Le Gouvernement d’Élisabeth Borne a décidé de prolonger la réforme de l’assurance chômage engagée sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le durcissement des conditions d’indemnisation pour inciter à la reprise d’un emploi devrait être complété par la mise en place d’une modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture. Au vu des premiers éléments communiqués par le Gouvernement sur cette modulation, l’impact pour redresser les comptes de l’Unédic ne doit pas être surestimé. Lorsque ces réformes donneront leur plein effet, elles contribueront à rétablir l’équilibre du régime d’assurance chômage, mais le devenir de celui-ci reste en suspens. Si le choix de l’étatisation est écarté, la Fondation IFRAP considère que les partenaires sociaux devraient être rendus responsables, notamment, par la suppression de la garantie de la dette de l’Unédic.

Un autre volet de l’action du Gouvernement est le projet France Travail, promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022. L’objectif est de répondre à une situation paradoxale : de fortes tensions sur le recrutement dans les entreprises et, en même temps, maintien d'un grand nombre de personnes sans emploi.

Ces réformes concernent les deux volets des politiques de l’emploi : d'une part, les mesures dites « passives », qui visent à compenser la perte de revenu des chômeurs ; d'autre part, les mesures dites « actives », visant soit à inciter directement à créer des emplois, soit à intervenir sur le marché du travail en encourageant les emplois aidés, les services de placement, d’accompagnement ou de formation des demandeurs d’emploi.

Pour juger de l’opportunité du projet France Travail, il faut y voir plus clair sur la situation de Pôle emploi, vaisseau amiral de la politique française de l’emploi, mais dont l’action reste insatisfaisante : l’établissement s’est réorienté vers l’accompagnement mais peine à cibler suffisamment ses actions ; ses performances sont mal évaluées et sa part relative dans les modes de recrutement a continué de se dégrader.

Au-delà de Pôle emploi, c’est l’efficience même des mesures actives qui peut être mise en question, comme le suggère la comparaison que nous avons effectuée sur 25 pays. Et la multiplicité des structures d’accompagnement ne contribue pas à améliorer cette efficience.

POUR LA FONDATION IFRAP, LES PRIORITÉS SONT LES SUIVANTES :

  • Pour l’Unédic, mener à terme les réformes des conditions d’indemnisation. Donner une vraie responsabilité aux partenaires sociaux sur l’équilibre financier du régime en supprimant la garantie de l’État sur la dette de l’Unédic.
  • Pour Pôle emploi, améliorer la gestion des ressources humaines, concentrer fortement l’action d’accompagnement de Pôle emploi sur les publics les plus éloignés de l’emploi.
  • Enfin, clarifier les dispositifs d’insertion en simplifiant le nombre de structures et en rendant plus précis et mieux contrôlés les devoirs des allocataires.

À terme, l’ensemble de ces mesures devrait permettre des économies de l'ordre de 6 milliards € sur les dépenses des politiques de l’emploi.

Le service public de l’emploi en chiffres

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, transformer Pôle emploi en France Travail. Objectif : améliorer l’accompagnement des chômeurs et des bénéficiaires du RSA, favoriser les embauches pour les entreprises, améliorer le pilotage des politiques de l’emploi.

LES PROPOSITIONS DE LA FONDATION IFRAP

Pôle emploi

  • Corriger les excès qui persistent dans la gestion des ressources humaines : porter la durée annuelle effective du travail au niveau de la durée légale et faire reculer l'absentéisme.
  • Durcir les sanctions de l’insuffisance de recherche d’emploi.
  • Cibler plus fortement les accompagnements proposés par Pôle emploi en faisant disparaître la catégorie des demandeurs d’emploi « guidés ».

France Travail

  • Réduire la part des dépenses publiques de mesures actives pour l’emploi en la ramenant vers 0,6-0,7 % du PIB, niveau moyen de l’Allemagne.
  • Renoncer à une grande réforme systémique ; limiter le coût des actions d’accompagnement et mieux les cibler.
  • Intensifier la coopération entre les acteurs des politiques de l’emploi.

Gouvernance de l’Unédic

  • Si les partenaires sociaux sont remis en charge du régime d’assurance chômage : leur donner une vraie responsabilité sur l’équilibre financier, en commençant par la suppression de la garantie de la dette de l’Unédic par l’État.
  • Réviser la contribution de l’Unédic à Pôle emploi, sur la base d’une évaluation indépendante du coût des prestations.

I. Réforme de l’assurance chômage : quelle gouvernance pour l’avenir ?

La réforme engagée en 2018-2019 est la sanction d’un échec

Parce que les partenaires sociaux ont laissé le régime devenir déficitaire, l’État se substitue à eux pour le réformer en le rendant moins favorable, donc moins coûteux et, pense-t-on, plus incitatif à la reprise d’emploi. Était-ce justifié ? On peut en discuter à perte de vue. Mais il y a peu de doute que le système français d’assurance chômage, en 2018, restait l’un des plus avantageux des pays comparables. Et que laisser s’accroître indéfiniment sa dette n’était pas raisonnable.

Une première réforme s’est achevée à l’automne 2021. Rappelons ses trois éléments : un durcissement des conditions d’entrée en indemnisation (6 mois minimum d’affiliation au lieu de 4 mois) ; une diminution du montant de l’indemnisation, se décomposant en deux aspects : pour tous les allocataires, une baisse du taux de remplacement du salaire par l’indemnité d’assurance ; pour les cadres, en outre, une dégressivité du montant des allocations : celui-ci baissera de 30 % dès le 7e mois de versement. Selon l’Unédic (mars 2021), ces mesures, lorsqu’elles seront entièrement mises en œuvre en 2023-2024, se traduiraient par des économies annuelles de 0,8 milliard € (entrée en indemnisation), 1 milliard € (calcul de l’indemnité) et 0,46 milliard € (dégressivité), soit 2,26 milliards € au total. Elles contribueraient donc pour près de la moitié au solde positif du régime d’assurance chômage, que l’Unédic évalue (février 2023) à + 4,7 milliards € en 2024.

La modulation des droits au chômage en fonction de la conjoncture

Une réforme supplémentaire a été lancée par la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi : moduler les conditions d’ouverture et/ou la durée des droits en fonction de la conjoncture. Cela semblait partir d’une idée sensée : lorsque la situation de l’emploi est tendue, il y a moins besoin d’aider les chômeurs, et vice-versa lorsque le sous-emploi est élevé. Mais que vaut réellement cette idée ? Ne risquait-on pas de créer une nouvelle usine à gaz ? Le débat sur les effets économiques d’une telle modulation n’est pas clos1. La loi a laissé au Gouvernement le soin d’en préciser les règles. Il a donc fallu attendre les annonces du ministre du travail, le 21 novembre 2022, et la publication du décret d’application, le 27 janvier 2023, pour en savoir un peu plus.

