Actualité

Rénovation urbaine : 48 milliards dépensés en 20 ans... surtout pour déplacer la pauvreté

Dans une note très récente, France Stratégie s’interroge sur l’impact du PNRU (programme national pour la rénovation urbaine) sur l’habitat et le peuplement. Ce programme déployé sur 18 ans (entre 2003 et 2021) aura coûté près de 48,4 milliards d’euros, et est désormais prolongé par le NPNRU (2014-2024) de près de 10 milliards d’euros. Il semble donc logique 3 ans après la fin du dernier financement du précédent programme, de procéder à son évaluation. C’est dans ce contexte de France Stratégie propose une 1ère étude thématique sur l’impact du PNRU. L’organisme relève en particulier que « Dans les quartiers où la rénovation a été la plus intense – soit un quart des quartiers ciblés - , on constate une baisse de 6 points de pourcentage des logements sociaux (…) et une réduction de 5 points de la part des ménages les plus pauvres », alors que dans les ¾ des autres quartiers ciblés « l’impact moyen du PNRU est quasi nul et n’a pas permis d’empêcher une légère augmentation de la part des ménages les plus pauvres. » L’impact de la rénovation intensive a-t-elle fait « baisser » la pauvreté des plus fragiles dans ces quartiers fortement restructurés, ou bien a-t-elle simplement abouti à déplacer cette pauvreté en dehors des quartiers rénovés ? Il semble qu’il faille choisir la seconde option dans la mesure où comme le relève le rapport « la baisse de la part des habitants du 1er décile [de revenu ndlr] dans les quartiers rénovés intensément démolis procède à la fois du recul du poids du parc social dans l’ensemble du parc de logements (…) et une diminution de la par des plus pauvres accueillis au sein du parc social. » La diversification des statuts d’occupation a donc en fait déplacé les plus pauvres en dehors des quartiers concernés et du parc social rénové qui augmente sa mixité. Il n’y a donc pas eu « réduction » de la pauvreté mais « déplacement » de celle-ci en dehors des zones les plus intensément rénovées

Rénovation urbaine, un programme de près de 48,4 milliards d’euros sur 18 ans

Les montants dégagés pour la rénovation urbaine dans le cadre du PNRU (2003-2021) sont considérables : 48,4 milliards d’euros dont 11,6 milliards d’euros de subventions publiques directement financées par l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine). Afin d’y voir plus clair nous proposons les développements financiers suivants[1] :

Financeur (subventions ANRU) 2003-2021

Total ressources

Total emplois

Postes d'emplois

Etat

846

11 285

Financement direct des projets

Etat Plan de relance

350

237

Fonctionnement de l'ANRU

Taxe sur les bureaux IDF affectée au PNRU

285

111

Affecté au NPNRU

Action logement

9 281

 

 

CGLLS (Caisse de garantie du logement locatif social)

744

 

 

CDC fonctionnement

52

 

 

Ressources propres (placements financiers)

75

 

 

Ressources totales du programme

11 633

11 633

Total des emplois

Source : ANRU 2023.

Les financements de l’ANRU ont contribué au versement de 11,633 milliards de subvention au PNRU. Le financement dominant au sein même de l’ANRU étant celui en provenance d’Action logement, organisme collecteur du 1% logement (9,3 milliards d’euros). Sur ce segment ANRU, les financements directs des projets du PNRU l’ont été à hauteur de 11,29 milliards d’euros, tandis que les coûts de fonctionnement de l’agence en ponctionnaient sur la période à hauteur près de 237 millions et qu’il en ressortait un excédent de 111 millions d’euros qui ont été transférés au financement de son successeur le NPNRU. 

Etapes d'affectation entre PNRU et NPNRU

Millions €

Transfert de dépenses brutes PNRU->NPNRU

-120,15

dont dépenses déjà payées

37,68

Transfert de dépenses nettes PNRU->NPNRU

-82,47

Excédent de ressources du PNRU

111

Excédent net transféré (solde des opérations)

28,53

Source : ANRU 2023

Mais parallèlement à ces ressources excédentaires, un certain nombre de dépenses nettes en cours ont également été transférées du PNRU au NPNRU, si bien que l’excédent net également transmis ne s’élève qu’à 28,53 millions d’euros. 

