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Budget 2024 : une baisse de la dépense publique « invisible » pour le moment

Le Gouvernement se targue de réaliser 16 milliards d’euros d’économies dans le cadre du budget 2024. Un montant auquel le ministre des Finances Bruno Le Maire a proposé que les parlementaires y rajoutent 1 milliard supplémentaire afin de pouvoir faire baisser le déficit public de 0,1 point passant de -4,4% du PIB à -4,3% du PIB au cours de la discussion budgétaire. Pour l’Exécutif, les 16 milliards d’euros se décomposeraient en deux blocs : 10 milliards d’euros qui proviendrait de la suppression partielle du bouclier tarifaire sur l’électricité ; 6 milliards qui sont peu documentés : 800 millions trouvés sur la politique de l’emploi (UNEDIC), 600 millions rabotés sur les sommes payées aux centres de formation des apprentis (CFA), 500 millions d’euros ponctionnés sur les opérateurs de l’Etat, une réduction de 200 millions d’euros sur le gazole non routier… manque à l’appel donc près de 3,9 milliards d’euros… d’autant que le doublement des franchises médicales a d’ores-et-déjà été écarté par voie législative (pour un gain compris entre quelques centaines de millions d’euros et jusqu’à 1,5 milliard en cas de relèvement des plafonds). Bref, un grand flou règne à date sur la documentation des économies réalisées en dehors de la suppression des mesures de soutien à la consommation énergétique. Un flou que l’on retrouve au niveau du budget de l’Etat, où les plafonds de dépenses et certaines présentations semblent montrer des baisses importantes de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros au sein du budget général, pour une dépense globale quasiment constante entre 2023 et 2024. 

Une trajectoire des finances publiques qui « affiche » des économies jusqu’en 2027

La mise à jour du PLPFP 2023-2027 (projet de loi de programmation des finances publiques) ainsi que du rapport annexé, a permis de rendre cohérente celle-ci avec les documents du PLF et du PLFSS 2024 publiés fin septembre 2023, s’agissant des prévisions macroéconomiques et macro-budgétaires. Le Gouvernement a par ailleurs décidé d’engager sa responsabilité via l’usage de l’article 49-3 s’agissant de la nouvelle lecture du PLPFP 2023-2027, afin d’adopter une loi de programmation à jour dont l’existence conditionne les financements futurs du plan de relance français par l’Union Européenne

L’identification des « économies » est réalisée pour l’ensemble des APU via l’usage d’une métrique pour l’évolution de la dépense en volume, à champ constant, hors transferts inter-secteurs des administrations publiques[1], et hors crédits d’impôts.

En milliards d’euros/Evolution en %

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Dépense totale hors crédits d'impôts et transferts

1 476,7

1 460,5

1 441,5

1 448,7

1 460,3

1 467,6

1 474,9

Evolution de la dépense (en volume à champ constant) 

-1,1

-1,3

0,5

0,8

0,5

0,5

Dépense des APUC (Etat+ODAC)

538,4

537,9

518,5

511,2

521,0

528,8

535,1

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

-0,1

-3,6

-1,4

1,9

1,5

1,2

Dépenses des APUL (Coll loc+ODAL)

275,5

275,7

278,5

281,0

281,6

276,2

273,5

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

0,1

1,0

0,9

0,2

-1,9

-1,0

Dépenses des ASSO

662,8

646,9

644,5

656,4

658,4

662,7

666,4

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

-2,4

-0,5

1,7

0,3

0,7

0,6

Source : Article 3, PLPFP 2023-2027, et calculs Fondation iFRAP octobre 2023. 

Il s’agit des trajectoires théoriques non contraignantes qui représentent des « plafonds » à ne pas dépasser. Pour 2024, les « économies » identifiées via ces plafonds seraient les suivantes :

 

2021

2022

2023

2024

Var 24-23Var 24-21
Dépense totale hors crédits d'impôts et transferts

1 476,7

1 460,5

1 441,5

1 448,7

7,2

-28,0

Evolution de la dépense (en volume à champ constant) 

-1,1

-1,3

0,5

  
Dépense des APUC (Etat+ODAC)

538,4

537,9

518,5

511,2

-7,3

-27,2

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

-0,1

-3,6

-1,4

  
Dépenses des APUL (Coll loc+ODAL)

275,5

275,7

278,5

281,0

2,5

5,5

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

0,1

1,0

0,9

  
Dépenses des ASSO

662,8

646,9

644,5

656,4

11,9

-6,4

Evolution en volume à champ constant hors transferts 

-2,4

-0,5

1,7

  

Source : Article 3, PLPFP 2023-2027, et calculs Fondation iFRAP octobre 2023. Attention, les totaux ne recoupent pas exactement leur diffraction par sous-secteur à 1 milliard d’euros près. 

