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La révolution numérique des Bibliothèques universitaires

Tout reste à faire !

En juin 2007, l'inspection générale des bibliothèques (IGB) rendait au ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, un rapport [1] relatif à la dispersion de la documentation des bibliothèques universitaires. L'IGB y pointait du doigt les retards pris par les universités françaises dans l'unification de leurs systèmes documentaires. Vingt deux ans après la parution du décret 85-694 du 4 juillet 1985 qui imposait la « mutualisation progressive des fonds bibliothécaires », rien ou presque n'a été fait.

Ce manque criant d'efficience a un coût : les politiques d'acquisition des ouvrages sont largement autonomes et anarchiques et conduisent à des doublons ; les structures sont émiettées et ne bénéficient pas aux étudiants qui disposent d'une accessibilité réduite aux fonds documentaires par rapport aux autres pays européens. Largement victime d'un affrontement entre les services universitaires et les unités de recherche pour la préservation de situations acquises et de leurs crédits budgétaires, l'ensemble de la gestion des bibliothèques universitaires mériterait une réforme en profondeur, qui sache tirer parti de la révolution numérique.

L'application « à la carte » de la mutualisation des ressources documentaires fait exploser les coûts

Le rapport de l'IGB de 2007 tire un constat sévère de l'avancement de l'unification du système documentaire. Si celle-ci est cependant perceptible (1%/an), la mutualisation des dépenses avance à une vitesse d'escargot. Il faudra sans doute trente ans au bas mot pour parvenir, au rythme actuel, à réintégrer les dépenses documentaires non centralisées au sein des services communs de documentation (SCD) dans la mesure où le recensement exhaustif des fonds de ces bibliothèques « autonomes » ne sera complet qu'en 2055 au bas mot puisque seulement un tiers des documents « hors champ des SCD est actuellement recensé » [2] .

Il faut dire que le statut des bibliothèques universitaires ressemble plus à une jungle qu'à un jardin à la française, ce qui encourage les effets de gaspillage, de saupoudrage et de dissimulations budgétaires [3] :

Ainsi, en moyenne sur les 18 universités auditées en 2007, 33% des dépenses documentaires ont été effectuées en dehors des services communs de documentation. Cette proportion est même beaucoup plus importante s'agissant de Paris, où les ressources achetées en dehors des services communs représentent près de 46,1% des budgets documentaires des universités. Sans surprise, cette dispersion des moyens conduit à une politique erratique d'acquisition qui provoque nécessairement des commandes doublonnées : ainsi à Nantes, le recouvrement des titres des fonds est compris entre 50 et 75%, à Paris 2 en moyenne de 52,6%, à Poitiers de l'ordre de 30%. Dans l'état actuel de la gestion des bibliothèques universitaires, l'application « à la carte » du décret de 1985 conduit au niveau financier à l'accroissement mécanique des budgets dédiés. Les bibliothèques dites « associées » qui restent financées hors des services communs de documentation se financent par l'intermédiaire des crédits pédagogiques des UFR (unités de recherche) en en consommant de 25 à 30% des montants ou via les crédits de recherche des organismes scientifiques associés (CNRS etc…) ; autant de flux qui sont utilisés de façon totalement discrétionnaire.

D'ailleurs, même en cas d'intégration au sein des SCD, le volet budgétaire se décline dans le sens d'une augmentation mécanique des crédits alloués : lorsque l'université décide d'une politique d'intégration des fonds aux services communs, le budget transféré par l'UFR est souvent inférieur à celui qu'il attribuait à la bibliothèque avant son intégration et lorsque le transfert financier continue à être supporté par l'UFR, celle-ci diminue au fil des années ses concours. Il s'ensuit que c'est au SCD de continuer de financer la politique de conservation et d'acquisition en comblant la différence, tandis que les crédits pédagogiques non-transférés, viennent abonder les autres postes, l'UFR cherchant à maintenir aussi intact que possible son propre budget malgré le transfert. Et encore ceci reste-t-il le cas le plus optimiste. Bien souvent, les transferts sont imparfaits : soit que seuls les fonds soient transférés, les entités conservant la maîtrise de la politique d'acquisition et la politique budgétaire, soit que l'intégration soit simplement financière sans toucher aux deux autres composantes de la dépense.

Ces données témoignent de l'effort de rationalisation à opérer, en promouvant une responsabilité financière globale dans le cadre de l'intégration documentaire au sein des services communs de documentation universitaire. Cette responsabilité financière globale devrait pouvoir se décliner sous deux formes :
- par la mise en place d'une unicité des lignes de crédits d'acquisition pour l'ensemble des bibliothèques d'une même université,
- par la mise en place comme à Paris 5, d'un service centralisé d'acquisition des livres (SCAL) afin d'éviter l'émiettement des commandes entre les différentes structures.

A terme cependant, il faudra aller plus loin et intégrer la révolution numérique afin de réformer en profondeur et durablement la gestion des ressources documentaires.

++DECOUPE++

La numérisation des ressources documentaires
un élément important de la réforme des universités

Comme l'évoque parfaitement le dernier rapport sur l'immobilier universitaire parisien de novembre 2008 signé par les trois inspections des finances, de l'éducation et de l'équipement, la réforme des bibliothèques universitaires est un terrain stratégique de la loi sur l'autonomie des universités du 10 août 2007. Un terrain stratégique dans la mesure où, du rapprochement des différents fonds de bibliothèques universitaires, pourra émerger tout à la fois :

- une gestion optimisée des ressources documentaires permettant de dépasser certaines contraintes structurelles (places de bibliothèques, horaires d'ouverture, fonds disponibles), politiques d'acquisition documentaires (livres et périodiques) coordonnées.
- une gestion rationalisée de l'immobilier (avec une valorisation accrue des espaces de conservation et de lecture),
- des financements plus lisibles et économes de l'argent public (en termes d'acquisition mais également de conservation et de meilleure gestion des personnels).

