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C’est le moment de créer une prime de présentéisme dans la fonction publique

Le gouvernement se prépare à présenter une réforme sur la rémunération des agents publics. Réforme qui pourrait inclure une baisse de la rémunération indemnitaire et une augmentation du traitement indiciaire. Pour traduire, ce nouveau "tranfert primes-points" revient à augmenter le traitement de base et à baisser le volume des primes, tout en réorientant ces dernières pour mieux prendre en compte la performance des agents. La Fondation iFRAP propose d'y ajouter la prise en compte de l'assiduité, en calibrant 50% du nouveau régime indemnitaire sur le présentéisme des agents. Un type de prime qui a déjà fait ses preuves dans certaines collectivités locales, avec l'assentiment des organisations syndicales (ce qui explique le maintien de ce type de dispositif pourtant peu stable sur le plan légal).

Très récemment, un collectif de fonctionnaire (Sens du Service public) s’était ému du tassement des grilles indiciaires sous l’effet de l’augmentation du SMIC au 1er janvier 2023 de 1,8%. Dans les faits, et malgré l’augmentation de 3,5% de la valeur du point d’indice intervenue le 1er juillet 2022, la hausse du SMIC intervenue au 1er janvier 2023 a bénéficié à 400.000 agents publics. Désormais un agent public de catégorie C du 1er au 8ème échelon a une rémunération supérieure de 7 euros/rapport au SMIC mensuel, un agent de catégorie B au 1er échelon une rémunération supérieure de 14,55 euros et enfin un agent de catégorie A, supérieure de 179 euros. Et le collectif d’en conclure que pour porter solution à ce problème d’attractivité il pourrait être défini « une formule d’indexation des salaires des fonctionnaires » à l’inflation. Une solution qui ferait revenir la fonction publique dans un état antérieur à 1983, où le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy avait alors au nom de la lutte contre l’inflation prononcé la désindexation des salaires sur les prix. Une solution engagée afin de conjurer la boucle prix-salaire. En réalité, cette difficulté pourrait être contournée en réformant la répartition entre la rémunération statutaire et le régime indemnitaire, permettant de valoriser la « manière individuelle de servir » notamment en valorisant le présentéisme.

Réformer l’architecture des rémunérations pour combattre l’écrasement de la grille des salaires

Pour conjurer cette difficulté l’Exécutif semble caresser l’idée d’une réforme de la rémunération des fonctionnaires et des carrières à compter de février 2023. Les réflexions vont bon train mais si l’architecture du nouveau dispositif n’est pas connue, il s’agirait de sortir progressivement d’une superposition d’un régime indiciaire repesé dans le cadre de la réforme PPCR (pour protocole sur les parcours, carrières et rémunérations) lancé en 2015 et d’un système de primes réaménagées dans le cadre du RIFSEEP (régime indemnitaire des fonctionnaires tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel) dont le déploiement a progressivement été abandonné dans certains ministères comme à la DGFiP où les parts indemnitaires de rémunérations étaient les plus importantes[1].

La réforme proposée pourrait proposer une déclinaison en 3 volets[2] selon Jean-Ludovic Silicani :

  • Une part de rémunération indiciaire liée au grade de l’agent (grade dont il est propriétaire) ;
  • Une part de rémunération indiciaire liée à la fonction exercée (qui peut varier en fonction du déroulement de la carrière)
  • Une part de rémunération liée à son engagement et à sa manière de servir qui serait dotée de la composante indemnitaire, et qui n’apparaîtrait qu’au bout d’un an de service. Cette dernière composante pourrait avoir une composante individuelle ou collective.

Il va sans dire que si cette approche était retenue, elle déboucherait obligatoirement sur un renforcement de la composante indiciaire au détriment de la composante indemnitaire. Dit autrement elle occasionnerait nécessairement un nouveau transfert primes-point. En gros la part de primes serait abaissée pour laisser le compartiment indiciaire monter en puissance.

Comme le relevait déjà le rapport Simonpoli-Pény du 14 mars 2022[3] : « En moyenne en 2019, 76,4% de la rémunération des fonctionnaires était issue du volet indiciaire (…) [contre] 23,6% de leurs rémunérations sous forme d’indemnités », montant plus important que dans le privé (19,7%). Tout en notant bien que « la part de primes dans la rémunération des agents publics est croissante avec la catégorie hiérarchique (…) au sein des catégories A+ et des cadres de catégorie A, les primes représentent globalement entre 30% et 40% du salaire brut moyen des agents (…) 44% du salaire brut des personnels d’encadrement supérieur et de direction de l’Etat, (…) 41,4% [dans la territoriale] (…) 49,2% [dans la fonction publique hospitalière].

