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STX-Chantiers navals de Saint-Nazaire : l'heure de vérité

Trois ans seulement après une commande, les chantiers navals de Saint-Nazaire arrivent à livrer des bâtiments de plus de 300 mètres de long et de plus de 50 mètres de haut (équivalent à 20 étages). Ces monstres combinant du très « gros œuvre » à côté d'aménagements intérieurs raffinés, le respect du planning et des coûts, représente un défi considérable. Un exploit qui force l'admiration : cela semble irréalisable pour des constructions équivalentes sur la terre ferme. La maison-mère coréenne de ces chantiers envisage pourtant de vendre la totalité de STX Europe. L'occasion de ne plus repousser la question : comment rendre cette activité viable en France ?

Combien vaut STX-les chantiers navals de Saint-Nazaire ?

Le FSI Fonds Stratégique d'Investissement (maintenant division de la BPI Banque Publique d'Investissement) est actionnaire de STX France Cruise à hauteur de 33,3%. À la date du transfert de propriété de l'État au FSI, ces actions valaient 110 millions d'euros. Un an et demi plus tard, le 31 décembre 2010, elles étaient estimées dans le rapport du Sénat à 55 millions d'euros. Aucune évaluation n'a été publiée depuis par le FSI(a). À titre de comparaison :

  • En 2010, Alstom avait cédé à STX Europe 16,66% des actions de STX France pour zéro euro ;
  • En 2012, la capitalisation de STX Europe, qui emploie 14.500 salariés (dont 2.100 en France) dans des chantiers en Finlande, France, Norvège, Brésil, Roumanie et Vietnam, était d'environ 800 millions d'euros.

Depuis cette date, STX Europe a vendu sa division Off Shore Vessel (OSV) à Finacntieri et ne conserve plus que les chantiers finlandais et français.

STX France Cruise est la filiale française de la société de construction navale STX Europe, propriété de l'entreprise sud-coréenne STX Shipbuilding. STX France est actionnaire majoritaire des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire et du chantier naval Leroux à Lorient. La participation de l'État dans cette société est constituée d'actions et d'obligations remboursables en actions de catégories A et B.

(a) Interrogé, le service de communication du FSI n'a, à ce jour, pas répondu à cette question

PS : Cette note a été modifiée et complétée en fonction d'informations envoyées par un responsable syndical de STX France (texte complet disponible dans les commentaires ci-dessous).

Un marché dominé par les acheteurs

Si les clients font la queue pour se procurer des produits Apple, Hermès, BMW, Airbus ou Boeing, ce n'est pas le cas pour ceux des Chantiers de l'Atlantique. Régulièrement tous les deux ou trois ans, le carnet de commandes du constructeur est vide. La moitié des salariés sont ou vont être mis en chômage technique partiel ou total (actuellement 800 sur 2.100 salariés), un moindre mal mais coûteux pour le pays, et les sous-traitants (environ 4.000 salariés) commencent à réduire leurs effectifs. Un plan de départ volontaire est mis en place pour quelques centaines de salariés (357 personnes en 2010). Une situation de notoriété publique dans la presse, qui met l'entreprise dans une situation très inconfortable pour négocier avec un client éventuel en situation de force. D'autant plus que la situation est souvent similaire dans le chantier finlandais de STX qui produit des bateaux identiques.

Un soutien permanent de l'État

Dès l'annonce du projet de vente de STX Europe, le gouvernement a annoncé son soutien au constructeur français. Tous ses prédécesseurs s'étaient aussi mobilisés pour sauver ces Chantiers, à la fois pour trouver des contrats (comme les portes hélicoptères pour la Russie ou le bateau de croisière géant pour la Lybie du colonel Khadafi), ou/et pour mettre en place des financements « innovants ». Et l'objectif du gouvernement de trouver des débouchés à ce chantier naval français dont l'État est actionnaire, a été central dans le lancement des plans d'éoliennes off-shore. L'avenir dira si ces projets sont rentables pour la France. Malgré tout, le nombre de salariés a baissé de 4.550 en 2001 à 2.100 dix ans plus tard.

