Lutte anti-corruption, n'oublions pas le public!
La France a reculé à la 25ème place du classement Transparency International en 2024[1] en termes de corruption ressentie. 54 % des Français estiment que la corruption est répandue au sein du gouvernement et des élus. La France vient de publier le 14 novembre 2025 son Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029, qui constitue le 2ème plan anti-corruption après celui de 2020-2022 et formule à cette fin 36 mesures. Par ailleurs la Cour des comptes vient d’adopter un rapport issu d’une campagne de participation citoyenne évaluant la politique publique de lutte contre la corruption de 2013 à 2024. Et le constat est sans appel : si la France dispose d’un cadre juridique solide (loi Sapin II, dispositifs d’alerte, cartographie des risques), l’absence d’indicateurs fiables pour mesurer la prévalence de la corruption et la réactivité tardive des autorités et de la réponse pénale (scandales médiatiques comme déclencheurs) sont pointées du doigt. Quant au secteur public, le cadre est jugé lacunaire. Contrairement aux entreprises, les acteurs publics ne risquent aucune sanction administrative de la part de l'AFA en cas de manquement à leurs obligations préventives.
La corruption, un phénomène mal mesuré et une répression qui plafonne
La France a reculé à la 25ème place du classement Transparency International en 2024[1] en termes de corruption ressentie. Les enquêtes de victimisation « montrent que la corruption n’est pas un phénomène marginal (entre 0,5 % et 1 % de la population adulte de métropole estime qu’elle a été victime de tentatives de corruption) ». Ce qui est significatif car il s’agit d’un volume comparable à celui des ménages victimes de cambriolage. On relèvera par ailleurs que près de 16 % des chefs d’entreprises considèrent la corruption comme une contrainte majeure, soit un taux double de celui de l’Allemagne (8 %).
Or, les faits constatés par les forces de sécurité intérieure restent peu nombreux (934 en 2024) ou sanctionnés par les tribunaux (350 en 2022). Cela témoigne donc d’un manque de connaissance et de suivi du phénomène, ce qui en aval rend plus difficile la mesure de l’efficacité des actions de prévention et de détection, mais aussi de sanction. Cela devrait conduire l’AFA (l’Agence française Anticorruption) à « renforcer ses outils de mesure et d’analyse de la corruption » via la fiabilisation de ses indicateurs et la consolidation de ses données.
La Cour expose par ailleurs que « l’évaluation du coût de cette politique est délicate ». Si l’on ne prend en compte que les coûts directs pour l’Etat – certaines structures spécialisées et les affectations d’effectifs spécifiques au sein de certaines juridictions et services, ils représentent seulement 22 M€ pour 170 postes, mais impliquent en aval environ 4 500 agents (4 468 ETP[2]). En réalité, les 170 postes regroupent les personnels des autorités sectorielles qui offrent un paysage extrêmement éclaté : les autorités indépendantes chargées de la transparence de la vie publique (HATVP), du respect des règles de financement de la vie politique (CNCCP), l’Agence anticorruption (AFA) qui est un service à compétence nationale, ainsi que d’autres acteurs publics qui détectent et sanctionnent les faits de corruption (PNF, Oclciff et prochainement Parquet national contre la criminalité organisée (Pnaco)[3]). Les 4 500 ETP supplémentaires se décomposent entre :
Forces de sécurité intérieure (enquêteurs financiers), soit 4 166 personnes dont 56,8 % de gendarmes ;
Des personnels du ministère de la justice (administration centrale, PNF, 8 JIRs), soit 172 personnes ;
Les juridictions spécialisées et les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale, ainsi que la cellule de renseignement TRACFIN, soit 130 personnes ;
Néanmoins, l’activité judiciaire reste en décalage (voir supra) avec une hausse des signalements. Ainsi, les faits constatés d’atteintes à la probité enregistrés par les forces de sécurité sont en hausse de 51 % sur la période 2016-2024, atteignant 934 faits en 2024. Les condamnations restent largement en deçà des faits constatés puisqu’on en constate annuellement entre 300 et 400/an, soit un taux relativement stable. Si l’on s’intéresse au taux de classement, la réponse pénale est limitée puisque 53 % des dossiers transmis aux parquets ne font pas l’objet de poursuites. Quant aux délais de jugement, la justice est particulièrement lente s’agissant de ces contentieux : le délai moyen de condamnation est de 6,1 ans en première instance et atteint 8,3 ans en appel.