On peut en conclure que le transfert primes-point pourrait être conséquent à cause de l’effet 1ère année de carrière, mais aussi dans la mesure où le RIFSEEP dans les faits a vu sa composante IFSE (indemnité liée à la nature du poste occupé) par opposition au CIA (complément indemnitaire annuel lié à la performance individuelle) représenter en pratique « la quasi-totalité du volet indemnitaire et repose(r) largement sur des mécanismes de revalorisation automatique. [4]»

Il n’existe pas aujourd’hui de statistique à jour sur le volume financier du dispositif RIFSEEP. Retenons simplement que le dispositif n’a été déployé qu’au bénéfice de 360.000 agents au niveau de la FPE, soit 15% des effectifs. Au contraire dans la FPT le déploiement du RIFSEEP concernerait 83% des communes de 3.500 à 20.000 habitants et concernerait près de 75% des collectivités territoriales. On peut donc en espérer compte tenu de la répartition de ces dernières que plus de 80% des agents territoriaux sont couverts par ce dispositif.

Si l’architecture retenue consistait à faire rentrer une partie importante du RIFSEEP dans la part indemnitaire liée au poste, tout en faisant monter en puissance la part CIA afin de tenir compte de la manière individuelle et collective de servir, la part de prime pourrait décroître significativement de l’ordre de 10 points, la part indiciaire pourrait passer de 76,4% à près de 86%... voir au-delà.

Si d’un point de vue budgétaire le transfert de ses composantes ne pourra pas être quasi-neutre pour le pilotage de la masse salariale car la simplification de l’architecture des primes et leur conversion partielle en « traitement indiciaire » devrait avoir des effets d’alignement par le haut. Par ailleurs s’agissant des cotisations retraites assumées par les employeurs hospitalier et locaux (CNRACL) ou d’Etat (contribution au CAS Pensions) toute augmentation du traitement indiciaire ouvrirait droit à une retraite majorée. Mais se coût initial intégré, il pourrait être pondéré de façon beaucoup plus importante par « la manière de servir », ce qui supposerait que la majorité des primes non liées au poste (qui seraient reversées dans le traitement hors primes) soient fusionnées et réorientées dans un compartiment proche du CIA actuel.

L’opportunité de permettre par la loi la mise en place d’une prime d’assiduité

Actuellement, la mise en place d’une prime d’assiduité est rendue impossible dans la fonction publique du fait de son inexistence au sein de la Fonction publique d’Etat et en vertu de l’application des principes de primauté (de la FPE) et d’égalité dans les deux autres versants de la fonction publique (FPH/FPT). En clair, il n’est pas possible d’appliquer une disposition indemnitaire au sein de la FPT ou de la FPH qui ne serait pas légalement prévue dans la FPE[5].

Fort de ce constat il apparaît que l’assiduité ne peut pas faire l’objet d’une prime dans la FPT ou dans la FPH dans la mesure où cette prime n’existe pas pour les fonctionnaires d’Etat en l’état du droit. Mais là encore le droit peut évoluer[6] et nécessiterait une mesure législative spécifique et explicite.

Est-ce à dire que toute prise en compte de l’assiduité des agents est impossible à droit constant ? Sans doute pas, des solutions existent :

  • Ainsi, il n’est pas obligatoire de maintenir le régime indemnitaire en cas de congé maladie. Il est donc possible de sanctionner les agents en arrêt financièrement, mais pas de valoriser ceux qui ne le sont pas. Ainsi dans la commune de Auchel, « le régime indemnitaire est supprimé à partir du 11ème jour d’arrêt sur l’année glissante en cas de maladie ordinaire et du 16ème jour en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.[7] » Il est par ailleurs obligatoire de supprimer l’IFSE en cas de congé de longue maladie ou de longue durée (CE 21 novembre 2021 n°448779 Ville de Charleville-Mézières[8]).
  • Il est également possible non pas de dédier une part de CIA (complément indemnitaire annuel) à l’assiduité, mais de proratiser le CIA selon le temps de présence en appliquant un coefficient d’assiduité suivant une formule de calcul de type 1 pour six jours d’absence autorisés, 0,7 de 7 à 10 jours, 0,4 au-delà. C’est le cas des dispositions pratiquées dans la Commune de St-Loubès en Gironde.

La réforme de l’architecture des rémunérations dans la fonction publique pourrait ainsi être l’occasion de mettre en place une prime de présentéisme en faveur des agents, avec une base légale et un volume qui dépendrait de l’ambition de la bascule primes/traitement.  

Nous proposons de réduire la part indemnitaire à 10%, l’ensemble des primes telles que la NBI, le Complément familial de traitement (CFT), l’indemnité de résidence (IR) et d’autres primes non intégrées au sein du RIFSEEP seraient basculées dans la part indiciaire (pour l’ensemble des primes indexées), tout comme la majorité de l’IFSE (primes et indemnités liées à la fonctionà). La part indemnitaire serait réduite au compartiment actuel du CIA dont l’espace représenterait 10% de la rémunération totale.