Il apparaît que la dépense globale en 2024 par rapport à 2023 serait en augmentation de 7,2 milliards d’euros, mais en baisse sur le champ des APUC (Etat + ODAC) de -7,3 milliards d’euros ; les collectivités territoriales et surtout le champ des administrations de sécurité sociale étant en augmentation en euros constant (soit +2,5 milliards et +12 milliards respectivement), ces hausses de dépenses gommant complètement les gains effectués au niveau de l’Etat et de ses opérateurs.

Au niveau du budget de l’Etat, des « économies » à géométrie variable

Indiquons tout d’abord que les chiffres livrés ci-dessous sont exprimés non plus en comptabilité nationale, mais en comptabilité budgétaire. La présentation du budget de l’Etat net des remboursements et dégrèvements (R&D) d’Etat et locaux en 2022 est la suivante :

En euros courants

Exécution 2022

LFI 2023

Révisé 2023

Ecart à la LFI

PLF 2024

Ecart au révisé 2023

Ecart à la LFI 2023

Dépenses du BG et PSR

505,4

520,6

524,4

3,9

511,6

-12,8

-9

Dépenses du budget général

438,2

450

455,5

5,5

445,1

-10,4

-4,9

Prélèvements sur recettes

67,3

70,6

68,9

-1,7

66,5

-2,4

-4,1

dont PSR au profit des coll terr

43

45,6

44,5

-1,1

44,8

0,3

-0,8

dont PSR au profit de l’UE

24,2

25

24,4

-0,6

21,6

-2,8

-3,4

Recettes fiscales nettes

323,3

328,2

332,1

3,9

349,4

17,3

21,2

Recettes non fiscales

23,9

30,9

26,0

-4,9

22,6

-3,4

-8,3

Solde des comptes spéciaux - hors FMI

6,7

-3,6

-5,8

-2,2

-5,1

0,7

-1,5

Solde des budgets annexes

0

0,1

0,1

0

0,2

0,1

0,1

Solde Etat - hors FMI

-151,5

-164,9

-172,1

-7,1

-144,5

27,6

20,4

Source : Direction du Budget, PLF 2024.

Sur ce champ, tant les dépenses du budget général que celles des PSR (prélèvements sur recettes), contribueraient aux économies entre 2023 et 2024. Une baisse d’ailleurs plus importante par rapport à l’estimation du budget révisé 2023, soit -12,8 milliards d’euros contre -9 milliards par rapport à la LFI 2023.  D’ailleurs la baisse des PSR dans le budget révisé contribuerait beaucoup moins que par rapport à la LFI 2023 (passant de -4,1 milliards à -2,4 milliards). Sur le champ des prélèvements sur recettes, la contribution proviendrait d’une baisse plus importante de la contribution à l’UE en 2024 qu’en 2023 (à cause de la révision des clés en RNB entre les différents pays européens). Mais cette présentation ne permet pas de décomposer ces économies par ministères ou par nature au niveau du budget général. Par ailleurs les budgets annexes sont uniquement présentés en solde et donc de façon contractée, ce qui permet pas de voir les contributions respectives des recettes et des dépenses au solde excédentaire de 0,1 milliard entre 2023 et 2024. 

Une autre estimation un peu plus précise est disponible en partant de la norme « périmètre des dépenses de l’Etat ». Il s’agit des crédits budgétaires des ministères hors contribution au CAS Pensions et hors service de la dette de l’Etat et autres opérations financières, entre autres et retraités des flux internes entre ministère (soit 6 milliards d’euros) auxquels on ajoute les taxes affectées plafonnées. Le PDE est conçu comme une norme plafond, et disponible jusqu’en 2027 (même si les détails de crédits fournis dans les bleus ne le sont que jusqu’en 2026) :

Cette présentation monter que sur le PDE les dépenses devraient baisser de -5,2 milliards d’euros. Mais il s’agit d’une présentation LFI à LFI au format de l’année 2024. Les économies seraient plus importantes par rapport à l’exercice 2023 révisé, soit -7 milliards d’euros.