Les ressources de l’ANRU sont significatives (23,2%) mais non déterminantes dans le cadre plus global du PNRU. Son volume est près de 5 fois supérieur et a atteint près de 48,4 milliards d’euros d’investissements :

Type de financeurs

Montants Mds € investissement

Part

Régions

2

4,2%

Départements

1,5

3,1%

Villes et EPCI

9,3

19,1%

Autres (Feder, CDC hors prêts, acteurs privés…)

1,5

3,1%

ANRU

11,2

23,2%

Bailleurs

22,9

47,3%

Total

48,4

100,0%

Source : ANRU 2023

En réalité les financements publics hors ANRU représentent à eux-seuls plus de 26,4% et sans doute près de 28% de la totalité des fonds décaissés. Les fonds privés et ceux des bailleurs représentant près de 48,8% des fonds. 

Le PNRU avait originellement vocation à concerner près de 856 quartiers en ZUS (zones urbaines sensibles) ou en « article 6 » éligibles c’est-à-dire non-ZUS mais ayant été déclarés éligibles au PNRU par dérogation prévue à l’article 6 de la loi du 1er août 2003.

 

Quartiers ZUS ou article 6 éligibles

Quartiers prioritaires

215

Quartiers supplémentaires

342

Quartiers complémentaires

299

Total

856

Source : ANRU 2023

Dans les faits cependant le PNRU n’a été déployé que dans 546 quartiers sous la forme d’opérations de rénovation globale et d’OSI (opérations isolées), tandis que 310 quartiers ne bénéficiaient que d’opérations isolées.

 

OSI (opérations isolées) uniquement

Interventions globales

dont quartiers qui bénéficient des interventions globales 

et des OSI

Total

ZUS (zones urbaines sensibles)

260

373

127

633

Quartiers dits "Articles 6"

50

173

16

223

Total

310

546

143

856

Source : ANRU 2023

Si l’on rapporte ces quartiers aux volumes financiers décaissés pour les rénover, les 546 QRU ont bénéficiés des montants les plus importants soit 45,6 milliards d’euros dont 10,8 milliards de subventions ANRU, tandis que les quartiers purement OSI bénéficiant d’opérations isolées uniquement, n’ont bénéficier que de 2,78 milliards d’investissements dont 474,5 millions d’euros de subventions OSI. 

Quartiers ZUS ou article 6 ayant bénéficié d'une intervention globale de rénovation urbaine

Nombre de QRU

Montants des subventions ANRU (M€)

Montants des investissements Totaux

(M€)

Total QRU (quartiers de rénovation urbaine)

546

10 810,5

45 620,1

Quartiers n'ayant pas subi d'intervention globale

310

474,5

2 779,9

Source : ANRU 2023

La ventilation par type d’intervention permet de dégager en premier lieu la part des subventions de l’ANRU pour chaque famille d’opérations :

Famille d'opérations/ Milliards d'euros

Montant subvention ANRU

dont Opérations conventionnées

dont Opérations isolées 

Total investissement

dont Opérations conventionnées

dont Opérations isolées 

Total ANRU pour rapport au total Investissements (%)

Démolition de logements sociaux

2,48

2,42

0,06

3,36

3,24

0,11

74%

Production de logements sociaux

2,37

2,30

0,07

19,35

18,66

0,67

12%

Changements d'usage de logement sociaux

0,01

0,01

0,00

0,06

0,05

0,01

17%

Requalification d'îlots anciens dégradés

0,15

0,14

0,01

0,58

0,55

0,02

26%

Réhabilitation

1,30

1,17

0,15

7,05

6,07

1,02

18%

Résidentialisation

0,76

0,72

0,04

2,12

1,96

0,16

36%

Amélioration de la qualité de service 

0,11

0,10

0,02

0,32

0,27

0,05

36%

Aménagements

1,92

1,87

0,06

7,37

7,03

0,32

26%

Equipements publics

1,29

1,23

0,06

5,27

4,88

0,37

25%

Espaces commerciaux ou artisanaux

0,11

0,11

0,00

0,62

0,59

0,01

18%

Intervention sur l'habitat privé

0,27

0,27

0,00

1,13

1,09

0,00

24%

Conduite de projet/Ingénierie

0,47

0,46

0,01

1,20

1,14

0,04

40%

Ensemble des opérations

11,25

10,81

0,47

48,42

45,62

2,78

23%

Source : ANRU 2023, calculs Fondation iFRAP février 2024

On constate que l’ANRU est intervenue majoritairement pour financer les opérations de démolition de logements sociaux (74%) puis de conduite de projet et d’ingénierie (40%), de résidentialisation et d’amélioration de la qualité de service (36% à chaque fois), de requalification d’îlots anciens dégradés (26%), d’aménagement (26%), d’équipements publics (25%).

