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Le gouvernement veut réformer les seuils... sauf les seuils sociaux et fiscaux

C’est parti ! Voici lancée la consultation sur la future loi PACTE. Préparé par un ensemble d’experts, ce projet est soumis jusqu’à début février à la consultation des citoyens. Il comporte 37 propositions citées sur le site public. Nous nous intéressons ici à celle qui concerne l’ « allègement » des seuils sociaux et fiscaux en fonction des effectifs des entreprises. Sur ce sujet, la réforme ne semble pas bien partie, car ni les seuils relevant du code du travail, ni ceux concernant des prélèvements fiscaux ou parafiscaux ne paraissent devoir être visés.

La proposition soumise à consultation

Voici les termes de la proposition soumise à la consultation citoyenne : « Alléger les seuils, notamment sociaux et fiscaux, hors code du travail et simplifier ces mêmes seuils. Donner des délais aux entreprises pour les mettre en œuvre.

  • Généralisation d’un dispositif de gel des obligations en cas de franchissement d’un seuil d’effectif pendant trois ans
  • Harmonisation des définitions des seuils en effectifs
  • Proposition de rehaussement de certains seuils ».

L’exclusion des dispositions du code du travail

On notera immédiatement qu’il s’agit des seuils « sociaux et fiscaux, hors code du travail ». Ceci signifie que sont exclus tous les seuils qui concernent les obligations des employeurs à l’égard des salariés et de leurs représentants. Au premier chef il s’agit de la règlementation des institutions représentatives (délégués du personnel, comité d’entreprise, ex-CHSCT…) et des accords collectifs qui ont fait l’objet des ordonnances de la loi travail et sur lesquels le gouvernement n’entend pas revenir[1]. Mais il s’agit aussi des seuils d’application de certaines dispositions légales, telles celles qui s’appliquent aux régimes des pénalités encourues par l’employeur en matière de non-respect de la règlementation, comme les dommages-intérêts forfaitaires en matière de licenciement. Dans notre proposition de mai 2017, nous évoquions le décalage des seuils suivants : les obligations d’organiser les élections des délégués du personnel (seuil de 11 à 20 salariés), du comité d’entreprise et du CHSCT (seuil de 50 à 100), d’établir un règlement intérieur (de 20 à 50), d’accepter la désignation de délégués syndicaux, de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (de 50 à 100). Mais s’agissant de dispositions relevant du code du travail, il ne peut plus en être question.

Les dispositions fiscales

Alors, quels sont les seuils susceptibles d’être visés ? L’institut allemand IFO a réalisé en 2015 à la demande du Sénat une étude portant sur les différences entre les règlementations des seuils allemande et française, dont nous avons fait part en mai dernier. Il s’agissait de comprendre pourquoi on constate en France, à la différence de l’Allemagne, un nombre d’entreprises important agglutinées juste en-dessous des seuils d’effectifs, particulièrement du seuil de 50 salariés. Cet institut remarque que des seuils existent aussi en Allemagne, mais qu’ils sont très loin d’y avoir la même importance qu’en France. Ceci est très notable, à la fois au plan des obligations découlant du code du travail et à celui des obligations fiscales. Sa préconisation porte prioritairement sur la suppression ou la compensation par l’Etat des charges supplémentaires de nature fiscale ou parafiscale imposées aux entreprises, qui n’existent pas en Allemagne. (voir encadré ci-dessous).

Taxes, cotisations et dispositions soumises à franchissement de seuil.

  • Versement transport : seuil à 11 salariés (0 en-dessous), taux variable suivant les communes, le plus élevé étant celui de Paris (2,95%), payable par les employeurs publics et privés ;
  • Cotisation FNAL (aide au logement) : seuil à 20 salariés, 0,10% salarié plus employeur en-dessous, 0,50% salarié plus employeur à partir de 20 salariés Forfait social à 8% sur les cotisations patronales à mutuelle d’entreprise : seuil à 11 salariés (0 en-dessous) ;
  • Participation à la formation continue : seuil à 11 salariés, 0,55% en-dessous, 1% à partir de 11 salariés ;
  • Participation à l’effort de construction (dite taxe PPEC) : seuil à 20 salariés (50 pour les entreprises agricoles), 0,45% à partir de 20 salariés, 0, en-dessous ;
  • Sanctions pour défaut d’emploi de handicapés : seuil à 20 salariés, pénalités exorbitantes.