Dépenses de l'Etat en crédit de paiement

LFI 2023

Révisé 2023

PLF 2024

PLF 2025

PLF 2026

Var 24-Révisé 23

Var 24-23

Crédits budgétaires des ministères

340,6

341,9

334,3

345,7

351,0

-7,6

-6,3

Taxes et recettes affectées

20,2

20,2

21,8

22,3

22,2

1,6

1,6

Budgets annexes et comptes spéciaux

70,7

72,9

74,3

76,3

77,7

1,4

3,6

Prélèvements au profit des collectivités territoriales

45,6

44,5

44,8

45,2

45,7

0,3

-0,8

Prélèvements au profit de l'Union européenne

25,0

24,4

21,6

27,4

27,8

-2,8

-3,4

Retraitement des flux internes de l'Etat, dont not. T3 CAS

-6,0

-6,0

-6,0

-6,0

-6,0

0

0

Economies issues des revues de dépenses   

-6,0

-6,0

0

0

Total Périmètre des dépenses de l'Etat (PDE)

496,1

497,9

490,9

504,9

512,4

-7

-5,2

Charge de la dette (y.c. SNCF Réseau)

51,7

55,6

52,2

55,7

61,0

-3,4

0,5

Cantonnement de la dette liée à la crise Covid (P.369)

6,6

6,6

6,5

8,7

9,0

-0,1

-0,1

Agrégat total dépenses

554,4

560,1

549,6

569,3

582,4

-10,5

-4,8

CAS pensions de l'Etat et autres 

57,7

58

58,6

  

0,6

0,9

Source : LFI 2023 au format PLF 2024, crédits budgétaires hors contributions directes au CAS "Pensions", CAS hors (P.712 et 743)

Cette présentation a le mérite de montrer que les économies issues des revenus des dépenses représenteraient 6 milliards d’économies/an… mais uniquement à compter de 2025 et 2026. Aucun effet de ces revues n’est prévu pour 2024. Par ailleurs les crédits des ministères baisseraient de 6,3 milliards d’euros entre le PLF 2024 et la LFI 2023, et de -7,6 milliards d’euros entre le PLF 2024 et l’exécution 2023 révisée. 

Ces « économies » sont en cohérence avec les plafonds pluriannuels des crédits des ministères présentés par l’article 12 du PLPFP 2023-2027, avec un format différent de celui présenté plus haut, exprimés hors contribution du BG au CAS Pensions, hors charges de la dette et hors remboursements et dégrèvements d’impôts (qui interviennent symétriquement en comptabilité budgétaire en recettes et en dépenses) :

Plafonds de crédits alloués aux missions du BG hors contributions au CAS pensions, hors charges de la dette et hors R&DLoi de finances 2023 format 2024