La modulation ne s’appliquera ni en outre-mer (environ 80 000 allocataires à mi-2022), ni aux intermittents du spectacle (100 000 allocataires), ni aux marins-pêcheurs, aux dockers, aux expatriés, ni aux bénéficiaires du contrat de sécurisation professionnelle (CSP, 30 000 allocataires), soit, selon nos estimations, un total de l’ordre de 10 % du nombre des allocataires. Pour la plupart, ces exceptions posent un problème d’équité, car elles n’ont guère d’autre raison que de favoriser certaines catégories de salariés jugées remuantes. Contradictoires avec le souhait affiché par le Gouvernement, pour les retraites, de réduire le nombre des régimes spéciaux, elles risquent de rendre moins audible son discours sur ce sujet.

Sagement, le Gouvernement a écarté l’idée de régionaliser la modulation comme cela se fait au Canada. Le critère de déclenchement est assez simple : le taux de chômage, mesuré par l’Insee, doit, pendant trois trimestres consécutifs, être resté en dessous de 9 % sans avoir augmenté, pendant l’un de ces trimestres, de 0,8 point ou plus par rapport au trimestre précédent. Dans ce cas, la durée d’indemnisation est réduite d’un quart. Ainsi, les durées maximales passent de 24 à 18 mois pour les demandeurs d’emploi de moins de 53 ans, de 30 à 22 mois et demi pour ceux de 53 et 54 ans et de 36 à 27 mois pour ceux de 55 ans et plus. La durée minimale d’indemnisation de six mois est toutefois maintenue. Un second seuil – taux de chômage inférieur à 6 % –, qui aurait entraîné une réduction de 40 % de la durée, a été retiré du décret, mais reste mis sur la table d’une nouvelle concertation.

Modulation : des effets plutôt de moyen terme

Selon nos calculs, sur la base des taux de chômage constatés par l’Insee de 1975 au 4trimestre 2022, la baisse de 25 % de la durée d’indemnisation se serait appliquée pendant près de la moitié du temps écoulé au cours de cette période. Cette baisse aurait également eu lieu pendant 55 % du temps écoulé depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Si le taux de chômage demeure au-dessous de 9 %, comme c’est le cas en France depuis le 4e trimestre 2018, il faut donc s’attendre pour le régime d’assurance à une baisse supplémentaire de ses charges, résultant de la réduction quasi-permanente de la durée d’indemnisation par rapport à la situation actuelle. Olivier Dussopt a évalué cette économie à 4 milliards € par an. L’Unédic anticipe, en régime de croisière, une diminution de 12 % du nombre des indemnisés, conduisant à une économie du même ordre de grandeur. Il y a toutefois des raisons de douter de ces chiffrages (voir encadré ci-dessus).

Malgré ces importants bémols, l’impact financier de la modulation de la durée d’indemnisation ne sera pas négligeable à moyen terme. Mais à court terme, cet effet ne doit pas être surestimé, car :

  • la modulation ne commencera à produire ses effets au plus tôt qu’à partir d’août 2023 ;
  • elle pourrait être modifiée si les partenaires sociaux, reprenant la main sur le régime d’assurance chômage d’ici à la fin de 2023, décidaient de réviser le dispositif.

Modulation de la durée d’indemnisation : des économies surévaluées ?

  • Une baisse de 25 % de la durée moyenne correspondrait, pour une masse d’allocations de 35 milliards € (prévision 2024 de l’Unédic), à une économie théorique de 8,75 milliards € par an.
  • Cette économie ne concerne toutefois que 90 % de la population indemnisée, ce qui pourrait la réduire à 7,88 milliards €.
  • Il faut ensuite réduire de nouveau cette population pour tenir compte du maintien du plancher de 6 mois. Selon l’Unédic2, à fin juin 2019, 7 % des allocataires en cours d’indemnisation avaient une durée maximale de droit de moins de 6 mois et 15 % une durée maximale comprise entre 6 et 12 mois. Cela signifie que, pour 7 % des allocataires, la réforme n’aurait pas d’incidence. Pour 5 %, ayant une durée maximale comprise entre 6 et 8 mois, la baisse de durée, en cas de modulation, ne serait pas de 25 % mais d’en moyenne 12,5 %, ou, pour simplifier, de 0 pour 2,5 % et de 25 % pour 2,5 %. De ce fait, l’économie passe à 7,13 milliards €.
  • Ces indemnisés ne consomment pas tous leurs droits. Selon les « Chiffres clés » de l’Unédic d’avril 2022, « les allocataires utilisent en moyenne 68 % de leurs droits, soit un total de 10 mois environ ». Supposons que la moitié d’entre eux consomme 68 % et plus, la moitié 68 % et moins. Pour la 2e moitié, aucun impact financier puisqu’ils auraient consommé moins de 75 % de leur durée d’indemnisation actuelle. Dans la 1re moitié, supposons que la moitié consomme entre 68 et 84 % de ses droits – en moyenne 76 % –, l’autre moitié plus de 84 % – en moyenne 92 %. Pour le quart consommant 76 %, l’économie serait minime ; elle ne deviendrait substantielle que pour le dernier quart des allocataires, avec une réduction effective d’un peu moins de 20 % de leur indemnité. Tout compte fait, on pourrait s’attendre à une économie de l’ordre de 20 % pour environ un quart de la population percevant les 7,13 milliards € ci-dessus, et pas d’économie pour les autres : l’économie réelle se réduirait à 1,43 milliard €.

Il faudrait donc s’attendre pour l’assurance chômage à une économie nettement plus faible que les 4 milliards évoqués par le ministre.

  • Ce n’est pas tout, car, pour les finances publiques au sens large (État et organismes sociaux confondus), il faut tenir compte des transferts d’allocataires entre le régime d’assurance chômage et celui de la prestation d’assistance chômage de l’État, l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Un allocataire en fin de droits de l’assurance chômage passe en principe dans le régime de l’ASS ; il peut donc continuer à percevoir des allocations, mais moins qu’avant. En 2019, le montant moyen de l’ASS par allocataire a représenté 48 % de celui de l’allocation d’assurance. Il faut donc enlever 48 % au montant de 1,43 milliard € obtenu ci-dessus, ce qui ne laisse subsister qu’une économie de 0,74 milliard € par an pour l’ensemble des prestations d’assurance et de solidarité chômage : un peu moins de 20 % du montant espéré.

Certes, on pourrait attendre, du fait de la restriction de la durée, un retour supplémentaire à l’emploi de personnes indemnisées, qui basculeraient donc moins vers l’ASS. Mais cela serait plus une économie pour l’ASS que pour l’assurance chômage. Et son ampleur resterait sans doute modeste : 100 000 indemnisés ASS de moins ne représenteraient qu’une économie de 0,61 milliard € (il y avait 330 000 allocataires ASS en juin 2022).