Si maintenant on regarde l’ensemble des financeurs de dépenses d’investissements globales pour ces items, il apparaît que le 1er poste est celui de la production de logements sociaux par les bailleurs sociaux (15 milliards d’euros) suivies par les opérations de réhabilitation de ces mêmes bailleurs (4,8 milliards) et les opérations d’aménagement porté par les villes et les EPIC (4,2 milliards). Les équipements publics portés par le bloc communal représentent près de 2,7 milliards d’euros. Les interventions de l’ANRU n’arrivent qu’ensuite avec les opérations de démolition de logements sociaux pour 2,5 milliards d’euros et la production de logements sociaux pour 2,4 milliards…

Famille d'opérations/

Financeurs Mds €

Total investissement

Région

Département

Ville et EPCI

Autres (FEADER, CDC, hors prêts)

ANRU

Bailleurs

Démolition de logements sociaux

3,36

0,0

0,0

0,1

0,0

2,5

0,7

Production de logements sociaux

19,35

0,5

0,4

0,8

0,2

2,4

15,0

Changements d'usage de logement sociaux

0,06

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Requalification d'îlots anciens dégradés

0,58

0,0

0,0

0,2

0,0

0,2

0,2

Réhabilitation

7,05

0,2

0,3

0,3

0,1

1,3

4,8

Résidentialisation

2,12

0,1

0,1

0,1

0,0

0,8

1,0

Amélioration de la qualité de service 

0,32

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

0,2

Aménagements

7,37

0,5

0,2

4,2

0,2

1,9

0,3

Equipements publics

5,27

0,4

0,4

2,7

0,4

1,3

0,1

Espaces commerciaux ou artisanaux

0,62

0,0

0,0

0,2

0,1

0,1

0,2

Intervention sur l'habitat privé

1,13

0,0

0,0

0,2

0,3

0,3

0,4

Conduite de projet/Ingénierie

1,20

0,0

0,0

0,5

0,1

0,5

0,1

Ensemble des opérations

48,42

1,5

1,5

9,2

1,5

11,2

22,9

Source : ANRU 2023, calculs Fondation iFRAP février 2024

Les masses financières mobilisées sont donc considérables, et le nombre de quartiers traités bénéficiant de l’ensemble des services du PNRU représente 64% de l’ensemble du parc éligible

Mais une transformation de l’habitat et du peuplement de ces quartiers partielle

Fort de ces constats chiffrés, il est désormais possible de mieux prendre la dimension du travail d’analyse effectué par France Stratégie sur l’habitat et le peuplement des quartiers impactés par le PNRU. Afin de parvenir à isoler l’effet de la rénovation urbaine portée par le PNRU, l’organisme a effectué une 1ère sélection permettant d’isoler :

  • 497 quartiers ciblés par le PNRU (sur les 856 éligibles (voir supra)) ;
  • Ainsi que 240 quartiers de contrôle « aux caractéristiques similaires mais non rénovés » ;

En réalité comme le souligne le rapport entre 1999 et 2019 près de 940 quartiers pauvres ont été identifiés en France métropolitaine. Leur découpage ne suit pas très fidèlement les statistiques du PNRU dans la mesure où certains ont fait l’objet d’une convention de rénovation urbaine préalablement au PNRU lui-même et que les DOM sont exclus de l’analyse puisque les données les concernant n’existent que depuis 2015. Ainsi 525 quartiers ont fait l’objet d’une convention (dont 398 en ZUS et 127 au titre de l’article 6[2], 285 quartiers n’ont fait l’objet que d’opérations ponctuelles[3], dont 236 en ZUS (et donc 50 en articles 6 conforme au bilan de l’ANRU), ainsi que 130 quartiers pauvres n’ayant bénéficié d’aucun programme particulier même ponctuel (83 en ZUS et 47 articles 6). 