Le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029Le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029, adopté par le Gouvernement le 14 novembre 2025, constitue le deuxième plan de ce type après celui de 2020-2022. Il s'inscrit directement dans le cadre de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 (loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique), qui impose à l'État l'élaboration périodique d'un tel document pour structurer la politique publique anticorruption. Ce plan comporte 36 mesures structurées autour de quatre axes principaux :
Parmi les mesures phares :
Le plan est coordonné par l'Agence française anticorruption (AFA), qui assure le suivi et l'animation. Ce document n'a pas de valeur normative directe (il n'est pas un acte réglementaire opposable), mais constitue un acte de soft law : un outil de pilotage administratif et politique, engageant moralement et politiquement l'État. Il s'inscrit dans une logique de gouvernance publique renforcée, répondant aux recommandations internationales (OCDE phase 4, GRECO) qui critiquaient précédemment l'absence de stratégie nationale structurée et permanente. Juridiquement, il traduit une obligation légale de coordination interministérielle, renforçant le rôle de l'AFA comme autorité administrative indépendante (bien que sous tutelle Justice/Budget). La création du comité interministériel marque une innovation institutionnelle, visant à pallier la fragmentation du dispositif (AFA, PNF, HATVP, OCCLIFF). Points forts
Faiblesses et limites juridiques
En conclusion, ce plan marque un nouvel élan politique bienvenu, répondant partiellement aux constats sévères de la Cour des comptes (décembre 2025). Juridiquement, il consolide le cadre Sapin 2 sans le révolutionner, en optant pour une approche pragmatique et interministérielle. Pour une efficacité accrue, il gagnerait à être complété par des mesures contraignantes (ex. : obligations renforcées pour les administrations) et une hybridation avec des modèles plus coercitifs (comme les plans italiens ou portugais). Il positionne néanmoins la France comme acteur ambitieux en Europe, à condition d'une mise en œuvre rigoureuse. |
Un cadre juridique construit par stratification sans vision d’ensemble…
En 2013, à la suite de l’affaire « Cahuzac », le législateur impose des règles nouvelles de transparence et de prévention des conflits d’intérêts aux élus, aux responsables publics et aux agents publics en complément de celles existant pour les partis politiques.
En 2016 afin de protéger la compétitivité des grandes entreprises françaises menacées par les sanctions extraterritoriales américaines, la loi Sapin 2 a instauré un dispositif de prévention de la corruption obligatoire pour les entreprises et les entités publiques.
Depuis 2020, plusieurs affaires de corruption dites « de basse intensité » liées à la criminalité organisée et au trafic de drogue ont conduit à l’adoption de mesures au travers de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
C’est dans ce contexte fait d’empilement législatifs successifs qu’apparaissent progressivement des autorités de régulation (prévention/détection) et de sanctions, et leurs outils :
Mais l’on assiste dans le même temps à une asymétrie public/privé :
Secteur Privé (Loi Sapin 2) : Les grandes entreprises (plus de 100 M€ de CA et 500 salariés) sont soumises à une obligation de résultats sous le contrôle de l'Agence française anticorruption (AFA). Bien que cela ne concerne que 2 % des entreprises, elles représentent 85 % du chiffre d'affaires national. Le risque de sanctions extraterritoriales a disparu grâce à la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), qui a permis de prononcer plus de 4 Md€ d'amendes cumulées.
