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L'illogisme d'une loi d'amnistie sociale pour les syndicats

Pour un syndicalisme responsable

La proposition de loi d'amnistie sociale issue du parti Communiste, votée par le Sénat en première lecture, a mis sur le devant de la scène le climat d'irresponsabilité dans lequel se complaisent les syndicats français. Avec moins de 8% des salariés syndiqués dans notre pays, les grandes centrales (et la CGT en particulier) devraient être à la recherche d'une meilleure représentativité et d'une meilleure respectabilité afin d'attirer à elles la masse des adhérents potentiels. En soutenant par cette proposition les actes délictueux, les occupations illégales et les destructions de matériel commis entre 2007 et 2013, le Sénat prend exactement le chemin inverse.

Les représentants syndicaux sont « protégés », ce qui signifie dans la pratique qu'aucune sanction ne peut être prise contre eux par l'employeur sans l'accord (bien entendu difficile à obtenir) de l'Inspection du Travail. A défaut la sanction est juridiquement nulle, et en cas de licenciement la réintégration dans l'entreprise est généralement prononcée par les tribunaux.

[(Dans les entreprises, il y a 2 sortes de "représentants syndicaux" : d'une part les délégués du personnel et les représentants au Comité d'Entreprise, élus sur des listes présentées par les syndicats, et d'autre part les délégués syndicaux. Rappelons que dans le droit français, les délégués syndicaux sont les délégués des syndicats dans l'entreprise et non, comme le voudrait la logique, les délégués des salariés. Le délégué syndical est désigné parmi les salariés par chaque syndicat qui a obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections (délégués du personnel ou CE). Seuls ces délégués syndicaux sont habilités à négocier et à signer des accords avec la Direction de l'Entreprise, ce que ne peuvent pas faire les élus du personnel. )]

Une responsabilité financière limitée

Un autre texte de loi, se charge de protéger les syndicats eux-mêmes. En effet l'Article L2132-4 du Code du Travail est ainsi rédigé : « Les meubles et immeubles nécessaires aux syndicats professionnels pour leurs réunions, bibliothèques et formations sont insaisissables ». Aux termes de la jurisprudence, les « meubles » incluent bien entendu les comptes bancaires.

Les entreprises ou les collectivités victimes de vandalisme de la part de grévistes ont ainsi très peu de moyens de dissuasion ou de sanction. La reconnaissance d'une responsabilité éventuelle des syndicats n'entraînant aucune conséquence financière, il leur faut se retourner vers la responsabilité civile des syndicalistes. Or celle-ci se limite aux dégâts causés par chacun d'eux, à l'exclusion de tout autre : il ne saurait être question de faire porter à une ou quelques personnes le coût global de l'arrêt d'une usine ou d'un stock de pneus brûlés…

Une responsabilité pénale difficile à appréhender

Sur le plan pénal, c'est plus compliqué encore. Il est en effet impossible de déposer une plainte contre les syndicats organisateurs : la loi Peyrefitte, dite « sécurité et liberté » (qui institua en 1980 la responsabilité collective des organisateurs d'une manifestation au regard d'éventuels incidents) a en effet été annulée par la gauche en 1981. Depuis, il faut faire porter l'accusation sur les individus eux-mêmes, ce qui en soi représente une difficulté pratique. Par ailleurs porter plainte contre un syndicaliste, c'est en faire un martyr, avec la certitude de voir le mouvement se durcir. C'est ce qui explique que les cadres pris en otage se voient interdire tout dépôt de plainte par les dirigeants eux-mêmes. La tradition veut par ailleurs qu'aux termes de la négociation le patron accorde une amnistie en vue de ramener la paix sociale. Ainsi la plupart des actes de vandalisme et d'incivisme des syndicalistes restent définitivement impunis.

Un sentiment d'impunité totale

Il en résulte pour les représentants syndicaux, en particulier ceux que rien ne lie à l'entreprise concernée, l'impression d'être au-dessus des lois. C'est ainsi que l'on voit couramment des individus, inconnus parfois des salariés, pénétrer dans les locaux, les saccager, occuper les lieux, puis repartir sans être inquiétés. Lorsque la justice fait son travail, c'est alors la stupeur. A l'occasion d'une condamnation pénale de certains syndicalistes accusés de fauchage illicite d'OGM, on a pu les voir se répandre dans les medias : la France se rendait coupable d'obstruction à l'exercice du droit syndical, il fallait alerter la Cour Européenne de Justice [1] ! En oubliant que ce jour-là, ils étaient avant tout des délinquants.

Les sénateurs ont donc réduit la portée du texte concernant l'amnistie des syndicalistes aux faits de dégradation, de menaces et de diffamation, et ils ont exclu les actes de violence, physique comme psychologique. De même, ils ont réintégré les dirigeants d'entreprise parmi les potentiels bénéficiaires de l'amnistie. Cela dit, seront amnistiés tous les délits financiers : vols, abus de confiance, et… détournements de fonds des Comités d'Entreprises !

Une absence de logique

La Fondation iFRAP souhaiterait donc que s'ouvre à cette occasion une véritable réflexion sur la responsabilité syndicale. Certaines anomalies ne sont compatibles ni avec une économie moderne, ni avec un syndicalisme citoyen. Citons-en quelques-unes :

- un syndicat, même non représentatif, peut déclencher une grève dans une entreprise sans l'accord des salariés de cette entreprise. Il peut même agir sans l'accord de ses propres adhérents dans l'entreprise.

- une section syndicale d'entreprise (en fait le seul délégué syndical) peut lancer de son propre chef une grève sans l'accord de ses instances nationales. D'où les fameux "débordements par la base". Paradoxalement, les actes des sections syndicales engagent la responsabilité de leur syndicat d'appartenance.

- un groupe quelconque de salariés (coordination, collectif, etc.), peut lancer un mouvement. À la limite un seul individu, pour peu qu'il ait rallié d'autres salariés à sa cause, peut décréter une grève.

- un syndicat, même s'il est seul représentatif dans l'entreprise, ne peut pas juridiquement mettre fin à une grève déclenchée en dehors de son contrôle. Pour y parvenir, il devra se joindre au mouvement, en prendre le leadership, et convaincre les salariés grévistes.

- un syndicat ne peut pas non plus mettre fin à un mouvement déclenché par sa propre section syndicale si cette dernière s'y refuse. Il lui faudrait pour cela destituer sa section syndicale, et en reconstituer une autre en nommant de nouveaux délégués syndicaux dans l'entreprise.

- les sections syndicales d'entreprise ne jouissent pas de la personnalité juridique (loi du 27 déc. 1968) qui permettrait de responsabiliser les délégués syndicaux face aux tribunaux. Par contre elles sont habilitées à signer des accords d'entreprise ou à lancer des ordres de grève ! Il y a là une aberration.

[1] CEDH, déc., 29 juin 2010, Hubert Caron et autres c. France