millions d'euros... contre 30 millions aujourd'hui. Une concession pour la paix sociale pendant les ponts de mai et les Jeux Olympiques payée sur le dos des Français. La France serait bien inspirée de demander des contreparties aux syndicalistes comme l’interdiction des préavis de grève illimités, voire un service minimum obligatoire durant certaines périodes de l’année.

« C’est comme s’il n’y en avait pas eu »[1] : voilà ce que pensent les syndicalistes de la SNCF de l’accord signé sur la cessation progressive d’activité qui permet de contourner les effets de la récente réforme des retraites. 

De quoi s’agit-il ? D’un accord sur les fins de carrière des cheminots signé par l’ensemble des syndicats maison, y compris la CGT ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

L’accord prévoit entre autres choses une amélioration du dispositif de retraite anticipée. Voici comment fonctionnaient jusqu’à présent les dispositifs existants (tableau issu du site de la CFDT Cheminots[2]) :

Il est dit que la formule s’applique aux statutaires et aux contractuels.

Les changements obtenus sont les suivants :

Les conducteurs pourront bénéficier d’une cessation anticipée 30 mois (au lieu de 15 mois) avant leur retraite avec 15 mois travaillés rémunérés à 100% (au lieu de 75%)et 15 mois non travaillés rémunérés à 75%.

Pour les contrôleurs (ASCT), le dispositif prévoit 36 mois au lieu de 24 mois actuellement avec 18 mois non travaillés rémunérés à 75%.

Pour mémoire, voici les salaires de fin de carrière pour les professions concernées – chiffres 2016 (données issues du site data.sncf.com[3])

 Rémunération fixe annuelle brute (€)Rémunérations variables, en moyenne de la rémunération fixe
Conducteur44 11910%
Contrôleur35 81619%

Pour le secrétaire fédéral de Sud-Rail, l’accord permet de compenser les effets néfastes de la réforme des retraites.

En effet, les agents de la SNCF (embauchés avant le 1er janvier 2020[4]) devaient voir l’âge légal de retraite remonté progressivement de 2 ans à partir du 1er janvier 2025[5] :

Agents de conduite

  • 52 ans en 2024, puis un report de 3 mois par an pour atteindre 54 ans en 2034
  • 168 trimestres en 2024 puis 1 trimestre par an pour atteindre 172 trimestres (43 annuités) en 2034

Autres agents

  • 57 ans en 2024, puis un report de 3 mois par an pour atteindre 59 ans en 2034
  • 168 trimestres en 2024 puis 1 trimestre par an pour atteindre 172 trimestres (43 annuités) en 2034

Si on prend l’exemple d’un conducteur de train qui fait le choix de la cessation progressive d’activité, la réforme qui devait progressivement porter l’âge à 54 ans, soit 2 ans de plus, lui permettra finalement de partir seulement 9 mois plus tard. 

Par ailleurs, cette mesure aura un impact sur le niveau de retraite puisqu’il faut savoir que la retraite des cheminots se calcule comme pour les fonctionnaires sur le montant des 6 derniers mois travaillés (primes comprises)[6]. De plus, l’accord prévoit la création d’un échelon d’ancienneté supplémentaire pour améliorer la rémunération des cheminots en fin de carrière. L’effet sera d’autant plus renforcé.

Un rapport de 2019 de la Cour des comptes sur la gestion des ressources humaines à la SNCF donnait les chiffres suivants :

On voit que les mesures de CPA représentent environ 30 à 35 millions par an. Les effets de l’accord qui vient d’être signé auront un impact financier d’autant plus important que jusqu’à présent peu d’agents (12% environ) signaient cette cessation progressive d’activité, mais les conditions avantageuses renforceront sans doute l’intérêt des agents.

