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Un siège unique pour le parlement européen !

Il faut mettre fin à la transhumance des eurodéputés !

A l'heure des élections européennes qui surviendront en France le 7 juin prochain, il est important que les Français, qui dans un sondage rendu public le 11 mai [1] affirmaient à 61% se prononcer avant tout en fonction des enjeux européens, soient sensibilisés au contrôle du coût des institutions européennes. Certes, le budget européen et singulièrement celui de son parlement ne passionnent pas les foules, et sans doute beaucoup moins encore que le budget français. Il ne faudrait pas cependant que l'accent porté par les pouvoirs publics nationaux sur le contrôle des dépenses domestiques, soit contrebalancé par un aveuglement quant aux dépenses communautaires. Pour mémoire, rappelons que le budget 2009 représente tout de même 116 milliards en crédit de paiement et 133,8 milliards en crédits d'engagement. Ceci représente une croissance modérée par rapport à 2008 en paiement (+0,3%) mais une augmentation sensible en matière de dépenses engagées (+2,5%). Ceci ne doit pas masquer en revanche la croissance très significative des dépenses administratives : fortes de 7,7 milliards, elles croissent de 5,8% ! Dans cette course aux dépenses, le parlement européen n'est pas en reste, avec un budget de 1,53 milliard, soit une augmentation de 5,33% par rapport à 2008.

Budget du parlement européen
Dépenses (crédits de paiement) en €Budget 2007 (exécuté)Budget 2008Budget 2009variations 2008/2009 (%)
Personnels liés à l'institution 721 289 938,81 757 636 519 809 846 838 6,89
Immeubles, mobilier, dépenses diverses de fonctionnement 311 038 707,47 290 040 211 294 381 200 1,49
Dépenses relatives à ses missions générales 101 931 230,27 125 402 985 133 095 300 6,13
dépenses relatives à ses missions spécifiques 203 355 320,43 223 147 300 256 125 000 14,7
autres dépenses 0 56 290 152 36 522 592 -35
Total 1 337 615 196,98 1 452 517 167 1 529 970 930 5,33
Hypothèse du coût du nomadisme institutionnel d'après M Priestley (16%) 214 018 431 232 402 746 244 795 348 5,33

Il est, dans ce contexte, important de bien contrôler les comptes des administrations européennes. Et afin d'y parvenir, certaines réformes institutionnelles devraient permettre de mieux limiter le volume des dépenses : au premier chef, il serait important de parvenir à unifier le siège de résidence du parlement européen. Une réforme qui permettrait d'économiser entre 200 et 250 millions d'€/an.

Actuellement, les parlementaires européens sont nomades. Ils doivent en effet se partager entre deux sièges pour leurs sessions parlementaires : pour les réunions simples et en commission à Bruxelles et certaines sessions additionnelles, pour les sessions plénières (12 fois par an pour des sessions de 5 jours dont 2 en octobre pour le budget puisque le mois d'août est réservé aux vacances parlementaires) à Strasbourg. Le plus étonnant c'est que ces deux lieux ne sont pas les seuls occupés par le parlement européen. Celui-ci en effet est constitué en trépied, avec Bruxelles, Strasbourg pour les députés eux-mêmes et Luxembourg qui accueille actuellement le secrétariat du Parlement.

Or ce caractère itinérant du Parlement européen est ubuesque du point de vue des finances publiques. Une dérive bien mise en évidence entre 2002 et 2003 par Julian Priestley, secrétaire général du Parlement européen dans un rapport resté confidentiel. Ce coût serait estimé à 16% du budget parlementaire, soit aujourd'hui entre 200 et 250 millions d'€. Un journaliste d'investigation italien, Fabrizio Gatti s'est intéressé de très près à cette question : son constat est éclairant : la transhumance parlementaire oblige mensuellement 3000 fonctionnaires à se déplacer entre les différents sites, les 785 eurodéputés (736 à partir de juin 2009), ce qui représente 71 369 jours de transfert entre les trois sièges mais aussi nécessite de convoyer pour 200 tonnes de documents nécessitant 20 semi-remorques. En outre, le coût des cinq jours mensuels des sessions strasbourgeoises est 33% plus cher que leurs homologues bruxelloises. Il faut par ailleurs continuer d'entretenir, de surveiller, de chauffer, d'éclairer chaque bâtiment déserté par les parlementaires partis siéger ailleurs.