Les 525 quartiers ont ensuite été traités afin d’augmenter les effets de contrastes en en retirant 32 quartiers bénéficiant d’opérations isolées dont les montants dépassaient les 1,5 millions d’euros, ce qui les rapprochait trop des quartiers conventionnés. Des considérations spatiales de proximité entre quartiers expliquent des retraitements supplémentaires, si bien que l’on débouche sur un échantillon de 497 quartiers ciblés par le PNRU que l’on scinde en deux sous-groupes :

  • 372 quartiers « traités » (75% de l’échantillon) au taux de démolition « faible » ;
  • 125 quartiers « traités » (25% de l’échantillon) au taux de démolition « fort » ;

Ces deux sous-groupes étant comparés aux 240 quartiers de contrôle identifiés comme ayant fait l’objet de financements inférieurs à 1,5 millions d’euros et se situant à plus de 2 km d’un des deux quartiers traités. 

S’agissant de l’habitat il apparaît « une très forte corrélation entre l’intensité des démolitions et la taille des quartiers ». Les quartiers aux démolitions importantes qui sont considérablement plus petits que les quartiers aux démolitions faibles (1.400 habitants en moyenne contre 6.500 habitants pour les seconds) et les quartiers de contrôle (2.300 habitants en moyenne). Ainsi en 2003, les 25% des quartiers les plus intensément démolis ne représentaient que 6,5% de la population totale des quartiers rénovés, soit moins d’1/10ème des 4 millions d’habitants ciblés par le PNRU. Cette corrélation s’explique par le fait qu’il « est moins coûteux de traiter intensément un quartier lorsque sa taille reste contenue. » Mais en termes de volume financier c’est la dépense qui a été la plus importante puisqu’elle représentait 64.000 euros/habitant pour les 25% des quartiers intensément démolis, soit 11,2 milliards d’euros contre 15.000 euros/habitant pour les 75% des quartiers rénovés les moins intensément démolis (soit 36,3 milliards d’euros). Par ailleurs, « de manière logique (…), les démolitions ont (…) essentiellement concerné le parc social. » à près de 40% dans les 125 quartiers traités à démolition forte contre 16% pour les 372 quartiers à démolition faible. Après rénovation les constructions dans le parc social apparaissent plus faibles dans les quartiers fortement rénovés (30%), contre 15% dans les quartiers rénovés à faible taux de rénovation, et 10% dans le groupe de contrôle.  

Il en résulte un très fort fléchissement de la portion moyenne de logement sociaux dans les quartiers les plus fortement rénovés, passant de 65% en 1999 à près de 56% en 2019 soit -9 points contre 63% à 59%, soit -4 point pour le groupe faiblement rénové. Ainsi on constate que s’agissant des quartiers les plus rénovés, « en 2019 la proportion de logements sociaux dans ces quartiers est descendue à 56% en moyenne, comblant ainsi totalement l’écart avec les quartiers de contrôle. » (figure 4a).

L’impact du PNRU par le moyen différence des différences entre une évolution parallèle à celle des quartiers de contrôle et celle des quartiers considérés, atteindrait 6 points de baisse de logements sociaux pour les quartiers à fort taux de démolition et 1 point pour ceux à faible taux de démolition (figure 4b). 

Mais cette baisse aurait alors mécaniquement aussi un impact sur le peuplement conduisant à un effet d’éviction des plus pauvres et précaires. En effet, La diversification de l’offre de logement dans ces quartiers rénovés visait elle-même à « diversifier le peuplement de ces quartiers ». L’étude en mesure l’effet sur la part de ménages pauvres dans ces quartiers et sur le profil socioéconomique des habitants accueillis dans les logements nouvellement construits. 

Le 1er effet d’éviction se vérifie quant à la population globale de ces quartiers : entre 2003 et 2019 la population des quartiers à forte intensité de démolition baisse de 11% contre 5% « seulement dans les quartiers de contrôle et les quartiers moins intensément démolis. » Or cette forte baisse ne résulte pas des effets induits par les démolitions elles-mêmes avant reconstruction, ce que l’on appelle la « vacance ». Dans le parc privé le taux de vacance passe de 9% à 11% en moyenne et dans le parc social le taux de vacance se stabilise à 13% entre 2015 et 2019 pour les plus intensément démolis (contre 11% en 2019 pour les plus faiblement démolis et 11% aussi dans le groupe de contrôle). Si l’on isole cette fois le taux de vacance dans les seuls logements stables il atteint 15% dans les logements sociaux des quartiers les plus fortement démolis contre 11% pour tous les autres quartiers sociaux ou privés des autres groupes.  Il en résulte que l’attractivité des nouveaux logements dans les quartiers fortement rénovés est forte puisque le taux de vacances est plus faible de 3 à 4 points par rapport à celui des logements sociaux « stables » de ces mêmes quartiers sur la période. Ce qui n’empêche pas une baisse globale de la population de ces quartiers, les nouvelles constructions accueillant moins d’habitants que les anciennes (dédensification). 