Au-delà de ces réformes de l’indemnisation, une autre question reste en suspens : quelle gouvernance de l’assurance chômage pour l’avenir ?

Depuis le milieu de 2019, ce régime, théoriquement piloté par les partenaires sociaux, est en réalité à peu près totalement dans la main de l’État. Celui-ci fixe les conditions d’indemnisation. Depuis 2018, après la suppression de la part salariale de 2,4 %, remplacée par une part de la CSG, le régime n’est plus alimenté qu’à moins des deux tiers par des contributions qui lui sont propres (66 % en 2019, 62,4 % prévu en 2024, selon l’Unédic). La dernière convention d’assurance chômage signée entre les partenaires sociaux remonte à avril 2017. Sa durée était de trois ans, mais il ne faut pas s’attendre à voir naître une nouvelle convention avant la fin de 2023. Cette fiction ne peut plus durer longtemps. Deux voies sont possibles :

  • Étatiser entièrement le système, par exemple en supprimant l’Unédic et en transférant ses compétences et ses activités à Pôle emploi, par délégation de l’État, ou tout simplement au ministère chargé de l’emploi. Cette solution mettrait en accord le droit avec la réalité actuelle. Elle n’est pas éloignée des propositions de trois économistes, publiées par le Conseil d’analyse économique3. Selon ce trio de spécialistes, la gestion paritaire de l’assurance chômage est une particularité française, pour ne pas dire une anomalie. Tout étatiser comporte cependant le risque de livrer encore plus le sujet de l’emploi au jeu politicien. Le Gouvernement semble avoir a priori exclu ce scénario.
  • Désétatiser, mais avec une contrepartie : que les partenaires sociaux soient pleinement responsables. Ce qui pose, entre autres questions, celle de la dette du régime d’assurance chômage.

Responsabiliser pour viser le retour à l’équilibre financier

Depuis 2011, l’État a accepté chaque année de garantir les emprunts obligataires de l’Unédic. Le code monétaire et financier empêche en effet les associations d’émettre de tels emprunts en cas d’insuffisance de fonds propres, ce qui est le cas de l’Unédic. Une loi de finances rectificative de 2004 a toutefois exempté de cette contrainte les émissions obligataires de l’Unédic bénéficiant de la garantie de l’État. Fin 2021, sur un stock total de dette financière de l’Unédic de 67,9 milliards €, d’une maturité moyenne de six ans, on comptabilisait 53 milliards € de dette obligataire, soit près de 80 % de la dette totale. L’Unédic est devenu l’un des premiers emprunteurs sur ce marché, après l’État et la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

En mettant le doigt dans ce mécanisme de garantie, l’État a fait une erreur : il a déresponsabilisé un peu plus les partenaires sociaux, favorisant l’explosion de la dette du régime. Un autre modèle existe pourtant : l’Agirc-Arrco, et d’autres régimes de retraite complémentaire gérés paritairement, mènent leur barque parfois dans la douleur, mais sans la garantie de l’État.

En 2022, avec les réformes et du fait de l’amélioration conjoncturelle, l’Unédic a pu commencer à rembourser sa dette. Cela devrait continuer, sauf accident majeur malheureusement possible dans le contexte de la guerre en Ukraine, des sanctions, de la crise énergétique et de l’inflation. Si l’horizon s’éclaircit, le moment viendra de rétablir la pleine responsabilité des partenaires sociaux en supprimant la garantie de l’État pour la dette nouvelle. Cela impliquerait un financement plus court ou un financement long non obligataire, avec un taux d’intérêt plus élevé, mais c’est le prix normal à payer. Et ce prix sera d’autant plus faible que des gages de sérieux seront donnés par les partenaires sociaux.

Revoir la contribution de l'Unédic à Pôle emploi

Resterait aussi à dépolitiser le calcul de la contribution de l’Unédic à Pôle emploi. Pour limiter son déficit, l’État a tendance à « faire les poches » des organismes sociaux paritaires, et l’Unédic en est un exemple. Le taux de sa contribution est fixé par décret, sans référence au coût réel du service rendu par Pôle emploi. Ce taux, fixé à 10 % des cotisations d’assurance chômage en 2008, était déjà un peu surévalué à l’époque. Depuis lors, des gains de productivité ont surtout été enregistrés dans les fonctions « indemnisation » et « recouvrement », qui avaient été déléguées à Pôle emploi par le régime d’assurance chômage. Le taux de la contribution de l’Unédic aurait logiquement dû diminuer. Il s’est au contraire accru d’un point, passant, en 2020, à 11 % « au titre du renforcement de l'accompagnement des demandeurs d'emploi ».

S’il redevient indépendant et responsable, le régime d’assurance chômage ne doit pas être la vache à lait de la politique de l’emploi.  Son taux de contribution à Pôle emploi devrait refléter le vrai coût du service rendu, évalué de façon indépendante et contradictoire.

LES PROPOSITIONSDE LA FONDATION IFRAP

Si les partenaires sociaux sont remis en charge du régime d’assurance chômage :

  • leur donner une vraie responsabilité sur l’équilibre financier, en commençant par la suppression de la garantie de la dette de l’Unédic par l’État ;
  • réviser la contribution de l’Unédic à Pôle emploi, sur la base d’une évaluation indépendante du coût des prestations.

II. Pôle emploi : un bilan en trompe-l’œil ?

Pôle emploi, institution nationale publique, est, avec plus de 800 agences locales, le principal instrument de la politique de l’emploi en France. Il est issu de la fusion, en février 2008, de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), chargée du placement et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, et des Assédic, chargées de leur indemnisation et du recouvrement des cotisations d’assurance chômage.

En 2015 et en 2020, la Cour des comptes a publié deux rapports d’audit de Pôle emploi, le second venant une dizaine d’années après la fusion. Ces bilans étaient, pour le moins, en demi-teinte. Ils méritent d’être actualisés4.

Une pression permanente à la hausse des moyens

En France, selon l’OCDE, la part des dépenses publiques au titre des mesures actives pour l’emploi était d’environ 0,8 % du PIB en 2018. La même année, les dépenses de Pôle emploi représentaient 0,23 % du PIB, soit près de 30 % du montant précédent.

