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Oui, il faut mieux encadrer le droit de grève dans les services publics

Mieux encadrer le droit de grève dans les services publics devrait se concentrer avant tout sur le secteur des transports terrestres de voyageur. Sur ce segment, la Fondation iFRAP estime que les modalités tirées de l’exemple italien sont importables en France moyennant quelques adaptations, qu’il s’agisse avant tout de la suppression des préavis de grève illimités par la définition de périodes courtes où les grèves sont interdites, ou que certaines mesures soient prises pour imposer l’exercice d’un service minimum effectif.

Aux termes de l’article L.2512-2 du Code du travail, confirmé par la jurisprudence[1], toute grève doit être précédée d’un préavis de cinq jours donnés par un syndicat représentatif qui mentionne l’heure du début et la durée (limitée au non) de l’arrêt de travail. La grève illimitée ne prenant fin que lorsque le syndicat représentatif qui a déposé le préavis, prononce la fin de la grève et la reprise du travail. Ainsi « un syndicat qui a déposé un préavis de grève il y a plusieurs années et n’a jamais prononcé la fin de la grève » ne peut permettre de déterminer si la grève est terminée, même en cas de reprise effective du travail. C’est ainsi par exemple que la distribution du courrier a été interrompue dans les Hauts-de-Seine depuis le 26 mars 2018 et que celle-ci n’a pris fin que le 2 juillet 2019 (Sud-PTT) soit 463 jours de grèves plus tard, en vertu… d’un préavis courant depuis 2015.

Avec l’édiction de la loi de 2007 sur la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (dont SNCF et RATP), le dépôt du préavis a été subordonné à une négociation préalable entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives envisageant ce dépôt. Le délai entre l’information sur l’intention de faire grève et le début d’un éventuel mouvement a été porté dans ce secteur économique particulier de 5 à 13 jours. En pratique cependant les salariés doivent se déclarer 48h avant le début de la grève et l’entreprise prévenir les usagers 24h avant la grève afin de préparer un plan transport. Cependant la limitation principale de la loi de 2007 provient du fait que la négociation avec l’employeur en amont n’a aucun effet « lorsque le motif de la grève dépasse l’entreprise elle-même et vise des revendications que l’employeur ne peut satisfaire. » Elle n’introduit pas non plus de service minimum dans les transports publics terrestres de voyageurs. Celui-ci peut être cependant contractualisé en Île-de-France entre l’autorité organisatrice de transport (IDF-Mobilité) et les entreprises concernées (SNCF[2] et RATP[3]) :

  • Assurer un service minimum sur les axes lignes structurantes du réseau :
  • Garantir un moyen de transport pour les voyageurs des derniers trains en mettant en place des bus de substitution ou en renforçant les lignes régulières de noctiliens ;
  • Assurer une gestion efficiente des flux de voyageurs.

Les modalités contractualisées en cas de grève entre IDF-Mobilité, la SNCF et la RATP

  • Contrat AOT-SNCF : article 23-1 : « lorsque le service prévisible est inférieur ou égal à 75% du service contractuel de référence sur une ou plusieurs lignes (…) IDF Mobilité demande à SNCF Voyageurs d’assurer au moins 50% de l’offre de référence aux tranches horaires de 6h à 10h en matinée et de 16h à 20h en soirée, au global sur l’ensemble des lignes RER, Transilien et trams-trains. Et pour les RER A et B co-exploités avec la RATP, SNCF voyageurs s’engage à assurer (…) 50% de l’offre de référence » sur ces mêmes tranches. Sur les autres lignes et suivant les conflictualité, des plans transports sont mis en place en fonction du niveau : niveau 1, 33% de l’offre de référence, niveau 2 50% de l’offre de référence, niveau 3, 60% de l’offre de référence.
  • Contrat AOT-RATP : article 12-1 1) : pour les RER A et B, 33% de l’offre réellement prévue sur la journée sur chacune des branches de RER, 50% aux horaires de pointe (7h30-9h30 et 16h30-19h30), et mise en place de plans de transports adaptés « dans la mesure des ressources disponibles » avec une offre de transport « au moins égale soit à 50%, soit à 75% de l’offre de référence (…) sans rupture d’interconnexion. »

Désormais, pour autant que le législateur le prévoit, la cessation du travail ne peut pas intervenir à l’initiative de travailleurs hors du cadre syndical[4], tout en laissant « entière liberté à chaque salarié de décider personnellement de participer ou non à celle-ci. » Un mécanisme similaire a été institué par la loi de 2008 relative au droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires, qui là encore impose une obligation de déclaration préalable à l’employeur, par les travailleurs, de leur intention de participer à la grève[5]. La loi « Diard » du 19 mars 2012 a étendu une partie des dispositions de la loi de 2007 au transport aérien.