Secteur Public : Le cadre est jugé lacunaire. Contrairement aux entreprises, les acteurs publics ne risquent aucune sanction administrative de la part de l'AFA en cas de manquement à leurs obligations préventives. Le déploiement des référents déontologues et des dispositifs d'alerte demeure très inégal, particulièrement dans les collectivités locales.
L'émergence de la « corruption de basse intensité »
Le cadre juridique s'adapte tardivement à la menace du narcotrafic. La corruption d'agents publics (dockers, policiers, greffiers) par la criminalité organisée est identifiée comme un risque majeur.
La loi du 13 juin 2025 vise à répondre à cet enjeu via le nouveau Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), mais l'articulation avec le Parquet national financier (PNF) reste à préciser.
Une chaîne répressive fragmentée
- Sanctions disciplinaires : Elles sont sous-utilisées dans la fonction publique (environ 250 sanctions par an pour 5,7 millions d'agents).
Indépendance des autorités : La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ne dispose toujours pas de pouvoir de sanction propre pour les manquements déclaratifs, ce qui l'oblige à transmettre les dossiers au pénal avec un taux de retour très faible.
… Aboutissant à une définition du conflit d’intérêt à géométrie variable
En perspective cavalière, la conception des conflits d’intérêts depuis 2011 à fait l’objet de nombreux glissements. Nous sommes passés en quinze ans d'une volonté de moralisation totale (incluant la surveillance des liens entre institutions publiques) à une approche plus pragmatique et corporatiste, qui tend à "désarmer" le droit pénal pour les relations internes à la sphère publique, au risque de recréer des angles morts sur le clientélisme local. On peut décrire ce mouvement de balancier en trois phases : une phase d'expansion et de rigueur (post-Sauvé/Cahuzac), suivie d'une phase de distinction (loi Sapin 2), pour aboutir aujourd'hui à une phase de reflux et de protection (lois 3DS et Statut de l'élu).
1. 2011-2013 : L'ère de la suspicion et l'extension du domaine de la lutte
Le point de départ est le rapport de la Commission Sauvé (2011), né dans le sillage de l'affaire Woerth-Bettencourt.
La vision initiale : Le rapport dénonçait un "cadre lacunaire" et posait les bases d'une définition moderne du conflit d'intérêts. Toutefois, il se concentrait prioritairement sur la prévention des conflits publics-privés (enrichissement personnel, pantouflage) et visait surtout les hauts fonctionnaires et membres du gouvernement.
Le durcissement (Loi 2013) : Suite au choc de l'affaire Cahuzac, la loi sur la transparence de la vie publique a dépassé les préconisations Sauvé en adoptant une définition extrêmement large du conflit d'intérêts : "toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés".
Le tournant : C'est ici que le conflit "public-public" est formellement entré dans le champ de la suspicion. Un élu cumulant deux casquettes publiques (ex: maire et président d'hôpital) devenait potentiellement suspect de ne pas être impartial, créant une insécurité juridique majeure.
2. 2016 : La bataille sémantique de la Loi Sapin 2
Lors de la création du répertoire des représentants d'intérêts (lobbyistes), un premier "glissement" politique s'est opéré pour distinguer la sphère politique de la sphère économique.
L'exclusion des associations d'élus : Initialement, la définition de "représentant d'intérêts" était assez large pour inclure toute organisation cherchant à influencer la loi. Cependant, les grandes associations d'élus (AMF, ADF, Régions de France) ont mené une bataille intense pour être exclues de ce registre.
L'argumentaire : Elles ont fait valoir qu'elles ne défendaient pas des intérêts particuliers mais l'intérêt général territorial. Le législateur a validé cette distinction : contrairement aux entreprises ou ONG, les associations d'élus ne sont pas considérées comme des "lobbys" au sens de la loi Sapin 2. Cela a marqué une première rupture : l'influence politique entre acteurs publics a été "sanctuarisée" et extraite du champ de la surveillance classique du lobbying.
3. 2022-2025 : Le reflux pénal et la "zone grise" assumée
La dernière phase, très récente, marque un net recul de la rigueur de 2013, motivé par la "paralysie" de l'action publique locale.
