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La loi sur l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne est mal partie

A l'issue des Quatrièmes rencontres parlementaires sur les jeux qui se sont tenues en décembre à la Maison de la Chimie [1], le constat au regard de l'état d'avancement de la petite loi [2] relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne est mitigé [3] : parlementaires, sénateurs et pouvoirs publics sont unanimes pour souligner que le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale au Sénat devra être sensiblement modifié et sans doute pas uniquement sur quelques points de détails.

Si le point d'équilibre du texte en matière, notamment, de régulation et de fiscalité semble à peu près trouvé, ce sont les modalités d'applications qui pèchent et qui risquent de faire dérailler le projet en cours de route. Rappelons que le calendrier gouvernemental avait théoriquement imposé l'ouverture à la concurrence des paris en ligne et du poker pour une date butoir fixée au 1er juin 2010, la Coupe du monde de football devant se dérouler en Afrique du Sud entre le 11 juin et le 11 juillet de la même année...

Un calendrier intenable ...

Premier problème, et de taille, l'ouverture mesurée du secteur des jeux qui a été décidée par les pouvoirs publics sous la pression des autorités de Bruxelles (Commission et CJCE) et de la concurrence étrangère [4], s'est faite au pas de charge, sous contrainte et avec une relative impréparation. Pour preuve : l'ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne) qui doit piloter l'élaboration du cahier des charges et le cahier des normes des opérateurs et qui sera présidée par François Vilotte n'est toujours pas instituée et sa mission de préfiguration qui permet à l'heure actuelle, par un tour de passe-passe, à la future autorité administrative de fonctionner sans base légale, ne peut accomplir ce travail alors même que les discussions parlementaires ne sont pas définitivement arrêtées. Il en résulte donc un retard considérable qui vraisemblablement ne pourra pas être rattrapé à temps. D'où une ouverture à la concurrence partiellement ratée, qui devrait aboutir dans le meilleur des cas entre octobre et novembre 2010... soit trois mois après la bataille.

En effet, comme Jean-François Lamour le constate avec réalisme « ce que j'entends sur l'ordre du jour au Sénat, fait que j'ai peur qu'on ait un peu de retard à l'allumage. » et le processus parlementaire hors l'hypothèse d'une déclaration d'une procédure d'urgence, ne fait que confirmer ses dire : d'après Sébastien Proto, Directeur de cabinet du ministre du budget, le projet ne pourra intervenir qu'une fois que seront lancées la réforme du grand emprunt et celle concernant les collectivités territoriales. Au mieux, donc, le vote du Sénat ne pourra intervenir qu'en mars 2010 (en tenant compte des vacances parlementaires d'avril) avant la réunion d'une commission mixte paritaire (Assemblée nationale et Sénat) puis la validation par le Conseil d'Etat, la notification de la loi à Bruxelles et la prise des décrets d'application. Le vote du projet de loi va donc intervenir nécessairement dans l'urgence... or les chantiers ouverts à régler restent très importants...

... Qui rétroagit sur le contenu de la loi

Premier sujet, la fiscalité : malgré les « efforts » affichés par les parlementaires au regard du secteur ludique, le TRJ (taux de retour aux joueurs) semble bloqué à 85% (nous reviendrons ultérieurement sur la politique de lutte contre l'addiction). Il en résulte une fiscalité uniforme haute de 7,5% des mises et de 2% pour le poker par pot dès le premier euro. Mais au-delà du fort différentiel existant par rapport aux concurrents anglais, italiens et maltais (voir dossier), les parlementaires se sont permis une inventivité fiscale particulièrement fertile : un prélèvement sur le produit des jeux en ligne au profit des communes disposant de casinos (limité à 10 millions/commune) (futur article 302 bis ZI CGI) et un prélèvement spécifique en direction des communes disposant d'hippodromes (futur article 302 bis ZG CGI). Comme le relève le sénateur Trucy « ces amendements cela s'appelle plumer la volaille (...) ce n'est pas de bonne méthode. »