Toutes choses égales par ailleurs c'est ce qui a conduit en son temps la Cour du roi de France à s'immobiliser définitivement à partir de la fin du XVème siècle. Il faut dire que les coûts induits par la perte des archives constituait l'élément décisif qui conduisit à l'élection de Paris pour capitale permanente. Le mouvement est sensiblement le même pour le Parlement européen. Le convoyage des 3 400 armoires documentaires et des 800 chariots spéciaux pour les transporter a un coût annuel d'1 millions d'€ et peut en cas d'erreur occasionner bien des troubles : il existe en effet plus de 2 650 destinataires possibles !

Par ailleurs la répartition des effectifs de personnels milite en faveur de Bruxelles : l'UE dispose de 50 000 fonctionnaires dont 40 000 se trouvent déjà à Bruxelles, la commission en comportant quelque 32 000. Le Parlement européen représente 5 000 fonctionnaires, dont 1000 se trouvent en permanence à Bruxelles, 3000 font mensuellement la navette avec Strasbourg, 300 se situent au Luxembourg et constituent l'effectif du secrétariat du Parlement, tandis que 700 résident en permanence à Strasbourg.

Au Parlement, la proposition est relayée par l'eurodéputé libéral allemand Alexander Alvaro, et son site « One seat ». En coulisse, les parlementaires anglais, belges, hollandais, font front afin de promouvoir l'unification des sièges [2]… la position de l'Allemagne, longtemps soutien de la France pour la présence du parlement à Strasbourg, pourrait évoluer… malgré les retombées pour la ville voisine de Kehl… il faut dire que la situation économique actuelle pousse aux efforts d'économies budgétaires… mais qu'à Strasbourg, la présence du parlement européen représente un montant considérable : 10% des ressources de la ville (sans compter les effets induits sur le commerce et l'hôtellerie). Ce chiffre est-il déterminant ? Pas si sûr… en effet, si les ressources publiques sont importantes, le secteur de l'hôtellerie se retrouve en surcapacité 305 jours par an ! Et encore, ce chiffre est optimiste car à la vérité ce sont pas moins de 30% des parlementaires et de leurs assistants qui ont déjà déserté les lieux après le 3ème jour de présence, afin de préparer leur réinstallation à Bruxelles. Il serait donc bien plus profitable pour la ville de trouver une institution qui jouisse d'une situation définitivement permanente de façon à stabiliser les ressources du secteur public et à pérenniser celles du secteur de l'hôtellerie-restauration.

Il revient en définitive aux Etats eux-mêmes de s'approprier la paternité de cette simplification majeure. Elle se produira d'ailleurs d'autant mieux qu'une institution prestigieuse prendra place dans les locaux de l'ex-Parlement à Strasbourg. A l'heure actuelle, le siège de l'Europe de la défense est évoqué [3]. Une bonne piste pour mettre fin à un polycentrisme institutionnel particulièrement coûteux.

[1] Sondage commandé par le Nouvel Observateur, et réalisé par LH2.

[2] Chaque camp aiguise donc ses armes et saisit la CJCE (Cour de justice des communautés européennes). Sans retracer l'historicité exhaustive de cette « guerre des sièges » par juridiction interposée, nous relèverons qu'elle débute tout de même dès 1983. Dans sa version la plus récente, une décision du Parlement du 20 septembre 1995 s'appuyait sur les dispositions de l'article 142 CE énonçant la liberté pour le Parlement de décider de sa propre organisation interne, pour revendiquer la libre détermination de son siège. La France a saisi la CJCE afin de faire annuler cette décision en s'appuyant sur l'article 216 (devenu l'article 289) établissant la compétence des Etats membres pour déterminer les sièges des institutions communautaires. Dans son arrêt CJCE.1er octobre 1997 France c/ Parlement européen, aff.345/95 la Cour européenne donne tort au Parlement.

[3] Sur le plan budgétaire, il pourrait alors « louer » le bâtiment du parlement européen de Strasbourg qui a été acheté par le Parlement le 24 octobre 2006, en vertu de l'application du protocole annexé aux traités communautaires dans le cadre du traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, reprenant la décision de justice du 1er octobre 1997 (note 2). Une bonne idée afin de commencer à rénover l'édifice, sachant que ce même bâtiment en 2008 commençait déjà à présenter des signes d'obsolescence avancée… le 7 août le faux-plafond de l'hémicycle s'effondrait dans la soirée… une chance, le Parlement était alors en vacance… il devra alors dans l'urgence se réunir à la rentrée à Bruxelles début septembre, rompant avec le protocole qui prévoyait d'ouvrir la rentrée parlementaire pour cinq jours à Strasbourg.