La Loi 3DS (2022) : Elle a amorcé le mouvement en créant des mécanismes de "déport" pour sécuriser les élus siégeant dans des organismes extérieurs (SEM, SPL), tentant de neutraliser le risque pénal lié au simple cumul de mandats.
La Loi "Statut de l'élu" (2025) : C'est l'aboutissement du glissement. Cette loi revient sur la définition même du conflit d'intérêts en excluant l'interférence entre deux intérêts publics du champ de la prise illégale d'intérêts.
Le changement de paradigme : On passe d'une logique de soupçon systématique (2013 : tout mélange des genres est suspect) à une logique de présomption d'intérêt général (2025 : si c'est public-public, c’est qu’a priori c’est probe).
Les recommandations de la Cour des comptes
Pour remédier à ces dysfonctionnements, la Cour formule sept recommandations stratégiques visant à passer d'une logique de conformité formelle à une véritable stratégie nationale pilotée.
Renforcer le dispositif de mesure et d'analyse de la corruption via l'AFA, en fiabilisant les indicateurs et en développant les coopérations avec la recherche (échéance 2027).
Modifier l'agrément des associations anticorruption : préciser les critères, allonger la durée de validité et introduire un avis public de la HATVP dans la procédure (échéance 2026).
Contrôler le secteur public : s'assurer que l'AFA veille au déploiement effectif des référents déontologues et des dispositifs d'alerte dans les administrations (échéance 2026).
Lutter contre la corruption liée au crime organisé : mettre en œuvre des outils de contrôle, notamment pour détecter les consultations illicites de fichiers et gérer les personnels sur fonctions sensibles (échéance 2027).
Diffuser une doctrine interministérielle sur les sanctions disciplinaires, pour harmoniser leur usage et leur articulation avec le pénal (échéance 2026).
Élaborer une politique pénale claire, précisant les choix de procédures (CJIP, CRPC) et les peines à privilégier (échéance 2026).
- Professionnaliser la chaîne pénale : renforcer la formation, les expertises territoriales et le pilotage des moyens d'enquête (échéance 2028).
Pour la Fondation IFRAP, ces propositions combinées à celles contenues dans le Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2028 vont dans le bon sens, mais elles ne permettent pas de réforme systémique. Les principales critiques que l’on puisse formuler à leur endroit sont :
L’absence d’alignement du traitement du public sur le privé systématique dans la lutte anti-corruption ;
L’absence de guichet unique de signalement ;
L’absence de soutien financier systématique aux lanceurs d’alerte ;
La faiblesse persistante du dispositif anticorruption s’agissant des marchés publics locaux, et des conflits d’intérêts existant potentiellement dans les différents satellites locaux, sur fond de très fort émiettement territorial.
Et si la France s’inspirait des mécanismes anticorruptions existants en Italie et au Portugal ?
Au Portugal, la mise en place d’un Mécanisme national anti-corruption (MENAC[4]) et d’une Entité pour la transparence s'est accompagnée de la mise en place de codes de conduite obligatoires pour les entreprises de plus de 50 salariés et d’un registre de transparence pour le lobbying. Le Portugal a aussi renforcé les contrôles d’intégrité pour les hauts fonctionnaires.
Le Portugal privilégie la prévention administrative et la mise en conformité (compliance), et utilise une répression pénale classique (Ministère public, police judiciaire), sans équivalent aux CJIP françaises ou à la régulation forte des marchés publics comme en Italie (ANAC) (voir infra).
En Italie, L’ANAC (Autorité nationale anti-corruption[5]) voit son intervention intégrée dans les procédures des marchés publics et dispose d’une base de données publique pour la transparence. L’Italie a aussi renforcé la protection des lanceurs d’alerte et la réglementation des conflits d’intérêts, mais reste critiquée pour son manque de contrôle sur le lobbying et les cadeaux aux élus. L'Italie, avec un historique de corruption plus marqué dans les marchés publics, a opté pour un modèle plus intégré et sanctionnateur dans le secteur public.
