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Accord national interprofessionnel et Crédit impôt compétivité : de nouvelles entraves pour les entreprises ?

ANI, CICE, exigence de contreparties invalidantes ou vrais sabotages ?

L'Accord National Interprofessionnel signé le 11 janvier (ANI) et le Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi (CICE) sont les deux mesures phares que le gouvernement met en avant pour signifier aux entreprises qu'il a compris leurs revendications et est disposé à les satisfaire, tout au moins en partie. Mais au lieu de réformer ce qui doit l'être, il considère qu'il s'agirait de « cadeaux » qui seraient injustifiés s'ils n'étaient pas accompagnés de « contreparties ». Pire, les réticences exprimées par les députés qui vont être appelés dès lundi prochain à discuter du projet de loi de transposition de l'ANI sont telles qu'on peut se demander dans quelle mesure on n'est pas en face de tentatives de sabotage des accords du 11 janvier, et aussi du CICE. Résultat, les mesures en question ne vont-elles pas devenir de nouvelles chaînes entravant encore davantage l'action des entreprises ?

De quoi s'agit-il ?

Première mesure, l'ANI. La France souffre d'une rigidité insupportable du marché du travail, et d'un droit du travail étouffant. Des réformes sont évidemment nécessaires. Le gouvernement le reconnaît, et convoque une conférence des partenaires sociaux sur la base d'une feuille de route où, afin d'obtenir quelques améliorations, le patronat se trouve contraint d'accepter des contreparties qui vont faire payer ces dernières très cher aux entreprises : ce sont en particulier les hausses de cotisations et la socialisation de la complémentaire santé (plusieurs milliards d'euros), prévus par l'accord « gagnant-gagnant », en réalité un donnant-donnant, de l'ANI du 11 janvier. Sitôt conclu, cet accord se voit récusé par les deux principales centrales syndicales, ainsi que par un parti socialiste qui cherche par tous les moyens à le contourner à l'occasion de sa transposition dans la loi. On voit en effet le rapporteur à l'Assemblée Nationale, Jean-Marc Germain, énoncer le 26 mars, dans une interview par Les Echos, toute une série d'amendements qui sont autant de mesures destinées à rendre les accords inapplicables (voir encadré).

Deuxième mesure, le CICE, a pour objet de remédier aussi à une situation insupportable dans laquelle se trouvent plongées les entreprises françaises du fait de leur manque de compétitivité, en particulier en raison de la lourdeur unique au monde des charges sociales. Le gouvernement décide de diminuer à terme leurs charges de 20 milliards. On applaudit, mais on attendait simplement une baisse de ces charges, alors qu'on se trouve confronté à un système très compliqué destiné à faire comprendre aux entreprises que, au lieu de seulement rectifier cette situation, on va leur faire un « cadeau » qui ne sera pas non plus ici sans contreparties : il faudra marcher droit en tout cas, et utiliser le CICE uniquement pour certains objets, et ce sera surveillé. Comment, cela reste encore très confus. Mais là encore, le rapporteur à l'Assemblée Nationale, brandit quant à lui surveillance administrative et sanctions (voir aussi encadré).

Déclarations de Jean-Marc Germain, rapporteur PS du projet de loi de transposition.

Sur l'ANI

- « Nous avons travaillé à encadrer la mobilité interne aux entreprises afin qu'elle soit compatible avec la vie personnelle et familiale en termes de temps de transport ».
- « Nous avons aussi renforcé la protection des salaires…en permettant aux entreprises de bénéficier d'aides relatives au chômage partiel et en interdisant les baisses pour les rémunérations les plus basses ».
- Interdiction des dividendes : Le débat est « légitime…Nous avons déjà déposé des amendements prévoyant que les dirigeants et les actionnaires contribuent à hauteur de leurs moyens quand des efforts sont demandés aux salariés ».
- Plans sociaux et licenciements boursiers : « désormais, l'administration aura le pouvoir, à travers la nouvelle responsabilité qui lui est confiée d'homologuer les plans sociaux, d'exiger des entreprises des mesures de reclassement et de réindustrialisation proportionnés aux moyens du groupe. L'État pourra ainsi renchérir le coût des licenciements au point, espérons-le, de les dissuader ».

Sur le CICE

« Le projet de loi prévoit un contrôle par les partenaires sociaux de ces 20 milliards de crédits d'impôt accordés aux entreprises. En cas d'utilisation non conforme à la compétitivité et à l'emploi, ils pourront saisir les autorités administratives régionales ». Le rapporteur se demande aussi à quel moment aborder la question des « sanctions ».

Résumons-nous : des contreparties aux tentatives de sabotage

Tout d'abord, les contreparties n'ont pas lieu d'être. Ou bien il s'agit de passer des réformes indispensables, et il revenait au gouvernement de les décider en faisant preuve d'autorité, ou bien exiger des contreparties pénalisantes va inévitablement en annuler le bénéfice. C'est le cas des contreparties financières exigées dans le cadre de l'ANI, qui vont immédiatement et sûrement impacter le coût du travail en l'augmentant encore, en pleine contradiction avec l'objectif de compétitivité [1], en échange du bénéfice très éventuel d'accords de compétitivité qui sont surtout destinés aux grandes entreprises. Le gouvernement se targue de cibler les aides sur les petites entreprises, et le résultat est inverse. Les 20 milliards du CICE ne représentent quant à eux qu'une compensation très partielle pour les augmentations de fiscalité qui vont peser sur les entreprises et qui sont beaucoup plus élevées que 20 milliards si l'on prend en compte l'effet cumulé des mesures fiscales adoptées pendant la période 2011-2014 : les contreparties ont déjà été fournies.