Le service minimum instauré en cas de grève dans les hôpitaux

Le principe du service minium hospitalier en cas de grève a été introduit comme pour l’ensemble de la fonction publique par la loi n°63-777 du 31 juillet 1963 relative aux modalités de la grève dans les services publics, puis précisée par l’article R 128 du code des tribunaux administratifs et par les circulaires n°2 du 4 août 1981 et N° 82-5/DH8D du 22 mars 1982 relative à l’exercice du droit de grève dans les établissements d’hospitalisation publics[6].

En vertu de ces dispositions légales et de la jurisprudence il apparaît que le service minimum dans la fonction publique hospitalière établit « un service minimum (…) pour assurer un seuil normal de sécurité ». A cette fin la jurisprudence considère que les effectifs présents doivent être ceux d’un dimanche ou d’un jour férié. Bien que ce seuil soit l’objet de discussions et de négociations pour l’organisation de la grève dans chaque établissement.

Le directeur doit limiter le service minimum aux seuls services dont le fonctionnement est indispensable (CE. 16 juin 1982 CH Forbach, Req.24.016) c’est-à-dire « aux seuls services dont le fonctionnement ne saurait être interrompu sans risques sérieux, ce qui exclut par exemple une recette de consultations externes.[7] » Deux modalités de mobilisation des personnels sont prévues :

  • L’assignation des agents de l’hôpital à l’initiative du directeur sous le contrôle du juge administratif.
  • La réquisition des personnels prononcée par le préfet, prévue par la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 (art.3) sur la sécurité intérieure qui instaure le pouvoir de réquisition du préfet sur le personnel public de santé ; dans le cas de la grève des urgences de ville dans le but d’assurer la permanence des soins ;

Pour autant des pays européens sont allé plus loin et ont imposés comme l’Italie une interdiction de grève à durée illimitée dans les services publics jugés essentiels qu’elle définit dans les lois du 12 juin 1990 et du 11 avril 2000 comme ceux « ayant pour objet de garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la Constitution : droits à la vie, à la santé, à la liberté et à la sécurité, à la liberté de circulation, à l’assistance et à la prévoyance sociale, à l’éducation et à la liberté de communication. »

L’approche italienne se traduit dans les transports par la garantie :

  • D’un service complet pendant 6 heures/jour subdivisé en deux tranches horaires (6-9 heures et 18h-21 heures)
  • Un service de déserte des banlieues et des liaisons longue distance ;
  • Des périodes où les déplacements sont les plus massifs (vacances d’été, Noël, Pâques et consultations électorales).
  • Respecter un préavis d’au moins 10 jours déterminant la durée de la grève qui ne peut pas être illimitée et communiquer aux usagers les principales caractéristiques du service minimum et les mesures de retour à la normale prévue à l’issue de la grève au moins 5 jours avant le début de la grève.

En l’état actuel du droit, le Conseil constitutionnel considère qu’il est possible de prévoir des restrictions au droit de grève pour la continuité d’un service public jusqu’à en réquisitionner les membres. De plus le Préambule de la constitution de 1946 qui dispose à l’alinéa 7 que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », est tout à fait similaire aux dispositions de l’article 40 de la Constitution italienne. Le Conseil constitutionnel considère que l’alinéa 7 du Préambule de 1946 a consacré « une réserve de compétence législative », c’est-à-dire une compétence originaire de la loi pour déterminer les conditions de mise en œuvre du droit de grève et ses limitations. Depuis sa jurisprudence de 1979[8] le Conseil constitutionnel a jugé que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit des limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle. »

Il nous semble donc faisable juridiquement qu’une restriction spécifique concernant un service public essentiel comme celui des transports terrestres puisse être imposée au droit de grève introduisant une absence de durée illimitée de la grève dans ce secteur – par la définition de périodes interdites au cours de l’année – bannissant par la même la pratique du dépôt de préavis illimités.