Le modèle français se distingue dans la répression négociée via les Conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), introduites par la loi Sapin 2 (2016). Cette procédure permet une résolution rapide et efficace des affaires de corruption, particulièrement pour les grandes entreprises : amende d'intérêt public (plus de 4 Md€ cumulés à ce jour), programme de conformité sous monitoring, et évitement d'une condamnation pénale formelle qui exclurait des marchés publics. Cela favorise la coopération des entreprises, préserve l'emploi et la compétitivité économique, tout en générant des sanctions dissuasives. Le Parquet national financier (PNF) pilote cela avec souplesse, en coordination internationale (ex. : affaires Airbus, Société Générale).
À l'inverse, le modèle italien de l'ANAC (créée en 2012, renforcée par le Code des marchés publics de 2023) se distingue par une prévention coercive et intégrée dans le secteur public : plans triennaux d'intégrité obligatoires pour toutes les administrations, contrôlés et sanctionnés directement (amendes administratives, injonctions) ; base de données nationale centralisée des marchés publics (BDNCP) pour traçabilité ; pouvoirs étendus de régulation, supervision des nominations et conflits d'intérêts ; gestion du canal externe whistleblowing avec sanctions pour entraves. L'ANAC, indépendante et autofinancée, impose une culture de transparence proactive, avec un Plan national anticorruption mis à jour régulièrement.
Un modèle hybride idéal combinerait ces forces pour pallier les faiblesses françaises (asymétrie public/privé, prévention lacunaire dans le public, comme critiqué par la Cour des comptes en 2025) tout en conservant l'atout répressif négocié, absent en Italie où la prévention administrative domine sans équivalent CJIP. En y ajoutant la prévention coercitive portugaise. Nous proposons de retenir une approche en trident :
- La prévention coercive portugaise (plans d'intégrité obligatoires et contrôlés pour entités publiques et privées >50 salariés, via MENAC et plateforme RGPC, renforcés en 2025 avec IA et sanctions).
La répression négociée française (CJIP innovantes via PNF, efficaces pour résolution rapide et récupération de fonds).
La régulation des marchés publics italienne (base centralisée BDNCP et sanctions administratives fortes via ANAC, mise à jour du Plan national en janvier 2025).
Cette réforme pourrait aboutir à :
Au niveau étatique
Une évolution de l’AFA pour devenir une ANPI (Autorité Nationale de Prévention de l’Intégrité) ; disposant d’un budget partiellement autofinancé (comme l’ANAC) et de pouvoirs hybrides : supervision, prévention (comme au Portugal), régulation des marchés (comme en Italie), coordination/répression (en lien avec le PNF).
Création en France d’un guichet unique pour les signalements et les contrôles d’intégrité, inspiré du MENAC, sous le contrôle de l’AFA (ou de la future ANPI).
Au niveau des collectivités territoriales
Constats et limites du plan français
La Cour des comptes relève une opacité persistante dans la gestion des budgets annexes des collectivités et des SEM, ainsi qu’un manque de transparence sur les pratiques des sociétés publiques locales et des syndicats intercommunaux.
Le plan 2025-2029 prévoit des mesures de contrôle accru, mais sans mécanisme de sanction automatique en cas de manquement.
Axes d’amélioration inspirés du Portugal et de l’Italie
Portugal : Obligation pour les collectivités locales d’adopter des codes de conduite et de publier leurs comptes et marchés publics en open data. Le MENAC peut intervenir directement en cas de suspicion de corruption.
Hybridation proposée : Rendre obligatoire en France la publication en open data des comptes des SEM et syndicats intercommunaux, avec un droit d’enquête renforcé pour l’AFA et les chambres régionales des comptes.
Italie : L’ANAC a mis en place des indicateurs de risque de corruption dans les marchés publics, basés sur l’open data, et un système de notation des collectivités selon leur niveau de transparence.