Les effectifs de l’établissement, mesurés en équivalent temps plein (ETPT), ont augmenté de 21 % entre 2009 et 2021, passant de 43 488 à 52 418 personnes. La hausse se réduit à 19 % en ne prenant pas en compte le transfert, en 2010, des psychologues de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

La Cour des comptes, observant les données jusqu’à 2018, avait souligné la hausse importante des effectifs de Pôle emploi depuis 2009, alimentée notamment par une vague de recrutements en 2013-2014. Ces recrutements avaient été alors motivés par la forte détérioration de la situation de l’emploi. Toutefois, l’amélioration du taux de chômage enregistrée depuis 2016 ne s’est pas accompagnée d’une décrue comparable des effectifs de l’établissement. Bien au contraire, ceux-ci se sont de nouveau accrus de 4 300 personnes en 2020-2021, pendant la crise sanitaire.

Les prévisions des budgets 2022 et 2023 ont stabilisé les effectifs à un niveau un peu supérieur à celui de 2021, alors que le taux de chômage a sensiblement diminué en 2022. Cela semble illustrer un phénomène politico-administratif assez classique : lorsque l’emploi paraît mis en péril, la situation devient favorable à une augmentation des moyens pour traiter cette situation ; une fois cette augmentation acquise, les meilleurs arguments sont développés pour qu’elle se pérennise, jusqu’à ce qu’un nouveau péril apparaisse, justifiant des moyens supplémentaires.

Certes, on pourra toujours alléguer que, si le chômage a baissé, c’est en raison du maintien ou de la hausse des effectifs de Pôle emploi. Mais avec quels éléments concrets à l’appui ?

Rémunérations, temps de travail : quatorze ans après la fusion de 2008, un statut qui reste confortable

Un rappel en premier lieu : la fusion Assédic-ANPE s’est traduite par une hausse moyenne de plus de 20 % des rémunérations pour environ 20 000 agents publics de l’ANPE ayant opté pour le statut privé du personnel du nouvel établissement. Ce prix payé pour faciliter la fusion, sans véritable contrepartie, est demeuré acquis depuis lors. La masse salariale atteignait 3,5 milliards € en 2021, soit soit environ les trois quarts des dépenses de fonctionnement.

En 2020, la Cour des comptes avait pointé « des excès à corriger dans la gestion des ressources humaines ». Elle avait notamment relevé qu’à Pôle emploi, la durée annuelle réelle du travail était fixée par accord collectif à 1 567,5 heures, soit 2,5 % de moins que la durée légale de 1 607 heures. Cela est dû à l’adjonction, aux jours de RTT, de cinq jours de repos supplémentaires : un avantage étendu en 2014 aux cadres dirigeants afin de leur permettre « la prise de recul nécessaire à leur fonction ».

Des congés supplémentaires liés à l’ancienneté viennent s’y ajouter. Ces pratiques, non modifiées à ce jour, posent une question d’équité dans un établissement public administratif tel que Pôle emploi.

Un absentéisme élevé

La Cour des comptes avait aussi constaté un fort absentéisme, plus élevé que dans le secteur privé (8,6 % en 2018 contre 5,1 % pour le privé) et, qui plus est, en hausse (22 jours ouvrés/ETPT en 2018 contre 19,7 jours en 2015). Le nombre de jours d'absence pour maladie est en moyenne de 16,7 jours par ETPT, soit plus de trois semaines et de 13,2 jours en excluant les arrêts pour longue maladie, précise la Cour. Pour 2019, une statistique tirée d’une étude du cabinet Degest (mai 2021) pour un comité social et économique régional de Pôle emploi montre que le taux national d’absentéisme maladie de l’établissement a encore augmenté de 0,1 point cette année-là.

Curieusement, on observe que les agents restant de droit public (ex-ANPE) ont un taux d’absentéisme maladie 1,5 à 1,6 fois plus élevé que ceux de droit privé (25 jours d'absence maladie/ETPT pour les agents de droit public contre 16,1 jours pour les agents de droit privé). Les âges moyens ne sont pas différents au point d’expliquer significativement cet écart. Ce n’est pas lié non plus à un taux de féminisation différent : en 2017, 75 % pour les agents de droit privé, 76 % pour ceux de droit public.

Contrôle de la recherche d’emploi : des progrès en cours, mais à confirmer

Le sujet de la fraude ou de l’abus a longtemps été négligé à Pôle emploi, du fait, notamment, d’une culture d’entreprise rétive au contrôle. En 2015, la Cour des comptes constatait encore « un contrôle insuffisant de la recherche d’emploi »Cette tâche faisait partie des missions des conseillers chargés d’accompagner les demandeurs d’emploi. Elle était peu ou mal exercée.

Depuis lors, des progrès ont été réalisés. À la fin de 2015, Pôle emploi a mis en place des équipes spécialement dédiées au contrôle.

Selon un bilan statistique de l’année 20165, 19 % des 140 000 contrôles effectués ont fait apparaître une insuffisance de recherche donnant lieu, dans 20 000 cas (14 %), à une radiation temporaire de la personne contrôlée sur la liste des demandeurs d’emploi. Le nombre des agents chargés du contrôle, initialement un peu plus de 200, a triplé pour atteindre 600 à la fin de 2018. On prévoyait que 500 000 contrôles soient menés en 2022. Fin 2021, des consignes ont été données par le conseil d’administration de Pôle emploi pour cibler ces contrôles sur les métiers en tension et les sortants de formation.

Le dispositif ainsi mis en place est massif : 500 000 contrôles en 2022 représentent environ 23 % des demandeurs d’emploi nouveaux inscrits à Pôle emploi au cours de cette même année (catégories A, B et C). Le risque existe toutefois, en mettant ainsi un contrôleur derrière un nouveau chômeur sur 4, de déployer une activité considérable pour des résultats minuscules. En 2016, 97 % des 20 000 radiations ont été prononcées pour 15 jours et ont été suivies d’une réinscription dans deux tiers des cas. Qui plus est – ceci expliquant peut-être cela –, l’incitation à accélérer la reprise d’emploi est restée limitée : en 2016, les demandeurs d’emploi contrôlés – sanctionnés ou non – ont été un peu plus nombreux à reprendre un emploi dans les 3 mois ou les 6 mois suivants que l’ensemble des demandeurs ayant un profil comparable, mais les écarts entre les deux groupes restaient faibles – 1 à 3 points de pourcentage.

Le code du travail a certes été modifié en septembre 2018 pour accroître et rendre plus efficaces les sanctions. Les cas dans lesquels l’indemnisation peut être supprimée ou réduite ont été quelque peu élargis. Les sanctions sont désormais prises directement par Pôle emploi et non plus par les préfets.

Des propositions continuent cependant d’être faites, notamment au sein du Parlement, pour durcir la sanction d’une insuffisance de recherche d’emploi. Il ne faudrait pas en attendre une économie directe substantielle, mais seulement une économie indirecte, résultant du caractère dissuasif de la sanction. De toute façon, tout contrôler ne sera jamais optimal. Ne vaut-il pas mieux que chacun soit spontanément incité à ne pas différer sa reprise d’emploi ? Plus qu’au contrôle, cela renvoie au système d’indemnisation lui-même.