C’est le versement transport qui constitue le prélèvement le plus important : 4,4 milliards d’euros, 5,5 milliards attendus à l’horizon 2025. C’est aussi le plus contesté, et, destiné au financement des transports, il n’est pas normal qu’il ne soit qu’à la charge des employeurs.

Le gouvernement est-il prêt à s’engager dans cette direction ? Il semble bien que ce ne soit pas le cas, la raison en étant les contraintes budgétaires : comment en effet financer les dépenses de l’Etat comme celles relatives au transport, à l’effort de construction ou au logement ? On remarque d’ailleurs qu’il n’en est pas question dans les propositions soumises à consultation[2].

Un économiste réputé comme Stéphane Carcillo, interviewé sur BFM business, confirme cette conclusion. Il pense que les dispositions concernant les seuils ont déjà été prises dans les différentes lois travail, ou dans les mesures de simplification administrative prises depuis quelques années. Il estime que le problème actuel n’est que celui du lissage des seuils, et spécifiquement du seuil de 50 salariés, les seuils de 10 et 20 salariés ne lui paraissant pas avoir d’effets particuliers, et qu’il n’est pas possible pour des raisons budgétaires de s’attaquer aux obligations financières. Le tableau n’est pas bien engageant[3]

Il est piquant de constater les réticences du gouvernement à réduire les charges imposées aux entreprises en fonction des seuils d’effectifs, au motif que cette réduction coûterait trop cher à l’Etat. Ce refus a été opposé dans le passé en assurant que le franchissement des seuils n’a pas les conséquences défavorables sur l’emploi que les entreprises prétendent. Mais si l’Etat est gêné par la disparition de ces impositions dans le cadre de l’équilibre du budget de la Nation, qu’en est-il alors des entreprises contraintes de payer ces charges au moment de franchir les seuils ?!

Le véritable problème ne se situe-il pas au niveau de la justification des taxes mises à la charge des entreprises, plutôt qu’à celui du recours à des seuils qui n’ont d’autre justification que d’exonérer les plus petites entreprises parce qu’elles seraient incapables de les acquitter, avec pour conséquence d’inévitables effets pervers ?

On se trouve ici confronté à la même question que celle qui se présente en ce moment pour l’assurance chômage, à savoir la mise à la charge d’une catégorie particulière de contribuables, de prélèvements fiscaux et parafiscaux qui, destinés à financer des politiques publiques, devraient incomber à la population dans son ensemble. De même que des dépenses importantes sont mises à la charge de l’Unedic, donc des salariés, par l’Etat alors qu’elles relèvent de la seule politique publique de l’emploi, le même Etat met à la charge des entreprises des dépenses relevant d’autres politiques publiques ou de la solidarité nationale et qui devraient être financées par une imposition pesant sur tous. Ainsi en est-il du financement du transport, des aides au logement, ou encore de l’effort de construction.

En résumé, le sujet des seuils sociaux ne paraît pas devoir être réformé de façon notable. En tout état de cause, toutes les dispositions relevant du code du travail sont exclues. D’autre part, les prélèvements de nature fiscale, qui grèvent notoirement les entreprises françaises comparativement à celles des autres pays, paraissent aussi devoir être maintenues telles quelles, toute velléité de réforme étant sacrifiée sur l’autel du budget.


[1] Signalons qu’il est fortement question que le seuil d’application de l’obligation de faire participer les salariés aux résultats de l’entreprise, qui est actuellement 50 salariés, soit abaissé à 10 ou 20 salariés. Nous aurions donc ici une aggravation d’un seuil légal.

[2] Quant à la proposition consistant à la « généralisation d’un dispositif de gel des obligations en cas de franchissement d’un seuil d’effectif pendant trois ans », il s’agit d’une disposition qui n’est pas nouvelle, ayant été instituée par le gouvernement Valls en 2016. L’IFO n’a pas estimé que le gel provisoire (3 ans) de l’application des seuils sociaux constituerait une mesure efficace, la réaction des entreprises étant plutôt d’anticiper la fin du moratoire en embauchant en CDD pendant ce dernier.

[3] On ne peut pas dire que les lois travail aient contribué à modifier la règlementation des seuils, même si elles ont aménagé celle des accords collectifs. Quant à la RGPP de N. Sarkozy ou la MAP de F. Hollande, leurs effets ont été bien discrets… En sera-t-il différemment pour l’actuelle CAP 2022 ?