Hybridation proposée : Créer un système de notation des collectivités françaises sur leur transparence financière et leur gestion des conflits d’intérêts, avec des sanctions financières (réduction des dotations de l’État) en cas de note insuffisante.
Sécurité sociale et secteur hospitalier
Constat et limites du plan français
Le secteur hospitalier et la sécurité sociale sont identifiés comme zones à risque (fraudes, détournements, conflits d’intérêts), mais le plan 2025-2029 ne prévoit pas de mesures ciblées pour ces secteurs, hormis un renforcement général des contrôles.
Axes d’amélioration inspirés du Portugal et de l’Italie
Portugal : Le MENAC a étendu ses contrôles aux hôpitaux publics et aux caisses de sécurité sociale, avec des audits aléatoires et des formations obligatoires pour les gestionnaires.
Hybridation proposée : Instaurer en France des audits aléatoires dans les hôpitaux et caisses de sécurité sociale, avec une cellule dédiée au sein de l’AFA.
Italie : L’ANAC a développé des outils d’analyse des risques spécifiques aux achats hospitaliers et aux remboursements de soins, avec une collaboration étroite avec la Guardia di Finanza[6].
Hybridation proposée : Créer une task force associant l’AFA, la DGCCRF et les ARS pour cibler les fraudes dans les achats hospitaliers et les remboursements, avec des sanctions pénales renforcées.
Niveau d’administration | Axes d’amélioration | Inspiration étrangère |
|---|---|---|
État central | Guichet unique pour signalements, registre des lobbyistes, contrôles d’intégrité | Portugal (MENAC), Italie (ANAC) |
Collectivités locales | Open data obligatoire, notation transparence, sanctions financières | Portugal (codes de conduite), Italie (ANAC) |
Sécurité sociale | Audits aléatoires, task force anti-fraude | Portugal (MENAC), Italie (Guardia di Finanza) |
Budgets annexes | Publication en temps réel, système d’alerte automatique | Italie (base de données ANAC) |
Des éléments complémentaires pourraient être également ajoutées notamment :
| Axe stratégique | Modèle portugais (points forts) | Modèle italien (points forts) | Proposition d’hybridation pour la France |
| Gouvernance & Planification | Agenda anti-corruption 2024 compact, axé sur des livrables concrets. Stratégie nationale avec indicateurs de performance (KPI) clairs. | Autorité nationale (ANAC) avec un rôle central de supervision et de formation, intégrant société civile (ex: Transparency International). | 1. Donner à l’AFA un mandat interministériel renforcé et un appui politique explicite (phase de transition). 2. Adopter une feuille de route annuelle avec KPI (ex: délais de traitement des alertes, taux de formation). |
| Transparence proactive & Données ouvertes | Portails numériques pour les marchés publics, registre des intérêts, obligation de ventes judiciaires par plateforme d’e-auction. | Cartographie et publication systématique des données sur les biens confisqués au crime organisé pour leur restitution sociale. | 3. Généraliser les plateformes de mise en concurrence dématérialisées pour tous les actifs publics (ventes, marchés). 4. Créer un registre open data centralisé des décisions d’attribution de marchés et des conventions d’occupation du domaine public. |
| Culture de l’intégrité & Formation | Code de conduite gouvernemental contraignant, plan de prévention des risques sous 180 jours, éducation des jeunes générations. | Développement d’un « profil de compétences en intégrité publique » via l’École nationale d’administration, intégrant des cas pratiques et dilemmes éthiques. | 5. Imposer un module annuel obligatoire de formation à l’intégrité, basé sur des cas concrets, pour tous les cadres dirigeants publics. 6. Lancer un programme de sensibilisation dans les lycées et grandes écoles. |
| Protection des lanceurs d’alerte & Société civile | Mise en place d’un canal de signalement unifié et sécurisé via le portail du gouvernement. | Cartographie et mise en réseau de toutes les entités protégeant les lanceurs d’alerte, avec promotion des bonnes pratiques. | 7. Unifier et labelliser les canaux de signalement sous la supervision de l’AFA. 8. Intégrer formellement les OSC agréées dans les dispositifs locaux de monitoring. |