2024

2025

2026

Var 24-23

Action extérieure de l'Etat

3,1

3,3

3,4

3,4

0,2

Administration générale et territoriale de l'Etat

3,5

3,9

4,3

4,6

0,4

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

3,6

4,5

4,5

4,6

0,9

Aide publique au développement

5,9

5,9

6,4

6,9

0

Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation

1,9

1,9

1,8

1,7

0

Cohésion des territoires

17,9

19,4

19,7

20,2

1,5

Conseil et contrôle de l'Etat

0,7

0,7

0,7

0,7

0

Crédits non répartis

1,2

0,5

0,2

0,2

-0,7

Culture

3,5

3,7

3,8

3,8

0,2

Défense

43,9

47,2

50,5

53,7

3,3

Direction de l'action du Gouvernement

0,9

1,0

1,0

1,0

0,1

Ecologie, développement et mobilité durables

35,7

20,7

25,6

26,3

-15

Economie

7,7

4,1

3,9

3,9

-3,6

Engagements financiers de l'Etat

61,2

60,8

66

71

-0,4

Enseignement scolaire

60,3

64,2

65,1

65,4

3,9

Gestion des finances publiques

8

8,3

8,4

8,3

0,3

Immigration, asile et intégration

2

2,2

2,2

2,3

0,2

Investir pour la France 2030

6,1

7,7

8,5

7,7

1,6

Justice

9,6

10,1

10,7

10,7

0,5

Médias, livre et industries culturelles

0,7

0,7

0,7

0,7

0

Outre-mer

2,5

2,6

2,6

2,6

0,1

Plan de relance

4,4

1,4

0,7

0,6

-3

Pouvoirs publics

1,1

1,1

1,1

1,2

0

Recherche et enseignement supérieur

30,6

31,6

32,1

32,7

1

Régimes sociaux et de retraite

6,2

6,2

6,4

6,4

0

Relations avec les collectivités territoriales

4,5

4,3

4,2

4,2

-0,2

Santé

3,4

2,3

1,9

2

-1,1

Sécurités

16,1

16,5

17

17,5

0,4

Solidarité, insertion et égalité des chances

29,4

30,7

31,8

32,9

1,3

Sport, jeunesse et vie associative

1,8

1,8

1,6

1,6

0

Transformation et fonction publiques

1,1

1,1

0,8

0,8

0

Travail et emploi

20,7

22,4

22,4

21,6

1,7

Montant total des crédits du BG plafonnés

399,2

392,8

410,0

421,2

-6,4

Source : PLPFP 2023-2024 adopté A.N. avec 49-3. Article 12. Totaux, calculs Fondation iFRAP octobre 2023.

Il est désormais possible d’identifier les missions au sein desquelles des économies seraient réalisées au sein du budget général de l’Etat : soit -3,6 milliards sur la mission Economie, -15 milliards s’agissant de la mission Ecologie, développement et mobilité durables : ces deux baisses de crédits venant de pair avec le démantèlement du bouclier énergie, -3 milliards sur la mission Plan de relance, -1,1 milliard en matière sur la mission Santé, -0,4 milliard s’agissant des Engagements financiers de l’Etat, et une baisse de 700 millions d’euros sur la mission crédits non répartis. Au total les plafonds de crédits pluriannuels du budget général présentent des baisses de dépenses de l’ordre de -24 milliards d’euros et des hausses de l’ordre de 17,6 milliards d’euros, pour un solde de -6,4 milliards. 

Mais aucune vision conclusive n’est en revanche visible lorsqu’on regarde l’état F publié au sein du PLF 2024[2], que nous avons comparé avec la LFI 2023[3] (périmètre budget général hors fonds de concours) ainsi que les budgets annexes et les CAS:

 

2023

2024

 

En milliards d’euros courants

LFI

PLF

Var 24-23

Missions du budget général

577,0

581,1

4,1

Titre 1er : dotations des pouvoirs publics

1,1

1,1

0,1

Titre 2. Dépenses de personnel

146,0

153,5

7,5

Titre 3. Dépenses de fonctionnement

71,5

71,0

-0,5

dont dépenses de fonctionnement courant

37,9

35,4

-2,5

dont subventions pour charges de service public

33,6

35,6

2,0

Titre 4. Charges de la dette de l'Etat

51,7

52,2

0,5

Titre 5. Dépenses d'investissement

18,8

21,7

2,9

Titre 6. Dépenses d'intervention

279,4

273,9

-5,4

Titre 7. Dépenses d'opérations financières

8,6

7,7

-0,9

Missions des budgets annexes

2,3

2,4

0,1

Comptes d'affectation spéciale

83,9

79,9

-4,0

Total

663,3

663,4

0,2

Source : LFI 2023 et PLF 2024. Calculs Fondation iFRAP octobre 2023.

En particulier, les missions du budget général verraient leurs crédits augmenter de 4,1 milliards entre la LFI 2023 et le PLF 2024, dont +7,5 milliards s’agissant des dépenses de personnels (revalorisation du point de fonction publique au 1er juillet 2023 et son extension en année pleine, mesures catégorielles notamment en faveur de l’Education nationale etc.), mais aussi de +2 milliards s’agissant des dépenses de fonctionnement en faveur des opérateurs de l’Etat (subventions pour charge de service public), ainsi qu’en matière de dépenses d’investissement (+3 milliards). En revanche les dépenses de fonctionnement courant seraient en baisse (-2,5 milliards), tout comme les dépenses d’intervention (fin des boucliers tarifaires) pour -5,4 milliards et des opérations financières (-0,9 milliards) liées à de moindres charges d’indexation dans le cadre du service de la dette de l’Etat. Par ailleurs ces dépenses en augmentation au sein du BG seraient elles-mêmes compensées par des baisses au niveau des CAS (comptes d’affectation spéciale), aboutissant à une stagnation des dépenses en valeur (+0,2 milliard d’euros) entre 2023 et 2024. 


[1] Il est donc nécessaire de repartir des données « consolidées » des flux internes en dépenses publiées par l’INSEE en décembre de l’année n+1 s’agissant de l’année n. Donc ici 2021, Dépenses des administrations publiques ventilées par fonction, tableau 3.307 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6438779?sommaire=6438793 

[2] PLF 2024, p.393. 

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046845631/