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Explosion de la dette, la France bientôt sous tutelle de l’Union européenne?

La BCE vient d’annoncer un nouveau dispositif pour racheter encore massivement des dettes publiques d’États membres qui seraient attaqués sur leurs taux par les marchés. Cela pour éviter une nouvelle crise de la dette en zone euro.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le 1er aout 2022. A voir, en cliquant ici.

Officiellement, c’est parce que les taux d’intérêt entre la dette italienne et la dette allemande se sont écartés, mais, en réalité, il y a aussi derrière cette décision l’ombre de la situation financière de la France, deuxième pays de la zone en richesse, mais un pays endetté, au déficit du commerce extérieur abyssal et aux finances publiques exténuées. La crainte d’une crise de la dette en zone euro ne serait pas aussi forte si la France avait des finances publiques saines.

La possible fragmentation de la zone en deux camps devient possible, car la France a peu à peu basculé dans le camp des pays du sud de l’Europe, à force de procrastination sur les réformes, de drogue dure à la dépense publique et de matraquage fiscal appauvrissant sa population et anémiant son tissu économique et industriel. Il faut dire que, depuis la crise de 2008, les États membres de la zone euro ont continué à faire tourner leurs maisons respectives grâce à la Banque centrale européenne, qui fait marcher la planche à billets à fond, sponsorisant allégrement endettements public et privé.

Cette politique a clairement encouragé le relâchement budgétaire puisque la Banque centrale rachetait tous les mois des milliards et des milliards de dettes publiques et privées dans la zone euro. Au total, depuis 2008, plus de 6500 milliards d’euros de dettes publiques ont été rachetés par la BCE (dont 5000 milliards des programmes APP et PEPP). Cette politique du laisser-aller monétaire a contribué à créer les conditions de l’inflation. La hausse de 0,5 point des trois principaux taux directeurs par la BCE est un tournant et fait craindre une envolée des taux sur les dettes des pays les plus fragiles de la zone, et pas forcément les plus mal gérés. Rappelons-nous, l’Italie était en excédent primaire en 2019 (+ 1,8 point de PIB) et à - 2 points de PIB de déficit public en 2022, quand la France était à - 1,6 % de déficit en 2019 et - 3,2 % en 2022.

De toute évidence, la BCE ne craint pas une envolée des taux sur la dette des Pays-Bas, de l’Allemagne ou du Luxembourg. Le vrai risque, c’est d’abord l’envolée des taux de l’Italie, qui représente 15 % du PIB de la zone euro et dont l’écart avec l’Allemagne s’est rapidement creusé ces dernières semaines: Rome emprunte à 3,5 % à 10 ans quand Berlin continue d’emprunter sous les 1 %. À ce stade, pour la France, l’Italie constitue une sorte de bouclier face au marché, puisque Paris continue d’emprunter autour de 1,6 % à 10 ans. Pour contrer ce risque, la BCE a annoncé que le réinvestissement des remboursements des titres arrivant à échéance détenus dans le portefeuille du programme PEPP jusqu’à la fin de 2024 constituait la première ligne de défense.

Calculs faits, cela représente sur le papier environ 14 milliards d’euros par mois, soit environ 170 milliards par an. S’il était question de racheter uniquement de la dette italienne et de faire baisser les taux italiens, cela pourrait suffire puisque cela correspondrait peu ou prou à ce que la BCE a racheté de dette italienne ces dernières années (entre 10,3 et 11,2 milliards par mois). Le problème, c’est que cela ne suffirait pas à racheter à la fois des dettes italiennes et… françaises. Et c’est là qu’intervient le nouvel instrument de la banque centrale pour calmer les marchés: le TPI (Transmission Protection Instrument). En gros, la BCE se laisse la latitude de voler au secours d’un ou de plusieurs des États membres dont la dette serait attaquée sur les marchés en rachetant massivement - et sans limite — ses dettes.

Mais il y a des conditions et c’est là que cela se corse: les pays concernés devront respecter le cadre budgétaire européen et ne pas faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif, ni montrer de déséquilibres macroéconomiques graves, et la trajectoire de leur dette publique devra, en outre, être soutenable. Bref, on comprend entre les lignes que, pour pouvoir bénéficier de ces rachats exceptionnels et ciblés et non proportionnels comme l’était PSPP et PEPP, il faudra que les États respectent les règles budgétaires. Un scénario plus qu’improbable puisque les attaques des marchés sur la dette découlent en partie de la faiblesse de la gestion publique, mais aussi de la faiblesse de l’activité économique. S’il était appliqué, ce dispositif aboutirait à une sorte de tutelle de la BCE ou de la Commission sur le(s) pays bénéficiaire(s).

Si ce dispositif s’appliquait malheureusement à la France, nous serions clairement en voie de perte d’une partie de notre souveraineté budgétaire. Étant donné le niveau de crédibilité encore assez faible du programme de stabilité des finances publiques de la France dont nous venons (enfin!) d’avoir des bribes après des mois de retards, il y a tout lieu de croire que la France ne va absolument pas respecter la trajectoire qu’elle annonce. La croissance y est surévaluée et l’inflation sous-évaluée, comme le sont la charge de la dette et le déficit public. Il est peut-être temps d’expliquer à nos concitoyens que, si la zone euro risque de se fragmenter, c’est en partie à cause de la mauvaise gestion de la France. Notre responsabilité collective est immense. Au lieu de débattre de la redevance audiovisuelle, nous devrions actuellement discuter au Parlement du plan de redressement de nos finances publiques. Mais où est ce plan? Visiblement renvoyé entre septembre et octobre 2022… Avons-nous encore le temps?