Conclusion:
La politique de lutte anti-corruption doit être largement renforcée en France s'agissant du secteur public notamment en termes de transparence dans la passation des marchés publics (et significativement à l'échelon local et dans le secteur social et hospitalier) où il n'existe aucun espace d'open data dédié et utile. Par ailleurs la France pourrait améliorer largement son classement quant à la corruption ressentie (Transparency International) en complétant son arsenal préventif et répressif en s'inspirant des exemples Portugais et Italien (sur la prévention dynamique, la transparence des marchés publics, les sanctions et l'autonomie de l'autorité anti-corruption). En réalité, il y a urgence ne serait-ce que parce que les conflits d'intérêts public-public sont progressivement dérégulés. Au niveau local le très fort émiettement des structures locales noient les contrôles sous la multiplication des structures. Dans ces conditions ne propositions sont les suivantes:
- Lutter contre l'émiettement des autorités anti-corruption, en regroupant la plupart dans l'Afa en la transformant en ANPI, doté de pouvoirs renforcés d'investigations et de sanctions autonomes, y compris s'agissant des agents publics ou des décideurs publics;
- Etendre le bénéfice des CJIP (conventions judiciaires d'intérêt public) aux entités publiques;
- Autoriser l'ANPI a contrôler directement les entités de 50 agents ou plus - publiques comme privées;
- Mettre en place une politique réelle d'Open Data en matière de commande publique et de marchés publics;
- Renforcer la protection des lanceurs d'alerte en prévoyant une indemnisation systématique en cas de perte de revenus;
- Mettre en place un guichet unique de signalement;
- Définir des objectifs nationaux chiffrés et assignés au privé, public et décliné par niveau d'administration;
- Créer un système de notation des collectivités françaises sur leur transparence financière et leur gestion des conflits d’intérêts sanctionnés par des baisses de dotations en sus des CJIP individuels éventuels;
- Instaurer en France des audits aléatoires dans les hôpitaux et caisses de sécurité sociale, avec une cellule dédiée au sein de l’AFA;
- Raffiner les statistiques de lutte contre la Fraude, en distinguant les différents types de fraudes: public-public, politique-public, politique-privé, public-privé, privé-privé;
[1] https://www.lecourrierdesstrateges.fr/le-gouvernement-lutte-t-il-vraiment-contre-la-corruption-par-elise-rochefort/
[2] Voir rapport de la Cour des comptes, annexe n°7 p.107.
[3] https://www.leclubdesjuristes.com/societe/le-parquet-national-nouvel-acteur-de-la-lutte-contre-la-criminalite-organisee-9804/
[4] le Mecanismo Nacional Anticorrupção (MENAC), créé en 2021 (Décret-Loi 109-E/2021) et opérationnel depuis 2023. Renforcé en avril 2025 (Décret-Loi 70/2025), le MENAC supervise le Regime Geral de Prevenção da Corrupção (RGPC), qui impose à toutes les entités publiques et privées de plus de 50 salariés des plans de prévention des risques (cartographie, code de conduite, formation, canaux de signalement). Il coordonne la stratégie nationale (2020-2024 terminée ; nouvelle 2025-2028 en retard selon GRECO).
[5] L'Autorità Nazionale Anticorruzione (ANAC), créée en 2012 (loi 190/2012), est une autorité administrative indépendante italienne, rattachée au Parlement, dotée de pouvoirs étendus en prévention, régulation et sanction. Elle supervise particulièrement les marchés publics (via une base de données nationale centralisée) et impose des plans d'intégrité obligatoires dans toutes les administrations publiques.
[6] Soit l’équivalent de la DGFiP avec les prérogatives de la DNRED, du PNF pour les aspects judiciaires et les services d’enquête actuels de l’AFA. On voit bien que l’Italie fait « plus simple » et que nous avons avec l’éclatement des structures des difficultés en matière de réactivité et de coordination.