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Flexibilité du travail : Schröder propose un Agenda 2020 en Allemagne

La France ne peut pas se contenter de demi-mesures

La flexibilité du travail, c'est l'apanage d'un modèle allemand dont nous avons tout lieu de nous inspirer en France. Mais l'accord national interprofessionnel sur l'emploi (ANI) du 11 janvier n'est à ce sujet qu'une demi-mesure. Et penser pendant ce temps que l'Allemagne en est déjà à fixer les grandes lignes de son Agenda 2020 !

Dix ans après son célèbre agenda 2010, voici que Gerhard Schröder récidive. Avec son parti, le SPD, il plaide pour une relance des réformes dans le cadre d'un agenda 2020, afin de s'attaquer au problème le plus important que connaisse l'Allemagne en ce moment : le vieillissement de sa population. Le moins qu'on puisse dire, c'est encore une fois qu'il n'y va pas de main morte, et qu'il dessine une ligne claire avec des priorités non moins claires. Il s'émeut que la compétitivité allemande risque de s'effriter dans quelques années face aux pays émergents. Ses priorités : dans le cadre d'un libéralisme affirmé, financer davantage la recherche et l'éducation, assouplir la protection de l'emploi afin de pousser encore davantage les chômeurs à reprendre un emploi, faciliter des licenciements, aider l'immigration, …et fixer l'âge de la retraite à 70 ans en Allemagne ! La Ministre du Travail actuelle Ursula Von den Leyen, se fondant sur le modèle français sur ce point, y ajoute la nécessité d'une politique familiale davantage en faveur du travail des femmes.

Ce qui frappe, ce n'est pas tant les mesures elles-mêmes que la vision à long terme, la définition de la priorité et le sens de la direction à donner. Les qualités évidentes d'un homme d'État, celles dont il avait fait preuve il y a dix ans et qui avaient coûté à Gerhard Schröder sa réélection au profit d'une Angela Merkel plus encline au compromis – mais qui n'en a pas moins marché dans les pas de son prédécesseur. Les Allemands ne donneront peut-être pas au SPD la victoire lors des prochaines élections, mais ils sauront où ils iront s'ils le font.

Gerhard Schröder répond ici à un problème spécifiquement allemand, et il ne s'agit évidemment pas de voir dans les réformes qu'il préconise un modèle pour la France, qui n'est nullement en situation de vieillissement de sa population. Mais nous aimerions voir définir une ligne directrice non équivoque et ne pas nous contenter de demi-mesures. A ce propos, l'ANI du 11 janvier, qui, merci à François Hollande, doit être transcrit tel quel dans la loi, introduit à l'instar de l'Allemagne le principe d'une certaine flexibilité dans le droit du travail, ce qui est un bon signe, mais il reste encore vraiment très loin de satisfaire.

Le modèle allemand consiste essentiellement à favoriser la flexibilité interne pour éviter la flexibilité externe, c'est-à-dire les licenciements. Car les licenciements économiques n'ont jamais été dans la culture allemande, et sont plus difficiles à mettre en œuvre outre-Rhin qu'en France. Mais comme il faut des soupapes, particulièrement dans le contexte actuel, l'Allemagne a joué sur tous les autres tableaux : temps partiel (traditionnel dans le pays), réduction du temps de travail avec réduction de salaire, « corridor de travail » à l'intérieur duquel l'employeur peut faire varier temps de travail et salaire, recours facilité aux contrats atypiques (CDD et intérim), dont la Ministre du travail soulignait récemment l'importance dans une interview conjointe avec François Hollande. Si nous voulons nous aussi en France diminuer le chômage, nous devons jouer sur les même tableaux. Et c'est là que nous restons dans la contradiction, puisque l'ANI, à côté d'une disposition ouvrant la flexibilité par la réduction du temps de travail (avec perte de salaire), pénalise financièrement les CDD et réduit le recours au temps partiel. D'autre part cet ANI n'envisage la réduction du temps de travail que comme une mesure conjoncturelle, temporaire et soumise à de nombreuses conditions, et n'envisage pas du tout, à l'inverse, l'augmentation du temps de travail, comme le prévoit l'accord que vient de signer Renault tout à fait en dehors des possibilités ouvertes par l'ANI. Ce n'est pas ainsi que l'on fera régresser le chômage.

Avec l'ANI par conséquent, que les entreprises vont payer cher (assurance maladie complémentaire en particulier), il faut bien se dire que nous restons encore très loin de la flexibilité interne à l'allemande, qui seule pourrait nous permettre d'éviter le recours trop systématique aux licenciements. Le problème, c'est que les partenaires sociaux ne sont parvenus qu'à un accord très insuffisant avec certains syndicats dont la représentativité risque de disparaître, et que cet accord rencontre l'hostilité complète des autres syndicats (CGT et FO). Il reste donc énormément de chemin à parcourir pour aboutir à une véritable flexibilité, et on ne voit pas comment y parvenir puisque le gouvernement s'en est remis à un dialogue social dont les résultats ne sont qu'embryonnaires et risquent fort de le rester.

Bien sûr, il reste malgré tout au gouvernement des prérogatives. Par exemple celle de revenir à une durée du travail de 39 heures, celle de sortir du carcan uniforme du Smic (voir notre proposition), ou encore celle de diminuer la générosité des indemnités de chômage, unique en Europe, en renforçant l'obligation d'accepter un emploi. Mais ce serait évidemment briser des tabous. Et pourtant il faut absolument éviter de tirer le rideau pour le restant du quinquennat au prétexte d'être parvenus à un accord. Devant l'insuffisance de ce dernier, il faut au contraire revenir à la charge. Les organisations patronales ont dû jusqu'à présent, ils n'avaient pas le choix, se plier à la feuille de route définie par le gouvernement. Il leur reste à prendre cette fois l'initiative pour aller plus loin.