Sur l’éventuelle inconstitutionnalité de l’interdiction de la grève à certaines périodes

Une proposition de loi récente de la députée de Vendée Véronique Besse vient d’annoncer le dépôt d’une proposition de loi s’inspirant de la loi italienne : « toute grève est interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés. [9]» Cette approche a été critiquée comme une proposition de loi « trop disproportionnée par rapport à l’intérêt général » au nom du fait que cette rédaction aboutirait à interdire toute grève durant « 20 semaines de vacances et 13 jours fériés » soit « presque la moitié de l’année ».

Ce problème rédactionnel peut être facilement contourné en proportionnalisant davantage le dispositif annoncé :

  • Le législateur pourrait ne viser que les veilles de vacances et leurs deux derniers jours, ce qui limiterait les grèves sur seulement 12 jours par zone (A,B,C). Avec une possibilité de modulation en fonction des zones ;
  • Le législateur pourrait viser comme en Italie les périodes électorales ;
  • Il pourrait également insérer spécifiquement la période du baccalauréat écrit soit 9/10 jours supplémentaires.

Dans ce cadre, le principe de proportionnalité pourrait être respecté.

L’éventuelle création simultanée d’un véritable service minimum dans les transports terrestres de voyageurs supposerait d’introduire en sus une possibilité de réquisition des salariés grévistes, ce qui nous semble cependant assez hasardeux. Cette réforme supposerait que les AOT (autorités organisatrices de transport) définissent un niveau minimal de service correspondant aux besoins essentiels de la population (durée du service minimum, horaires, volumes des transports), tandis que les préfets procéderaient à la réquisition des salariés grévistes non plus seulement sur la base juridique d’une menace imminente à l’ordre public mais plutôt sur celle de l’atteinte à la continuité d’un service public essentiel. La conciliation entre le droit de grève et les besoins essentiels de la population telle que celle d’aller et venir étant réalisée par la création d’un service public minimum dont la consistance devrait être déterminée in concreto afin de l’adapter aux circonstances et aux besoins.

Il semble que c’est à ces conditions que l’on pourrait adapter les dispositions du droit italien dans notre droit national. Pour cela il serait nécessaire :

  • De mettre en place par voie législative, des périodes critiques où toute grève dans les transports terrestres de voyageurs est interdite (mettant fin de facto aux préavis de grève illimités dans ce secteur spécifique) ;
  • Imposer que les préavis de grèves dans ce secteur contiennent l’ensemble des modalités de la grève et de son achèvement (date de début et de fin de grève, modalités du service minimum[10], mesures de retour à la normal) et que sa notification au public soit connue au moins 5 jours avant le début de la grève comme en Italie.
  • Définir les modalités d’un service minimum pendant les périodes de grève durant lequel 100% des capacités opérationnelles sont mobilisées… mais par rapport aux capacités de fin de semaine (samedi et dimanche), à l’instar des modalités définies par les normes et la jurisprudence en matière hospitalière (tout en autorisant entre 33% et 50% comme dans les conventions IDF-Mobilités SNCF/RATP lorsque celles-ci sont plus importantes). Les modalités pratiques pourraient être définies par les AOT et les personnels nécessaires afin d’atteindre l’ensemble de ces objectifs.

[1] https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190208710.html

[2] https://www.iledefrance-mobilites.fr/medias/portail-idfm/f9c7504b-b46f-48cb-869a-a7e0b12a659f_Contrat+IDFM_SNCF_2020-2023_VDef.pdf#page=47

[3] https://www.iledefrance-mobilites.fr/medias/portail-idfm/508f1d8f-9743-48d1-ba0f-bdd3470e0048_CONTRAT_IDFM-RATP_2021-2024.pdf#page=255

[4] sauf exercice du droit de retrait (totalement individuel), mais qui n’est pas « connecté » en tant que tel au droit de grève. Il s’agit de faire face à un danger imminent.

[5] https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/droit-de-greve-et-liberte-syndicale-dans-la-jurisprudence-constitutionnelle-des-libertes

[6] https://sofia.medicalistes.fr/spip/spip.php?article161

[7] Mais aussi, la sécurité physique des personnes, la continuité des soins et des prestations hôtelière aux hospitalisés, la conservation des installations et des matériels, CE, 7 janvier 1976, CHR d’Orléans.

[8] CC. Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979.

[9] https://www.tf1info.fr/politique/une-deputee-veronique-besse-souhaite-interdire-les-greves-pendant-les-vacances-est-ce-possible-2246911.html

[10] Que celui-ci soit d’origine contractuelle, conventionnelle ou légale au cas où cette modalité serait elle-aussi introduite par la loi.