L’accompagnement : solution miracle ou mirage ?

Pendant ses dix premières années, Pôle emploi a beaucoup fait évoluer son offre de service. L’établissement a d’abord tenté de proposer une offre universelle, confiée à des conseillers polyvalents pratiquant un « métier unique » – indemnisation, accompagnement, relation avec les entreprises – avec un suivi mensuel personnalisé de chaque demandeur d’emploi. Devant le coût et les difficultés de mise en œuvre de cette offre, Pôle emploi s’est ensuite tourné à partir de 2012 vers une autre stratégie : spécialiser les conseillers, développer considérablement le volet « accompagnement »6, mais différencier celui-ci selon les besoins présumés des demandeurs d’emploi.

Quatre catégories de demandeurs d’emploi sont distinguées :

  • Les premiers, jugés autonomes, sont simplement « suivis » (1/3 du nombre des demandeurs).
  • D’autres ont, pense-t-on, besoin d’être « guidés » et méritent de plus grandes attentions de Pôle emploi (environ 50-55 %).
  • Viennent ensuite des demandeurs plus éloignés de l’emploi, méritant un « accompagnement renforcé » (environ 10-15 %).
  • Et enfin, des demandeurs jugés handicapés par des difficultés particulièrement lourdes, y compris sociales : ceux-là (environ 1 %) ont vocation à un « accompagnement global » partagé entre un conseiller de Pôle emploi et un travailleur social.

Les conseillers sont spécialisés entre ces quatre catégories. Chacun est doté d’un portefeuille de demandeurs d’emploi, d’ampleur variable selon l’intensité du service rendu. Des normes ont été fixées : 200 à 350 demandeurs par conseiller en mode « suivi », 100 à 150 en mode « guidé », au plus 70 pour l’accompagnement renforcé.

Une dizaine d’années après sa mise en place, ce dispositif continue à souffrir de sérieux défauts. Le principal d’entre eux tient à la logique même de l’offre de service. Aux yeux de Pôle emploi, les deux tiers environ des demandeurs d’emploi ne seraient pas suffisamment autonomes pour que l’établissement se limite, à leur égard, à un simple suivi. Cette prétention à maintenir sous « guidage » ou accompagnement plus intensif deux demandeurs sur trois est excessive, voire infantilisante. Elle résulte d’une conception périmée du service public, trop universel et égalitaire, incapable de cesser de s’occuper de gens auxquels il ne sera guère utile. Le résultat prévisible est l’inefficience de l’accompagnement, à la fois trop coûteux et pas assez efficace pour ceux qui ont le plus besoin d’être aidés.

Plusieurs indices de ce dysfonctionnement apparaissent dans les statistiques des portefeuilles de demandeurs d’emploi par conseiller7 publiées par Pôle emploi.

  • Fin juin 2022, la moyenne par agence du portefeuille d’un conseiller était de 82 demandeurs pour l’accompagnement renforcé, 196 en mode « guidé » et 407 en mode « suivi ». Ces moyennes sont supérieures aux normes théoriques définies par Pôle emploi. Plus précisément, dans 552 agences sur 845 (65 %), le nombre de demandeurs en accompagnement renforcé par conseiller dépassait la limite maximale théorique de 70 ; pour les demandeurs « guidés », la limite maximale de 150 par conseiller était dépassée dans 85 % des agences ; pour les demandeurs « suivis », la limite de 350 par conseiller était dépassée par 69 % d’entre elles.
  • Cette situation s’est détériorée entre mi-2016 et mi-2022 avec, à la fois, une hausse de la taille moyenne des portefeuilles pour chacun des modes d’accompagnement et, pour les demandeurs « guidés » et « suivis », une augmentation de la proportion des agences où la limite théorique maximale des portefeuilles est dépassée. La baisse du chômage (-5 % de demandeurs d’emploi du 2e trimestre 2016 au 2e trimestre 2022) et la hausse des effectifs de Pôle emploi dédiés à l’accompagnement ne se sont pas traduites par un meilleur respect des normes fixées pour le service d’accompagnement aux demandeurs.
  • Des zones de recouvrement entre les catégories « suivi » et « guidé » brouillent la distinction entre ces deux types de prestations : fin juin 2022, ainsi, dans 84 agences de Pôle emploi, soit 10 % du nombre total, le nombre de demandeurs par conseiller en mode « suivi » était inférieur ou égal à 273 ; dans 60 autres agences (7 % du total), le nombre de demandeurs par conseiller en mode « guidé » était supérieur à ce même chiffre de 273. Dans 10 % des cas, tout se passe donc comme si le niveau de service offert aux demandeurs jugés autonomes était meilleur que celui offert dans une partie non négligeable des autres agences à des demandeurs méritant a priori plus d’aides. Ces incohérences ne signifient-elles pas que la séparation des demandeurs « suivis » et « guidés » est artificielle ? Ces derniers semblent placés dans une catégorie « fourre-tout » trop nombreuse, qui pourrait sans doute disparaître sans inconvénient majeur, libérant des effectifs pour d’autres tâches.

Une mesure de la performance indigente

Des indicateurs de suivi de Pôle emploi sont définis à l’occasion de chaque nouvelle convention tripartite pluriannuelle passée entre l’État, l’Unédic et Pôle emploi. Ils varient d’une convention à l’autre, mais certains sont plus permanents.

Quatre d’entre eux sont privilégiés par Pôle emploi lui-même qui les met à jour, chaque semestre, par région, sous-région et par agence, dans une base de données dont les résultats sont mis à disposition du public.

  • Nombre de retours à l’emploi dans un emploi de plus d’un mois (CDD ou CDI) parmi les demandeurs en catégorie A et B. C’est surtout un indicateur d’activité – lié à l’intensité des flux de passage hors et en emploi, ou d’un emploi à un autre, à la conjoncture – et non pas un indicateur d’efficacité de l’action de Pôle emploi. Ayant très peu d’intérêt pour mesurer la performance, il n’est pas traité en interne comme essentiel.
  • Taux de notification des droits dans les 21 jours, version modifiée d’un indicateur plus ancien de même nature : une mesure de performance utile, mais limitée au seul domaine de la technique d’indemnisation.
  • Taux de satisfaction des demandeurs d’emploi : « Globalement, quel est votre niveau de satisfaction concernant le suivi dont vous bénéficiez ? » Cet indicateur fut fort critiqué par la Cour des comptes en 2020, car la notion de satisfaction, dans ce domaine, est extrêmement vague, et peu représentative de la réalité ou de la qualité d’un service rendu.
  • Taux de satisfaction des employeurs concernant la dernière opération de recrutement. Les critiques formulées au sujet de l’indicateur précédent sont aussi valables pour celui-ci. En privilégiant cet indicateur, Pôle emploi passe sous silence la mesure, pourtant plus significative, de son poids relatif parmi tous les modes de recrutement.