Quant aux amendements évoqués par le rapporteur à l'Assemblée Nationale, on peut vraiment parler de tentatives de sabotage. La mobilité ? Il y a grand danger que la prise en compte de la vie personnelle et familiale des salariés viennent la rendre impossible ou trop onéreuse. Que recouvre le renforcement de la « protection des salaires », d'autre que ce qui est d'ores et déjà prévu par l'ANI [2] ? L'interdiction des dividendes ? Elle parachèverait la panoplie déjà bien fournie (taxe de 3%, augmentation de l'IR) des mesures anti-capitalistes, avec un résultat sur la croissance que l'on n'a pas besoin de préciser. Les pouvoirs des administrations pour soumettre les plans sociaux à des conditions impossibles à respecter ? Un véritable détournement de la loi, à l'effet de contourner l'absence de compétence de l'administration à juger de la cause réelle et sérieuse des mesures de restructuration. Comment qualifier autrement que de sabotage l'intention affichée de « renchérir le coût des licenciements au point, espérons-le, de les dissuader », autrement dit de rendre inapplicable une disposition voulue par les partenaires sociaux ?

Enfin, s'agissant du CICE, la référence à la saisine de « l'autorité administrative régionale » devient carrément folklorique [3]. Mais en parlant ainsi, et en ajoutant l'éventualité de sanctions, le rapporteur va détruire l'instrument dont le gouvernement fait actuellement la promotion. Il est certes acquis que l'administration fiscale n'a aucun pouvoir pour refuser l'attribution du crédit d'impôt (voir encadré).

L'instruction fiscale sur le CICE

« L'article 244 quater C du CGI prévoit que le crédit d'impôt a pour objet le financement de l'amélioration de la compétitivité des entreprises, à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement. L'entreprise ne peut ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations des personnes exerçant des fonctions de direction dans l'entreprise.

Ainsi, l'entreprise doit faire le bilan de l'utilisation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Il est à ce titre prévu que l'entreprise retrace dans ses comptes annuels l'utilisation du crédit d'impôt conformément aux objectifs mentionnés au paragraphe précédent : ces informations pourront notamment figurer, sous la forme d'une description littéraire, en annexe du bilan ou dans une note jointe aux comptes.

Ces dispositions doivent s'entendre non comme des conditions posées au bénéfice du crédit d'impôt, mais comme des éléments de cadrage permettant aux partenaires sociaux visés au V de l'article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 d'apprécier si l'utilisation du crédit d'impôt permet effectivement à celui-ci de concourir à l'amélioration de la compétitivité des entreprises. Ainsi, ces informations correspondent à une obligation de transparence, mais ne conditionnent pas l'attribution du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi.

Après concertation avec les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national, une loi peut fixer les conditions d'information du Parlement et des institutions représentatives du personnel ainsi que les modalités du contrôle par les partenaires sociaux de l'utilisation du crédit d'impôt afin que celui-ci puisse concourir effectivement à l'amélioration de la compétitivité de l'entreprise ».

Cette instruction fiscale confirme la neutralité de Bercy, mais ouvre in fine la voie à des contestations ultérieures encore inconnues. Les entrepreneurs sont déjà extrêmement méfiants à l'égard du CICE. La lourdeur administrative du système et les risques qu'ils vont devoir prendre, et qui restent à préciser, vont achever de dissuader bon nombre d'entre eux de l'utiliser. Ne serait-ce pas finalement l'objectif que se proposent d'atteindre certains ?

Pour conclure, le gouvernement n'est évidemment pas ignorant du risque de dérapage que subissent les deux mesures dont, malgré leur imperfection et leur timidité, la réussite est essentielle pour les entreprises, et que la communauté internationale a pris en compte comme un signe important en faveur de la compétitivité de ces dernières. Il n'en reste pas moins qu'un combat crucial va s'engager à l'Assemblée nationale entre le gouvernement et des députés dont l'attitude et le vote peuvent tout faire basculer dans un néant catastrophique. Plus que jamais l'exécutif doit tenir la barre fermement en face de sa majorité frondeuse et de l'opposition de syndicats importants comme la CGT et FO.

[1] Les dépenses de complémentaire santé n'ont par exemple rien à faire dans l'ANI !

[2] L'aide aux entreprises pour le chômage partiel est sûrement bienvenue, et introduit une mesure analogue au Kurzarbeit allemand, mais quel financement ? Quant à l'interdiction de baisser les salaires, elle est déjà prévue jusqu'à 1,2 Smic. L'intention du rapporteur est-elle d'augmenter le seuil, jusqu'à rendre inapplicable un accord ?

[3] De qui s'agit-il, de quel pouvoir administratif pourrait-il exciper ? Verra-t-on un préfet aller contester la gestion des entreprises de sa région ?!