  • 50% de cette prime (donc 5% de la rémunération totale) serait consacrée à l’atteinte individuelle des objectifs par le fonctionnaire (prime de performance).
  • 50% de cette prime (donc 5% de la rémunération totale) serait constituée par une prime de présentéisme déterminée par la loi.

Répartition en %

Part indiciaire

Part indemnitaire

Autres

RIFSEP

RIFSEP

NBI, CFT, IR etc.

IFSE

CIA

Avant réforme

76,4

23,6

Inconnu

91,7

8,3

Situation du privé

80,3

19,7

 

 

 

 

Part indiciaire

Part indemnitaire

Part liée à la fonction

Part liée à la manière de servir objectifs

Part liée au présentéisme

Après réforme proposition iFRAP

90

10

0

50 (5)

50 (5)

 

Réforme des rémunérations et retraites

Le ministre de la fonction publique a fait savoir qu’une réflexion était en cours sur les carrières et rémunérations des fonctionnaires. Une des conséquences serait le fameux “transfert prime-point”. Un transfert dont l’impact sur la retraite des fonctionnaires devrait être évalué car actuellement seul le traitement de base fait l’objet de cotisations pour le régime de retraite des fonctionnaires. Autrement dit, inclure les primes dans le traitement indiciaire reviendrait à accroître les droits à la retraite des fonctionnaires puisque leur retraite est calculée sur la base du traitement indiciaire hors primes des 6 derniers mois (75%). Certes cette augmentation contribuerait aussi à accroître l’assiette de cotisations des fonctionnaires. Mais l’on sait que ce régime est notoirement déficitaire. Le taux de cotisation salariale est de 11,10% et le taux de cotisation employeur est de 74,28% pour les fonctionnaires d’Etat et de 30,65 % pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers. Et une partie de la cotisation employeur correspond en fait à subvention d’équilibre. Une note a fait le point récemment sur ce sujet qui évalue à 30 milliards € le déficit des régimes des agents publics. D’ailleurs, la Caisse qui gère les fonctionnaires locaux et hospitaliers prévoit d’augmenter le taux de cotisation employeur pour faire face aux déficits à venir à court-moyen terme. Accroître avec la nouvelle politique de rémunération d’un coup les droits constitués à pension doit donc clairement être anticipé.

  • De quels exemples s’inspirer ?

La pratique ne se pose pas vraiment selon les mêmes termes entre public et privé puisque l’intéressement à la performance dans les entreprises se fait le plus souvent selon une règle de partage du profit dégagé par l’entreprise. Néanmoins, il est possible de s’en inspirer car les indicateurs de performance ne sont pas tous financiers.

  • Les exemples étrangers :

La DGAFP a récemment conduit une étude sur la rémunération dans les fonctions publiques des Etats membres de l’Union, note transmise aux employeurs publics et représentants du personnel. Cette note n’a pas été malheureusement rendue publique, mais le média en ligne Acteurs Publics en a fait la synthèse décrivant des systèmes de rémunération “principalement basées sur l’ancienneté et le niveau de responsabilité”, auxquels s'ajoutent les primes.  Si l’on retrouve bien un statut venant encadrer la rémunération des agents, il est suffisamment flexible notamment en Suède. Concernant la rémunération à la performance, elle est largement répandue même si son application est difficile. En Allemagne, la limite de la rémunération à la performance est fixée à 8% du salaire total. La Suède a également mis en place des dispositifs de ce type. Une autre étude indique qu’au Danemark une grande part des agents de l’État recrutés depuis bientôt vingt ans le sont sous un statut de droit privé avec une rémunération à la performance, sous forme de primes qui peuvent représenter jusqu’à 20 % de la paie. En 2008, la synthèse des déplacements européens d’André Santini, alors ministre de la Fonction Publique, suggérait que la rémunération à la performance existait en Espagne, Portugal et Pays-Bas.


[1] Voir à ce sujet le rapport de Mme la sénatrice Catherine Di Folco pour avis, annexé au PLF 2021, http://www.senat.fr/rap/a20-144-5/a20-144-51.pdf

[2] https://acteurspublics.fr/articles/jean-ludovic-silicani-pour-un-regime-de-remuneration-plus-clair-et-plus-juste-dans-la-fonction-publique?

[3] Rendu dans le cadre de la Conférence sur les perspectives salariales dans la fonction publique, https://www.vie-publique.fr/rapport/284491-perspectives-salariales-de-la-fonction-publique

[4] Rapport op. cit. p.41.

[5] Voir par exemple Commune d’Argenteuil, CAA Versailles, arrêt du 31 août 2020 n°18VE04033. https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042325025?tab_selection=all&searchField=ALL&query=18VE04033&page=1&init=true

[6] https://www.lagazettedescommunes.com/821794/lassiduite-ne-peut-pas-faire-lobjet-dune-prime/

[7] La Gazette, op.cit.

[8] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000044359290?init=true&page=1&query=448779&searchField=ALL&tab_selection=all