Cette autre mesure est, hélas, bien peu révélatrice de l’efficacité comparée de Pôle emploi (cf. courbe ci-après).

À la limite, s’il ne subsistait qu’un seul employeur recrutant par Pôle emploi, mais content de la prestation, l’établissement pourrait néanmoins s’enorgueillir d’un taux de satisfaction de 100 %, améliorant sa performance au sens de la convention tripartite.

Tout cela donne l’impression qu’aux yeux des pilotes de Pôle emploi, l’objectif premier de cet organisme serait de se faire bien voir. Un peu comme une entreprise cherche à entretenir son image et à fidéliser sa clientèle grâce à la publicité. Mais pour vendre quoi ? Un produit utile ou du vent ?

Les activités de coaching, d’intermédiaire en tous genres, de conseil personnel sont, de notoriété publique, un secteur où, à côté de bons professionnels, prospèrent les gourous et les charlatans. Entre ceux qui vendent un vrai service et ceux qui vendent de l’illusion, on trouve toutes les nuances et tous les mélanges.

De quel côté se positionne le service public de l’emploi en France ? Pour mieux le comprendre, il faut mettre d’autres lunettes, changer de méthode, rompre avec une problématique d’évaluation largement dépourvue de sens et regarder hors de nos frontières (voir partie IV).

III. France Travail

La fusion des Assédic et de Pôle emploi s’est accompagnée de gains de productivité dans les fonctions d’indemnisation et de recouvrement. Elle s’est néanmoins traduite aussi par un surcoût non négligeable. Qui plus est, dans le nouveau cœur de métier de Pôle emploi, l’accompagnement, les résultats ont été beaucoup plus problématiques. Devant cette situation, la tentation est grande de chercher à améliorer les performances du volet « mesures actives » de la politique de l’emploi par une nouvelle réforme systémique, accompagnée de moyens accrus. Telle est, au moins au départ, l’ambition du projet « France Travail ».

À la date d’achèvement du présent dossier (janvier 2023), on connaissait à peu près le calendrier du projet, mais ses contours semblaient encore flous. Outre Pôle emploi, d’autres acteurs de la politique de l’emploi sont concernés.

Cartographie des acteurs de la politique de l'emploi

  • Les 440 missions locales, associations émanant des collectivités territoriales, spécialisées vers les jeunes de 16 à 25 ans ; dotées de budgets totalisant 0,7 milliard € en 2018, financées pour moitié par l’État, employant près de 14 000 collaborateurs, elles s’occupent chaque année d’environ 1,1 million de jeunes ;
  • la centaine de Cap emploi, organismes de placement spécialisés en direction des personnes handicapées ; accueillant un flux annuel de l’ordre de 100 000 personnes, ils emploient environ 1 700 collaborateurs et dépensaient un budget de 0,11 milliard € en 2018 ;
  • l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) qui emploie 1 000 personnes, mobilise un budget de 0,13 milliard € en 2021 et accompagne 150 000 cadres par an ;
  • les départements, gestionnaires du revenu de solidarité active (RSA), attribué en juin 2022 à près de 1,9 million de foyers totalisant plus de 4 millions de personnes, dont plus de 2 millions d’adultes a priori concernés par l’emploi, pour un coût annuel de l’ordre de 12 milliards € en 2019.

Ces organismes ont des positionnements assez disparates. Les missions locales, sensibles aux influences politiques des élus, coopèrent de façon inégale avec Pôle emploi. Les Cap emploi semblent être en voie de symbiose avec Pôle emploi. Les départements sont concernés par le volet « activité » du RSA, mais prennent surtout en charge l’aspect social de l’accompagnement vers l’emploi.

L’idée d’une grande fusion de ces actions pour l’emploi a pu séduire à certains moments ; elle semble aujourd’hui abandonnée. Cela n’est pas à regretter. Un bricolage institutionnel risquerait de renchérir une fois de plus les coûts de la nouvelle structure.

Le projet France Travail parviendra-t-il à remettre toutes les personnes éloignées de l’emploi dans une démarche de recherche active, permettant ainsi d’accélérer le retour vers le plein emploi ?

Dans un rapport publié en 2022, la Cour des comptes rappelle que les allocataires du RSA représentent une dépense annuelle de 12 milliards € pour environ deux millions de foyers. Pourtant, l’accès à l’emploi de ces personnes reste faible : 3,9 % de retour à l’emploi en 2019. La Cour juge sévèrement le volet « accompagnement » du RSA : délais d’orientation trop longs, recommandations peu consistantes. Les pratiques d’orientation des allocataires vers un accompagnement sont très variables d’un département à l’autre. Le versement du RSA est en principe régi par une logique contractuelle : un contrat d'engagement réciproque (CER) stipule les « droits et devoirs » respectifs de l'administration et des bénéficiaires. Mais le suivi des allocataires est, selon la Cour « quasi-inexistant », et le système de sanctions, très graduel, n’est pas suffisamment incitatif. Faute d’un accompagnement et d'un contrôle efficace, le RSA, avertit la Cour, « risque d'évoluer, pour un nombre croissant de personnes, vers une simple allocation de survie, marquant l'échec des ambitions affichées en 2008 lors de sa création ».

Ce constat préoccupant est l'un des principaux défis auxquels doit faire face le projet France Travail. L'une des pistes envisagées serait de mettre en place une porte d’entrée unique, afin de rendre plus performant l'accompagnement grâce au partage entre tous les acteurs des données des systèmes d’information connectés, qu'il s'agisse d'un accompagnement social ou professionnel. Thibault Guilluy en charge du rapport de préfiguration de France Travail, rapport qui n’a pas encore été entièrement dévoilé, a souligné le principal motif de ce projet : sur l’ensemble du territoire, il existe des tensions de recrutement, alors que dans le même temps, on compte un grand nombre de personnes sans emploi, « qu’elles soient ou non inscrites sur les listes de Pôle emploi », juge-t-il utile de préciser (source AEF).

D’où l’idée que le guichet France Travail enregistre et prenne en charge le diagnostic de toutes les personnes sans emploi, y compris les allocataires du RSA ou les travailleurs handicapés.

Pôle emploi deviendrait alors le pivot d’une politique d’insertion construite avec les autres acteurs, dont les services sociaux des départements. Thibault Guilluy ayant bien insisté sur le fait que le projet France Travail n’était pas un big bang des compétences ni une superstructure.