Ensuite, contrairement au projet de loi belge, le projet français ne s'occupe que de l'ouverture des jeux en ligne sans s'attacher aux jeux en dur. Le projet est donc « partiel », et n'envisage pas une réforme de la régulation du secteur ludique dans sa globalité. Il en résulte des faiblesses sur le plan de la régulation. Ainsi, le choix a été fait pour aller vite, de laisser aux opérateurs agréés le soin de développer suivant le cahier des charges mis en place par l'ARJEL leur propre dispositif de sécurisation. Au contraire un développement mieux anticipé aurait permis de proposer un système de plate-forme d'intermédiation unique proposant un « guichet unique » avec un système de certificat numérique d'identité pour chaque joueur. Un système permettant notamment dans son volet curatif de proposer au joueur d'avoir un contrôle sur l'ensemble cumulé de ses mises quels que soient les opérateurs. Une telle approche a été proposée par deux sociétés : e-sapiens, dirigée par François Druel et Alain Schott, et Adictel, dirigé par Eric Bouhanna. Ce dernier est en effet en train de développer un système de cartes d'identifications (Uint Gaming Technology) en dur, qui pourrait avoir des applications en matière de jeux de grattage et de loteries en dur (accessibilité et interdiction) et en matière de jeux virtuels (paris, poker). Un système voisin est déjà en place dans les 10 000 débits de boisson Belge. Etienne Marique, Président de la Commission des jeux de hasard Belge depuis 1999 confirmant qu'ainsi les propriétaires de relais pouvaient contrôler l'âge et l'identité des joueurs [5]. Un impératif qui devrait intéresser la Française des jeux et le PMU qui représentent 95% des mises. Interrogé sur le sujet, le représentant de la FDJ ne semble pas avoir pris en compte ces paramètres pourtant essentiels en termes de lutte contre l'addiction : « Là je n'ai pas d'idée... on a déjà formé 27 000 points de vente, il nous en reste 10 000... ».

La lutte contre l'addiction

Significativement, les professionnels demeurent critiques vis-à-vis des pouvoirs publics et se réjouissent au contraire de la prise en compte accrue de l'addiction à l'occasion de l'ouverture des jeux en ligne à la concurrence. Ainsi que le relève Jean-Luc Vénisse, professeur au CHU de Nantes, et expert psychiatre en matière d'addictologie, « L'expérience collective montre que la France a un retard en la matière [études addictologiques] considérable à cause du monopole. » Les monopoles étant publics, il n'existait jusqu'à très récemment aucun encouragement au lancement d'études d'envergure sur le sujet. Cependant il est constaté que les « malades du jeu » ne représentent que 0,7% des joueurs. Un chiffre qu'il faut cependant s'empresser de compléter en relevant que le traitement de ces pathologies ludiques requiert d'abord une procédure d'intervention rapide pour obtenir des interdictions de jeux valides sur les jeux physiques (casinos) comme virtuels (sites de paris et sites de poker). Ce n'est qu'une fois ce travail de cantonnement effectué que l'on peut ensuite passer à la phase thérapeutique et non l'inverse. D'où les propos très durs de Eric Bouhanna à l'égard des pouvoirs publics sur un certain nombre de mauvaises idées : numéro vert d'aide psychologique, alors que les joueurs en détresse recherchent d'abord la limitation de leur exposition au jeu, dispersion et saupoudrage des moyens entre les CSAPA (centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie) et les différents centres de recherche mis en avant par les opérateurs publics. En effet, les structures sont soit trop étroites, soit ne disposent pas de personnels formés spécifiquement aux problèmes de la dépendance aux jeux. Une expertise dans laquelle le privé peut au contraire prendre toute sa part, surtout si comme Adictel, il dispose d'un système de prévention précoce disponible chez 95% des grandes marques de jeux.

Conclusion :

