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L'image de la France à l'étranger

Rayonnement culturel ou bureaucratique ?

Exclusif - Témoignage d'une expatriée au sein du Service de Coopération et d'Action Culturelle, Ambassade de France, USA.
Je savais en bouclant mes valises pour l'Amérique du Nord, qu'un nouveau monde serait à découvrir. Qu'il me faudrait intégrer un nouveau langage, de nouvelles coutumes, surmonter mes perplexités face à des référents étranges et surtout, apprivoiser un environnement nouveau… Mais ce que je ne savais pas encore c'est que j'allais découvrir les rouages de la représentation culturelle française à l'étranger, une administration qui ne connaît pas la gestion des ressources humaines, l'audit, et encore moins l'efficacité.

9 h 15, un lundi de septembre 2005

Elle : C'est toi qui as pris mes Paris Match ?

– Euh, bonjour, non, j'arrive à l'instant…

– Alors je t'explique : les Paris Match, je veux bien les prêter mais ils s'appellent « reviens » ! Là je rentre de vacances et il y en a six qui ont disparu…

– Vous savez où est le responsable du service ? Je commence à travailler ce matin…

L'utilité d'une coordination des activités culturelles et éducatives de la France à l'étranger, véritable outil diplomatique au service de notre pays, est indéniable. Cependant, un examen approfondi laisse parfois dubitatif quant à l'efficacité de cet atout, tel qu'il est géré aux Etats-Unis.

Le « SCAC » – comprendre Service de Coopération et d'Action Culturelle – de l'Ambassade de France aux Etats-Unis, a pour mission de coordonner les dix « services culturels » répartis sur l'ensemble du territoire américain, et d'assurer la promotion de la culture française aux Etats-Unis à travers l'organisation d'événements ponctuels, la promotion de la langue française, le développement de partenariats universitaires, le service des stages en France pour les étudiants américains, ou encore l'aide à la coopération des ONG françaises et américaines et le soutien aux ONG françaises présentes aux Etats-Unis. Plusieurs observations s'imposent, quant à l'organisation et au contenu de ces missions.

« Notre directeur (un haut fonctionnaire) ignorait la langue anglaise »

Ainsi, la trentaine d'employés rattachés au siège de ce service aux missions pléthoriques, est répartie entre Washington D.C… et New York. Première irrationalité, qui entraîne mécaniquement surcoûts (déplacements, dédoublement de certaines tâches administratives, frais postaux) et pertes de temps (défauts de coordination entre agents, renvoi de responsabilités, « oubli » de dossiers). Des défauts aggravés par l'absence d'organigramme au sein des deux entités. Ainsi, le SCULE – Service de Coopération Universitaire, Linguistique et Educative –, partie du « SCAC » basée à Washington, se caractérise par son incapacité à produire un organigramme représentant les missions de sa quinzaine d'agents. La question revient pourtant régulièrement lors des réunions de service, sans trouver de réponse… certains agents n'étant tout simplement pas en mesure de dresser une liste claire de leurs attributions, puisque celle-ci ne semble pas leur avoir été communiquée au moment de leur prise de fonction. L'incohérence de l'organisation se double en conséquence de dissensions personnelles quasi-hebdomadaires, sur le thème de l'excès de travail des uns ou d'empiétements sur la mission des autres. On en aboutit parfois à des situations ubuesques où une discorde entre agents de New York et Washington peut conduire à l'abandon pur et simple d'un rapport déjà effectué, mais qui ne sera jamais transmis au Quai d'Orsay.

« Il n'y a même pas d'organigramme »

Le contenu même de certains programmes peut laisser rêveur l'observateur novice. Exemple éloquent d'une activité contre-productive pour l'image de la France : le « programme de stages » de l'ambassade. On peut légitimement se demander ce qui pousse l'ambassade de France aux Etats-Unis à s'ériger en bureau des stages semi gratuits pour étudiants américains souhaitant passer quelques mois au sein d'un organisme français, privé ou public. Les objectifs initiaux sont louables : il s'agit d'attirer sur notre territoire des étudiants brillants issus d'universités prestigieuses, dans le but de leur faire découvrir le dynamisme du monde économique et associatif français en leur facilitant à la fois les démarches administratives et la recherche de stage. Juste visée, si certains détails de la mise en oeuvre du programme ne révélaient un manque de responsabilité manifeste. Parmi les offres les plus savoureusement décalées, retenons la généreuse proposition d'un stage rémunéré (à hauteur de 30 % du SMIC) de « serveur à temps partiel » pour une célèbre chaîne de glaciers d'origine américaine ! On imagine « l'image positive du dynamisme économique français » qu'en retiendra l'étudiant américain. Pire, des stages sont proposés au sein d'un certain nombre d'ONG… parmi lesquelles certaines sont réputées pour leurs positionnements anti-américains assumés de longue date. Là encore, par défaut de contrôle et manque de professionnalisme, le résultat est probablement loin de celui escompté par les initiateurs de ce programme.

En l'espace de quelques jours, le nouvel arrivant est donc amené à intégrer que ce milieu où l'on se préoccupe en rentrant de vacances de la disparition de son hebdomadaire favori est aussi celui où l'on enclenche son répondeur à 16 h 50« parce qu'ils appellent toujours à 17 h – on risquerait de rester une demi-heure de plus ». Un environnement où le transfert d'informations et la communication entre agents font figure d'exception – quitte à travailler en doublon sur un même thème, parfois sciemment. Où un haut fonctionnaire peut être nommé à la tête du service de Washington, sans évaluation de sa capacité à s'exprimer dans la langue de Shakespeare. Où les notions d'audit et de gestion des ressources humaines soulèvent, au mieux, haussements d'épaules désabusés, regards perplexes, ironie, voire hostilité. Un « service public », enfin, totalement coupé d'usagers-payeurs oubliés au profit des querelles entre agents. Détails croustillants qui ne sont qu'effets pervers d'une administration pléthorique au point de perdre le contrôle sur les objectifs et l'exécution de ses missions, et d'oublier les principes les plus élémentaires d'une organisation rationnelle, efficace, et productrice de résultats au service de l'image de la France.