Cette organisation sera testée dans des territoires pilotes mais l’articulation du travail entre l’opérateur public Pôle emploi et les départements reste encore assez floue. L’autre sujet brûlant est celui des droits et devoirs des allocataires du RSA. Préciser les devoirs, suivre les allocataires, contrôler le respect des obligations et sanctionner plus fermement, si besoin est, sont des chantiers de réforme à engager.

Une autre piste étudiée est de conditionner le versement du RSA à une activité de 15 à 20 heures par semaine : une perspective qui ne fait pas l'unanimité chez les départements. Sur la route du plein emploi, il reste beaucoup à faire pour clarifier les compétences et le rôle des différents acteurs, tout en les responsabilisant.

En finir avec l'enchevêtrement de compétences ?

La multiplicité des intervenants peut, certes, apparaître excessive. Pour les jeunes, ainsi, les missions locales coexistent ou entrent en concurrence avec les écoles de la 2e chance (E2C), les Cap emploi, Pôle emploi, les centres de formation d’apprentis (CFA), etc.

S’il faut réduire cette complexité, peu lisible pour les jeunes et les parents, et tendre vers un guichet unique, il faut aussi et surtout poser la question qui fâche : est-il raisonnable de tout miser sur les politiques actives ?

Le pilote de la préfiguration de France Travail, Thibaut Guilluy, est un entrepreneur social, directeur général, pendant 15 ans, du groupe Ares (Association pour la réinsertion économique et sociale). Il milite pour donner plus de poids aux entreprises et aux associations privées dans l’insertion vers l’emploi.

Ce profil correspond aux orientations générales de la mission qui lui est confiée : développer l’accompagnement aux personnes les plus éloignées de l’emploi, améliorer la réponse aux besoins des entreprises. Certaines de ces orientations, toutefois, posent question.

Le contrat d'engagement jeune : des effets encore douteux

Le contrat d’engagement jeune (CEJ), déployé depuis mars 2022, est ainsi mentionné comme un exemple à suivre pour France Travail. Le CEJ succède à la garantie jeunes, mise en place à partir de 2013, dont il reprend beaucoup d’aspects.

Dans une note de décembre 2021, la Cour des comptes a estimé que les résultats de la garantie jeunes sur l’emploi lui semblaient assez « ténus ». Les taux d’emploi à la sortie avaient baissé de 2015 à 2019 alors que la situation de l’emploi s’était améliorée. L’étude menée sur la première cohorte de bénéficiaires, réalisée « dans des territoires pilotes armés et mobilisés sur ce dispositif », manquait de représentativité.

Les résultats positifs de cette cohorte, par rapport à une population de jeunes n’ayant pas bénéficié de la garantie jeunes, ne se sont d’ailleurs pas reproduits pour la seconde cohorte de bénéficiaires, et la performance du dispositif n’a pas été mesurée depuis sa généralisation.

Il est encore trop tôt pour évaluer les effets du CEJ, mais les premiers éléments disponibles laissent planer des doutes. En décembre 2022, un rapport d’étape a souligné les difficultés de repérage des jeunes les plus en difficulté et les résistances à l’obligation d’activité de 15 à 20 heures par semaine, prévue dans le dispositif.

Il faut, en ce domaine, se prémunir de deux illusions : celle du biais de confirmation (prendre sans précaution des résultats comme la preuve de l’idée a priori que l’on se fait de l’efficacité d’un dispositif) ; celle du biais de généralisation (ignorer que les résultats d’une expérimentation menée dans des conditions particulières ne sont pas forcément transposables à l’ensemble d’une population, ni indéfiniment dans le temps).

De telles questions se poseront lorsqu’il s’agira de décider des moyens à consacrer à des actions d’accompagnement qui pourraient devenir massives et très coûteuses, comme vers les jeunes, ou vers les 2 millions d’adultes bénéficiaires du RSA.

À titre d’illustration, un million d’accompagnements intensifs de plus durant un an, avec un portefeuille de 50 personnes par conseiller, représente 20 000 conseillers de plus soit, sur la base des coûts moyens de personnel de Pôle emploi en 2021, 1,3 à 1,4 milliard € de frais de personnel supplémentaires par an. Des choix drastiques sont donc inévitables : cibler bien plus fortement les actions de Pôle emploi ; remettre en question l'existence des dispositifs ou des réseaux, comme les missions locales, qui n'ont pas fait la preuve de leur utilité.

Débureaucratiser l’insertion dans l’emploi, accroître la participation des entreprises et du secteur privé dans ces actions, dynamiser et mieux faire travailler ensemble les différents intervenants, sont des objectifs a priori louables. Mais nous formulons une mise en garde : il ne faut pas céder au mirage du toujours plus de politiques actives.

La réforme n’aura de sens que si elle limite les moyens consacrés à ce volet d’actions et cible drastiquement les publics visés, tant par Pôle emploi que par les autres intervenants. Sans oublier de mieux contrôler la gestion de ces divers organismes et la situation des bénéficiaires.

IV. Une comparaison internationale : l’introuvable performance des « mesures actives »

Les évaluations des politiques de l’emploi, malgré leur apparence de rigueur, présentent de sérieux risques : mesurer du vent ; mesurer des choses sur lesquelles ces politiques ont peu de prise ; mesurer une activité et non des résultats ; mesurer des effets sans groupe de contrôle ou sans référence à un « contrefactuel » (que se serait-il passé en l’absence de toute action ?). Une autre approche, beaucoup moins sophistiquée et plus globale, ne doit pas être négligée.

Comment des pays de développement comparable, ayant des niveaux différents de dépense publique pour l’emploi et des niveaux de chômage différents, se situent-ils les uns par rapport aux autres ? Pour étudier cela, la Fondation IFRAP a utilisé les statistiques de l’OCDE. L’OCDE fait la décomposition entre les dépenses passives, dites de « chômage » (en clair, l’indemnisation) et les dépenses de « politiques actives ».

Nous avons retenu 25 pays à la fois suffisamment peuplés et de bon niveau de développement8. Nous avons considéré une période assez longue – 13 ans, 2005-2017 – pour atténuer l’effet conjoncturel, et calculé les moyennes par pays, sur cette période, des ratios « dépenses/PIB »9. Nous avons enfin mis en rapport ces moyennes avec celles, pour les mêmes pays, des taux de chômage annuels constatés sur la même période, selon l’OCDE.

Un premier graphique (ci-dessous) présente la relation entre la proportion à long terme des dépenses publiques de chômage dans le PIB et le taux moyen de chômage à long terme. Il est naturel de s’attendre à ce que cette relation soit positive – plus le chômage est important, plus cela coûte de l’indemniser – et c’est ce que montre la droite de tendance. On note cependant une assez grande dispersion des pays autour de cette tendance : dispersion interprétable comme le signe de la plus ou moins grande générosité de l’indemnisation. En 2005-2017, ainsi, la France se situait assez nettement au-dessus de la droite de tendance. Les réformes en cours auront pour effet de rapprocher notre situation de celle de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse et des Pays-Bas.