Pour mettre en place une telle politique de mutualisation et de mise en ligne des fonds des bibliothèques universitaires françaises, il faudra revoir nécessairement la politique de contractualisation des objectifs budgétaires définis entre l'Etat et les universités. Actuellement, la hiérarchie des objectifs s'effectue comme suit : le développement des collections reçoit entre 60 et 70% des crédits, la modernisation, l'informatisation et la numérisation de l'ordre de 15 à 20% et l'amélioration des services aux usagers de l'ordre de 10 à 15%. Il faudra sans aucun doute accroître dans un premier temps le travail de numérisation au détriment des deux autres postes, afin de "booster" cette politique publique.

Comme l'évoquait la Cour des comptes (rapport annuel 2005), le réseau des bibliothèques françaises représentait en 2002, 350 sites, employant près de 5000 agents pour 27 millions de livres et 466 000 titres périodiques [4] pour un coût budgétaire de 350 millions d'€. En 2009, ce coût est porté à plus de 360 millions d'€, pour 4 866 agents. Alors même que les projections de réduction d'effectifs sur 5 ans prévoient une réduction de 16,27% des effectifs soit 792 ETPT, il semble possible de dégager des marges budgétaires susceptibles d'être réallouées à la numérisation (en se servant de la fongibilité asymétrique), tout en préparant l'avenir : des personnels moins nombreux pour un accueil du public (près de 1,2 million de lecteurs) avant tout virtuel, plus efficace et illimité.
Un projet qui permettrait de contribuer à donner force et cohérence à notre enseignement supérieur dans le cadre de la compétition universitaire mondiale et de poursuivre la rationalisation et la valorisation des surfaces immobilières. Un projet qui a néanmoins un coût : la numérisation de 27 millions de livres, au coût unitaire de 40 € représenterait une enveloppe de 1,08 milliard d'€.
Un coût supportable néanmoins sur 5 ans, en y consacrant un budget supplémentaire de 216 millions €/an en partie compensé par les réductions de personnel (environ 12 millions d'€), et par le versement de produits de cessions immobilières dans le cadre de la valorisation du patrimoine immobilier des universités.

iFRAP : nos propositions conernant la numérisation des bibliothèques universitaires

Une telle évolution pourrait avoir lieu à partir d'une base de données déjà existante et reconnue pour son efficacité, le système SUDOC qui livre, de façon encore incomplète mais mutualisée, l'inventaire de l'ensemble des fonds disponibles dans les bibliothèques universitaires avec localisation des ouvrages et des cotes. Un pas de plus pourrait être franchi si l'on parvenait à transformer cet inventaire en base de données numérisée des ouvrages. Un tel projet permettrait ainsi de régler un certain nombre de difficultés administratives :

- la question lancinante du manque de place en bibliothèque, qui pourrait parfaitement être réglée par une consultation on-line des ouvrages par wi-fi .
- serait également résolu le problème des horaires d'ouverture des centres documentaires, toujours insuffisants en soirée et en fin de semaine. Actuellement à Paris les BU (bibliothèques universitaires) ouvrent 58 heures, contre un objectif européen moyen de 65 heures. Avec la numérisation, il serait possible de développer une accessibilité 24h/24, et 7 jours/7 soit une ouverture de 1684 heures/semaine ! Ce passage au tout numérique permettrait également de régler le problème connexe du temps de communication des documents : généralement fort long, qui actuellement s'effectue parfois avec commande préalable sur plusieurs jours comme au rez-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France.
- L'informatisation permettrait également de trouver une solution flexible à la question du rapprochement « physique » des fonds et de leur coût ; mais aussi une baisse à terme des frais de documentation en évitant au maximum le recouvrement des commandes sur les mêmes ouvrages et en ciblant celles-ci vers les acquisitions véritablement nouvelles et diversifiées.
- Enfin, régler le problème des droits d'auteurs, en rendant payant l'accès à la base centrale de données, moyennant des frais d'inscription comme dans n'importe quelle bibliothèque et en rendant très difficile les copies (c'est toute la question de l'usage des DRM (Digital Rights Management) et de la négociation de la consultation des ouvrages sous droits qui est ainsi posée).

[1] Rapport IGB n°2006-032.

[2] Etant entendu en outre, que les chiffres livrés par l'IGB ne peuvent être considérés comme définitifs dans la mesure où les 100 à 120 bibliothèques hors des services communs, recensés dans les 18 universités auditées devraient être augmentées de 50%, ceci dû au fait que certaines bibliothèques associées n'ont tout simplement pas répondu à l'enquête, et qu'en outre celle-ci n'avait pas non plus pris en compte les ressources documentaires des organismes de recherche (CNRS, INRA etc…).

[3] On y trouve les bibliothèques universitaires stricto sensu (SCD), les bibliothèques « associées » mais aussi les « bibliothèques de composantes » au statut plus autonome, voir les bibliothèques totalement ou partiellement indépendantes : bibliothèques mixtes des UMR : unités mixtes de recherche entre université et EPST (établissements publics scientifiques et techniques : CNRS, INSERM etc…).

[4] Dernières données documentaires consolidées.