Le projet actuellement présenté au Sénat semble donc largement perfectible : et les points d'amélioration sont nombreux : rééquilibrage de l'intéressement renforcé par l'art.52 de la loi au profit des clubs sportifs contre les organisateurs de paris [6]. En l'état actuel, si rien n'est fait le nouveau dispositif permettra certes un financement amélioré des fédérations sportives mais risque au contraire de détourner les opérateurs des sports les moins prisés et des compétitions nationales au profit des internationales afin de diminuer leur emprise aux versements des droits [7]. Autre chantier, celui de l'impossibilité actuelle des joueurs de pokers en France de jouer avec des adversaires étrangers, ce qui risque de nuire à la liquidité des parties et à l'attrait de l'offre de jeux de table en ligne. Ecarter par principe l'usage par les opérateurs d'« agrégateurs » ou « fédérateurs de parties » inter-opérateurs, risque de détourner à terme les joueurs les plus actifs de l'offre régulée hexagonale. Enfin, il faudra régler les problèmes générés par l'ouverture coordonnée à la concurrence. La « remise des compteurs à zéro » pour les fichiers clients entre les opérateurs historiques et les nouveaux entrants risque de créer des problèmes aux joueurs dans la gestion de leurs comptes personnels auprès de leurs opérateurs réguliers et de leurs gains. Des hypothèses qui devront recevoir des solutions claires, adaptées et suffisamment précoces pour que chacun, professionnels comme joueurs, puisse s'adapter.

[1] Rencontres organisées par Jacques Myard, et sous le haut patronage de Brice Hortefeux, Eric Woerth et Roselyne Bachelot-Narquin, avec la participation du sénateur François Trucy, ainsi que de Xavier Hürstel, Patrick Le Lay, Isabelle Parize, Emmanuel de Rohan Chabot, Jean-François Vilotte pour la première table ronde centrée sur la clarification de la régulation du secteur des jeux en ligne, puis Louis Giscard d'Estaing, Emmanuel Benoit, Eric Bouhanna, Etienne Marique, Gérard Schoen, Jean-Luc Venisse et Thibault Verbiest, intervenant durant la seconde table ronde autour des enjeux de fiscalité et de lutte contre l'addiction

[2] La « petite » loi désigne en France dans chacune des deux assemblées parlementaires : Assemblée nationale et Sénat, un état transitoire d'une loi en cours de discussion fixé par l'une des chambres et transmise à l'autre.

[3] Petite loi déposée sur le bureau du Sénat le 13 octobre 2009, voir, http://www.assemblee-nationale.fr/1...

[4] C'est en effet en partie l'évasion des joueurs vers des sites étrangers placés dans des zones à la législation ludique et fiscale plus accueillante, qui a poussé le gouvernement à agir. Ils seraient cependant biens moins nombreux que ce qu'envisageaient les pouvoirs publics suivant les dernières estimations (Voir sondage Ipsos dans le Figaro du lundi 13 juillet 2009 p.26.) soit 300 000 contre 2,7 millions via le PMU et la FDJ (Française des jeux). Par ailleurs Alexandre Dreyfus dirigeant de la société Chilipoker, a remis en cause l'existence de 25 000 sites illégaux en Europe avancé par certains experts. Si l'on mettait 10 personnes par site, ceux-ci emploieraient 250 000 personnes ce qui est aberrant. Pour lui il n'existe en réalité « qu'une centaine de sites significatifs en Europe. »

[5] Il a confirmé que les propriétaires des débits de boisson disposant de terminaux ludiques étaient responsables du contrôle de l'identité des joueurs et de vérifier leur majorité via leurs cartes d'identification ludique et leur carte d'identité. Pour des étrangers, ces derniers pouvaient, après les contrôles d'usage, jouer sur la carte du propriétaire. En cas de défaut de contrôle, le propriétaire se voit retirer définitivement sa licence d'exploitation de jeux. Par ailleurs afin de lutter contre le jeu excessif le dispositif belge permet à l'entourage du joueur excessif de saisir le maire qui après enquête peut demander la prononciation par l'autorité compétente de l'interdiction de jeux. Enfin, la Belgique se distingue comme le seul pays Européen et le second au monde (après Macao) à recourir au paiement des mises par carte bleue et non en liquide ou par chèque. Cette obligation qui pourrait inciter (via les cartes de crédit) au jeu excessif, est en réalité modérée par l'usage intermédiaire des cartes d'identification et permet la traçabilité des sommes jouées par la CTIF-CFI (Cellule de traitement des informations financières (l'équivalent du Tracfin Belge)) afin de traquer l'argent sale (voir www.egmontgroup.org).

[6] Ce qui correspond à la traduction législative de l'arrêt du 14 octobre 2009 de la Cour d'appel de Paris, Unibet c/ Fédération française de tennis.

[7] Actuellement, un projet de rapport sur la publicité ludique durant les manifestations sportives est à l'étude auprès du CSA et confié à Christine Kelly.