Financements « innovants »
  • 2013 : à l'occasion de la perte du contrat du paquebot Oasis par le chantier STX Finlande, le gouvernement finlandais a annoncé qu'il allait demander à la Commission européenne de vérifier si les règles de concurrence ont bien été respectées. Le PDG coréen de STX Europe avait en effet déclaré que le gouvernement finlandais avait été moins « dynamique » dans la recherche de financement ;
  • 2010, Nicolas Sarkozy : Il n'y avait pas une banque pour le financer, a rappelé Nicolas Sarkozy en présence de l'armateur Gianluigi Aponte. Donc, qu'est-ce qu'on a fait avec la Coface, avec l'État ? On lui a prêté l'argent, on lui a garanti l'argent..
  • 2013 : Le gouvernement vient d'attribuer 100 millions d'euros à la construction navale, somme prise sur les « investissements d'avenir » mis en place par le gouvernement précédent.

La vérité aux salariés de STX France

À l'annonce du projet de vente de STX Europe, les syndicats français se sont aussitôt inquiétés, à juste titre, vu les hauts et les bas de leur entreprise. Hostiles à une possible reprise par des chantiers italiens, ils réclament des solutions allant de l'augmentation de la participation de l'État au capital de STX France (CGC) à la nationalisation totale de STX France (FO). Des propositions inadaptées, d'une part parce que STX Europe, l'entreprise mise en vente, est une structure qui dispose de 15 autres chantiers dans le monde, et que les Chantiers de l'Atlantique isolés seraient sans doute dans une situation encore plus difficile. Mais la nationalisation ne traite surtout pas le problème de fond, qui est de trouver des clients à des prix rentables, permettant à l'entreprise de vivre sans l'aide de l'État.

L'épopée du France s'est achevée quand les Français ont réalisé qu'il n'était pas logique de subventionner les croisières de riches étrangers. La vente de STX Europe doit être l'occasion de résoudre le problème de fond : comment rendre rentables les Chantiers de l'Atlantique pour qu'ils ne finissent pas comme le France.

Pour une approche responsable et financièrement viable du problème

En définitive l'épreuve de vérité pourrait venir d'un changement de stratégie à laquelle l'APE (Agence de participation de l'Etat) pourrait prendre toute sa part, en respectant son objectif de Family Office à la française. Cette proposition est crédible si l'agence intervient en sa qualité d'investisseur avisé.

Pourquoi, l'APE ne proposerait-elle pas par respect pour les revenus patrimoniaux de l'Etat, de :
- pousser la structure à externaliser et sous-traiter les opérations les moins rentables y compris par des équipes issues de pays à bas coût, quitte à faire assurer l'encadrement par des opérationnels français.
- proposer de réserver sur les chantiers hexagonaux le maintien des réalisations à forte valeur ajoutée (sur le modèle allemand), ainsi que les finitions, afin de maintenir localement les savoir-faire.
- s'intéresser à la dynamisation des carnets de commande en proposant des co-financements "maison".

Il s'agirait alors de mettre en place une stratégie qui tiendrait davantage du fonds souverain que de l'investisseur institutionnel classique. Mais précisément c'est sans doute cette approche qui permettrait de rompre avec les montages industriels incertains et les arbitrages politiquement rentables mais économiquement douteux.

Comment des entreprises aussi importantes peuvent-elles valoir aussi peu ?

Cette question est posée régulièrement, par exemple à propos d'Air France-KLM : sa capitalisation d'environ 2 milliards d'euros ne représente même pas la moitié du prix des huit Airbus A380 qu'elle possède. Trois raisons :

  • La plus évidente, la dette : les entreprises peuvent avoir des dettes à mettre en regard de leurs actifs. La dette d'Air France-KLM est de 6 milliards d'euros.
  • La plus extrême, le coût de la fermeture : en cas de fermeture de l'entreprise, les coûts de liquidation sont considérables. Pour Air France par exemple, licencier 100.000 salariés pourrait coûter environ 10 milliards d'euros.
  • La plus fréquente, leur capacité à générer des pertes : au premier trimestre 2013, la perte d'exploitation d'Air France a été de 530 millions d'euros. Une entreprise de cette taille peut subir en peu d'années des pertes de plusieurs milliards qui dépassent de loin la valeur de ses actifs.

Note : le cas d'Air France, dont les données financières sont publiques, est cité ici à titre d'exemple mais n'implique aucun jugement sur Air France-KLM où un vigoureux plan de restructuration et de relance a été mis en place.