Le 2ème effet est que le PNRU a enrayé la paupérisation des quartiers les plus démunis, ce que l’on mesure par la proportion des habitants du 1er décile présents dans ces quartiers rénovés. Cette baisse représente entre 2003 et 2019 -4,2%, tandis qu’elle augmentait de 1,3% pour les quartiers de contrôle. « Par conséquent, l’impact du PNRU sur la part des habitants du 1er décile est au total de -5 points » dans ces quartiers pour un niveau initial de 29% en 2003, soit une baisse de 17%[4]. Et cette « tendance observée après le lancement du PNRU ne concerne en réalité, pour les quartiers rénovés les plus intensément que le parc social. » On peut estimer que le PNRU a réussi à enrayer voir à contrer « la paupérisation du parc social. »

Mais cet apparent « bon résultat » ne provient en définitive pas d’une « sortie de la pauvreté » des population résidentes grâce à l’intensité de la rénovation urbaine et à l’amélioration de leur cadre de vie, mais bien « à la fois du recul du poids du parc social dans l’ensemble du parc de logements et d’une diminution de la part des plus pauvres accueillis au sein du parc social. »

Il existe donc un double effet d’éviction :

  • D’une part un effet imputable aux démolitions elles-mêmes : dans les quartiers intensément détruits la part des ménages du 1er déciles étaient de 44% dans les logements détruits entre 2003 et 2019 contre 23% dans les logements non détruits. Dans les quartiers les moins intensément démolis ils étaient respectivement de 38% et de 24%. Les démolitions les plus intenses ont ciblés les quartiers qui en comportaient le plus de ménages pauvres, et ont donc augmenté ex post l’effet d’éviction par relogement en dehors de ces quartiers.
  • S’agissant des nouveaux logements, « dans le parc social (…) les nouveaux logements accueillent une part de ménages pauvres très inférieure à celle observée dans les logements plus anciens. » Mais cette proportion s’inverse au contraire légèrement dans le parc privé. Cela montre à rebours que quel que soit le quartier « les nouveaux logements privés n’arrivent (…) pas à attirer une population moins pauvre que celle des anciens logements. » Il y a donc un effet d’éviction du parc social vers le parc privé rénové, mais qui ne suffit pas loin de là à compenser l’effet d’éviction des plus pauvres en dehors des quartiers rénovés concernés.

Ces deux phénomènes sont en outre masqués par le fait que dans le même temps on assiste à la lente paupérisation des logements « stables » car « leur population s’appauvrit nettement au cours de la période en particulier au sein des logements sociaux. » Masquant dans les quartiers les plus intensément démolis « une population entrante moins pauvre ». 

Conclusion

Même si l’on ne peut pas réduire le succès ou l’échec de l’ANRU à la seule maîtrise de la paupérisation des quartiers rénovés, dans la mesure où ces programmes renforcent des paramètres comme la sécurité, l’emploi, favorisent la réussite scolaire, la mobilité sociale voir participe de la rénovation écologique des bâtiments[5], il ne faut pas se voiler la face. La mise en échec de la paupérisation des quartiers les plus pauvres et les mieux ciblés se réalise avant tout par éviction de certains de ses habitants les plus modestes à l’occasion des destructions qu’elles occasionnent. Le renforcement de la mixité sociale est donc largement « importé », tandis que la pauvreté est « déplacée » pour un coût estimé de 11,2 milliards d’euros. Et cet effet positif n’est discernable que dans les quartiers les plus intensément rénovés. Les autres aux interventions ciblées, ne bénéficient pas de cet effet induit et leur taux de pauvreté augmente, alors qu’on y a pourtant dépensé pour près de 36,3 milliards d’euros en 18 ans. Triste constat mis en lumière par les récentes émeutes urbaines intervenues en juillet dernier. 


[1] Voir en particulier le rapport de l’ANRU, Programme national de rénovation urbaine, bilan quantitatif, 2023, https://www.anru.fr/sites/default/files/media/downloads/2023-bilan_pnru_web_planches.pdf 

[2] Contre 373 ZUS et 173 articles 6 d’après le bilan de l’ANRU. 

[3] Contre 310 dont 260 en ZUS et 50 en articles 6.

[4] Soit 5/29%=17%. 

[5] Pour lesquels d’autres études qualitatives sont attendues et à venir.