Mais surtout les effets se cumuleront dans le temps puisque la mesure va améliorer la retraite et couter plus cher en termes de cotisations à la charge de l’entreprise et de l’Etat qui subventionne à hauteur de 3,2 milliards € chaque année la caisse de retraite des agents SNCF. Ainsi, les contribuables n’ont pas fini de payer les conséquences de cet accord !

C’est d’ailleurs la même analyse qu’avait faite la Cour des comptes de la réforme du régime spécial de retraite des agents de la SNCF en 2008 : les concessions pour obtenir un accord avaient été nombreuses :

  • Intégration de primes,
  • Echelons supplémentaires, 
  • Supplément de rémunération permettant d’annuler la décoté pour certaines catégories d’agents,
  • Et déjà le compte épargne temps de fin d’activité et la cessation progressive d’activité.

La Cour des comptes estimait que pour la période 2011-2020, les gains cumulés pour le régime, de l’ordre de 4,1 Md€, étaient inférieurs aux coûts cumulés pour l’entreprise évalués à 4,7 Md€. (…) À plus long terme, les réformes portant sur le recul de l’âge de départ et l’allongement des durées de cotisation devraient entraîner un gain net de l’ordre de 1,2 Md€ en 2035. Toutefois, les mesures d’accompagnement, qui, aujourd’hui, constituent des gains pour le régime en élargissant l’assiette de cotisation et en augmentant les cotisations perçues, viendront à terme réduire, voire annuler, l’impact positif des réformes, le régime continuant à servir des pensions majorées par ces dispositifs[7].

Et ce n’est qu’une partie des avantages liés à la gestion des ressources humaines à la SNCF. En  2019, la Cour des comptes avait évalué à 700 millions d’euros les surcoûts liés politique sociale de la SNCF (rémunération, temps de travail, absentéisme, aides sociales,…)  Un coût d’autant plus difficile à justifier que le système ferroviaire français bénéficie de nombreuses subventions publiques :

Le site Fipeco de F. Ecalle a mis à jour le calcul publié dans le rapport Spinetta de 2017[8]

Source : Fipeco (2021 et 2022), Rapport Spinetta (2016).

Au total c’est donc 20 milliards € de contributions publiques que payent les contribuables pour le système ferroviaire dans son ensemble, sachant qu’il est encore bien peu ouvert à la concurrence et que les billets de train ne sont pas particulièrement bon marché.

Décidément la paix sociale coûte cher aux Français ! Le gouvernement devrait en contrepartie mieux encadrer le droit de grève dans les services publics et notamment le secteur des transports terrestres de voyageurs. En prenant exemple sur l’Italie, il serait possible d’interdire les préavis de grève illimités par la définition de périodes courtes où les grèves sont interdites (Noël, etc.) ou imposer l’exercice d’un service minimum effectif.                                                                                                        


[1] https://www.leparisien.fr/economie/cest-comme-sil-ny-en-avait-pas-eu-comment-la-sncf-est-parvenue-a-adoucir-la-reforme-des-retraites-18-04-2024-A26ZJWAA6BDTXONX3KQYHITSGA.php

[2] http://fgaac-cfdt.com/spip.php?article409

[3] https://ressources.data.sncf.com/explore/dataset/remuneration-2012-2015/table/?sort=metier

[4] Les embauchés depuis cette date ne sont plus soumis au régime spécial de retraite de la SNCF

[5] https://www.capital.fr/votre-retraite/reforme-des-retraites-quand-lage-de-depart-va-t-il-etre-recule-a-la-sncf-1483096#:~:text=En%20parall%C3%A8le%2C%20la%20dur%C3%A9e%20de,de%2057%20%C3%A0%2059%20ans.

[6] https://www.la-retraite-en-clair.fr/parcours-professionnel-regimes-retraite/regimes-speciaux-retraite/retraite-agents-sncf

[7] https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-07/20190716-rapport-regimes-speciaux-retraite.pdf

[8] https://fipeco.fr/commentaire/Le%20co%C3%BBt%20de%20la%20SNCF%20pour%20les%20contribuables%20en%202022