Un second graphique (ci-dessus) montre la relation entre la proportion à long terme des dépenses publiques de politiques actives pour l’emploi dans le PIB et le taux de chômage à long terme. Ici, on pourrait s’attendre à ce que cette relation soit négative : un pays qui « met le paquet » sur les mesures actives devrait normalement en recueillir le fruit avec un taux de chômage moindre.

Ce n’est guère ce que l’on observe : la droite de tendance est quasiment horizontale. De surcroît, la dispersion des situations entre les 25 pays est très forte, plus encore que dans le graphique précédent. Des pays ayant des taux de chômage proches consacrent des proportions très différentes de leur PIB aux mesures actives. Inversement, des pays consacrant des parts voisines de leur PIB à ces mesures connaissent des taux de chômage à long terme très divers.

Le Danemark, avec près de 1,8 % de son PIB pour les mesures actives, a enregistré pendant 13 ans un taux de chômage moyen supérieur à ceux de l’Autriche et de l’Australie, qui ont dépensé respectivement plus de deux fois et plus de six fois moins. Avec 0,92 % de son PIB, la France a été au 4e rang des pays les plus dépensiers en ce domaine. Elle a dépensé davantage que 14 pays – près de 60 % des autres pays – dans lesquels le taux de chômage moyen est resté inférieur.

Même si l’on tient compte de l’imperfection des données statistiques, ces constats n’appuient pas la thèse que les mesures actives pour l’emploi auraient un effet significatif sur la réduction du chômage. Contrairement à une idée répandue, le modèle scandinave de la politique de l’emploi (Danemark, Suède, Finlande), très axé sur ces mesures, ne semble pas faire preuve d’une efficacité à la hauteur de son coût.

Conclusion

Nos préconisations portent sur les deux volets des politiques de l’emploi. Elles tiennent compte des réformes déjà engagées et des annonces de réformes futures, en cherchant non pas à tout réinventer, mais à réduire le coût de ces politiques sans altérer la situation de l’emploi.

  • Pour le volet « indemnisation », l’objectif est de mener à son terme la réforme en cours et de mieux responsabiliser les partenaires sociaux, si ceux-ci reviennent à la manœuvre. Pour les finances publiques, nous évaluons les économies potentielles à 3-4 milliards € par an, soit environ 10 % du coût actuel.
  • Pour le volet « mesures actives », l’objectif premier n’est pas de bouleverser la gouvernance, même si des simplifications sont souhaitables pour mieux traiter l’insertion des jeunes et tourner vers l’emploi les bénéficiaires du RSA. Plus fondamentalement, nous proposons de réviser à la baisse les ambitions des politiques dites actives, avec un objectif d’économies de l’ordre de 10 % du coût actuel également, soit environ 2 milliards € par an, à obtenir principalement par un ciblage plus strict des actions.

Ces préconisations permettent de tourner la page d’un modèle de politique de l’emploi, centré sur le monopole public du placement des demandeurs d’emploi. Cette vision est aujourd’hui périmée. Seule une part restreinte des inscrits à Pôle emploi doit faire l’objet d’un suivi spécifique, les autres étant laissés libres de gérer leurs recherches, incités par une politique d’indemnisation plus stricte.

Qu'il s'agisse de l'indemnisation ou des mesures actives, ces réformes sont loin d'épuiser le sujet de l'emploi. Elles devront être complétées par des politiques, plus permanentes, en amont du marché du travail, pour améliorer le taux d’emploi et la qualité de l’emploi, un objectif qui devient majeur en régime de stagnation ou de déclin démographique. Pour ce faire, il faudra en priorité actionner différents leviers : la formation initiale et permanente (pour accroître la qualité de l’emploi des jeunes et des adultes) ; la politique d’immigration (pour garder ou attirer les travailleurs qualifiés et pour limiter le flux d’entrée des non-qualifiés) ; la fiscalité et les charges sociales (pour ne pas handicaper les entreprises) ; le financement de l’innovation et de la création d’entreprise ; le droit du travail ; le système de retraite (pour allonger la durée de la vie active) ; la politique familiale (pour mieux concilier l’emploi et la charge d’enfants).

Taux d’emploi : la France en déficit d’emploi aux deux bouts de la vie active

Le taux d’emploi mesure la proportion des personnes en emploi par tranche de population. Un graphique récemment publié par l’Unédic10 fait très bien ressortir la situation de la France par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE ou de la zone euro. En 2019, pour les âges de 25 à 59 ans, son taux d’emploi était au moins égal à ceux de l’OCDE et de la zone euro, et parfois meilleur. C’est seulement pour les jeunes (15 à 24 ans) et, surtout, pour les seniors (60 ans et plus), que la France manque d’emploi : un tiers des 60-64 ans et moins de 10 % des 65-69 ans y sont en emploi, contre plus de 50 % et près de 30 % pour les pays de l’OCDE.


1. Voir par exemple le point de vue assez réservé d’un expert des politiques de l’emploi, Bruno Coquet (Capital, décembre 2022, p. 83).

2. « Qui sont les allocataires indemnisés par l’assurance chômage ? », octobre 2020, p. 25, graphique 12.

3. Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Camille Landais, « Repenser l’assurance chômage : règles et gouvernance », Notes du CAE, n° 61, janvier 2021.

4. L’iFRAP, de son côté, avait consacré un dossier à Pôle emploi il y a dix ans (Société civile, n° 126, juillet-août 2012). Nombre de critiques alors formulées restent d’actualité.

5. Alexis Gaignon, Cécile Lieurade, « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi », Pôle emploi, Statistiques, études et évaluations, août 2018.

6. Selon les calculs de la Cour des comptes, l'accompagnement, à la fin de 2018, occupait 63 % des effectifs ETPT des conseillers,
contre 21 % pour l'indemnisation et le contrôle de la recherche d'emploi et 16 % pour les prestations aux entreprises.

7. Données disponibles pour chaque agence, de fin 2015 à mi-2022, sur pole-emploi.org/opendata.

10. Prévisions financières, juin 2022, p. 6.

8. Par ordre alphabétique : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède, Suisse, Tchéquie.

9. Dépenses dites « obligatoires », essentiellement publiques mais aussi, à un faible degré, privées.

Sources : Solde financier : Unédic, situation et prévisions financières (2022-2024) de l’assurance chômage, octobre 2022 ; Dette financière : bilans annuels de l’Unédic ; 2022-2024 : prévision iFRAP.