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Si, les 65 ans doivent rester un totem !

La Première ministre, Elisabeth Borne vient de l’acter : pour le gouvernement, le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans n’est « pas un totem ». Alors que 2023 devrait voir les discussions pour la réforme des retraites (enfin) avancer, cette formulation peut augurer d'un réel recul par rapport à la promesse initiale d’Emmanuel Macron pendant les élections présidentielles.

Le report de l'âge à 65 ans est la réforme :

  • Qui génèrerait le plus d'économies, 17 milliards d'euros d'ici 2030 contre 2,9 milliards d'euros pour une accélération de la réforme Touraine,
  • Qui permettrait de lutter contre la baisse relative des pensions. Aujourd'hui, l'équilibre temporairement atteint de notre système de retraite n'est obtenu qu'au prix d'une baisse du taux de remplacement par rapport au dernier salaire,
  • Qui prendrait en compte l'augmentation de l'espérence de vie et le vieillissement de la population... et notamment de la population active, 
  • Qui doit permettre à la France de rattraper son retard alors que la plupart de nos voisins européens ont déjà planifié de reculer l'âge d'ouverture des droits à la retraite à 67, voire 70 ans. 

Le recul à 65 ans est la seule réforme valable d’un point de vue budgétaire.

Elisabeth Borne affirme qu’il existe « d’autres solutions [pour] permettre d’atteindre l’équilibre de notre régime de retraite à l’horizon 2030 ». Parmi ces autres pistes, la plus probable est celle de l’accélération de la réforme Touraine, votée en 2014 qui prévoyait un allongement de la durée de cotisation à partir de 2020.  

Sauf que… l’allongement de la durée de cotisation a un impact beaucoup plus réduit sur le solde des régimes de retraite que le report de l’âge à 65 ans.

A l’occasion de la discussion du PLFSS 2023, le Sénat a demandé une simulation à la CNAV qui met en évidence ce résultat : il faut allonger la durée de cotisation à 184 trimestres (46 années) pour avoir un effet presque équivalent sur le solde des régimes de retraite en 2030 à un report de l’âge à 65 ans. Dans ce scénario l’allongement de la durée de cotisation permettrait d’améliorer le solde de quelques 15 milliards en 2030 contre… 17 milliards pour le report de l’âge à 65 ans.

A cela, il faut opposer les vrais chiffres du déficit de notre système de retraites. Sur ce point, la première urgence est de rappeler que l’équilibre temporaire de notre système de retraite n’est obtenu qu’au prix d’une baisse relative de la pension moyenne.

Taux de remplacement net (départ à la retraite au taux plein au régime général sans décote ni surcote)[1]

De plus il faut faire la transparence sur la présentation « conventionnelle » faite par le Cor qui annonce un retour temporaire à l’équilibre et un déficit de l’ordre de 20 milliards € en 2030.

Mais cette présentation oublie le déficit caché des régimes de retraites des agents publics (Etat, collectivité et hôpitaux).

En 2019, il s’élevait à 28,5 milliards d’euros. Ce qui porte le déficit réel du système de retraite à près de 30 milliards d’euros, soit près de 10 % des retraites totales. Ce chiffre n’est pas exceptionnel, mais bien structurel. Cette situation pourrait d’ailleurs s’aggraver car la démographie des fonctionnaires locaux sera très défavorable dans les prochaines années avec de très nombreux départs à la retraite. Il y a donc bien urgence à réformer les retraites, en particulier les deux régimes de retraite des fonctionnaires. 

Les arguments démographiques doivent aussi être pris en compte

  • Nous vivons plus longtemps

Face à la baisse du taux de natalité et à l’augmentation de l’espérance de vie, la part de la population âgée de plus de 55 ans va continuer de croitre. Certes la France n’est pas la plus mal placée des pays européens, mais le rapport démographique (cotisants/retraités) est passé de 2,02 en 2000 à 1,67 en 2020 (Insee). Le Cor indique que l’espérance de vie continuera à progresser passant de 19,6 à 22,4 ans (espérance de vie à 65 ans) pour un homme et de 23,4 à 25,2 pour les femmes. Et – bonne nouvelle - l’espérance de vie sans limitation a plutôt diminué.

  • Nous entrons sur le marché du travail de plus en plus tard.

Selon l'Insee, 37% seulement des 15-24 ans sont actifs. Cela est dû à un relèvement de l’âge de scolarité obligatoire, de l’allongement global de la durée d’études et de l’insertion plus difficile sur le marché du travail.  L’âge de fin d’études est passé de 18 à 20 ans entre les générations 1949-53 et 1969-73. Même pour les personnes sans diplôme ou avec le CEP, il est passé de 15 à 17 ans. Ajoutons que la validation d’un trimestre dans le secteur privé ne dépend pas seulement du temps de travail mais du salaire cotisé. En clair, il faut avoir cotisé sur un revenu équivalant à 150 heures de Smic pour valider un trimestre. En matière de retraite, cela se traduit par un nombre de trimestres validés avant 30 ans pour un homme de la génération 1986 de seulement 21,5 trimestres, alors qu’il en validait 45 trimestres en 1950. Pour atteindre une carrière complète il faut donc travailler plus longtemps.

  • Nous devons anticiper le vieillissement de la population active

Le rythme de croissance de la population active a fortement ralenti, passant de +110 000 personnes par an entre 2011 et 2016 puis +70 000 personnes par an entre 2016 et 2021. Les projections de l’Insee prévoient un « pic » de population active en 2040 avec 30,5 millions de personnes occupées avant une décroissance. D’un point de vue concret, cela envoie un signal aux actifs (et à leurs employeurs) qu’ils doivent se préparer à travailler plus longtemps.

  • Nous devons améliorer l'employabilité des seniors

C’est ce qu’on appelle l’effet horizon : une conséquence directe de la législation des retraites sur le marché du travail. Un effet que l'on observe clairement avec la réforme de 2010 : Le recul de l'âge légal grâce à la réforme Woerth, s’est traduit sur le taux d'activité qui s'est redressé. Le taux d'activité des salariés de 50 à 64 ans était de 47% en 1990, de 57% en 2010 et de 65% en 2017. Le taux d'emploi a également progressé, certes dans des proportions plus limitées : 50% en 2010 et 61,5% en 2017. L'Insee confirme d'ailleurs que ce relèvement n'est pas seulement le fait des professions indépendantes aux règles de liquidation plus strictes que dans le secteur salarié. L'augmentation du taux d'emploi entre 2007 et 2017 est observable aussi chez les ouvriers, employés et professions intermédiaires.

La France en retard sur la question de l'âge au niveau européen

Avec un âge légal de départ à la retraite qui reste encore fixé à 62 ans, la France reste très en deçà des curseurs en place dans les autres pays. De plus, de nombreux pays ont déjà prévu de reculer l’âge au-delà des 65 ans communément observés pour assurer l’équilibre financier des régimes. Sans surprise cela se traduit par un poids des dépenses de pension bien supérieur à ce que l’on observe dans les pays de l’OCDE, presque 15% en y incluant les pensions d’invalidité. La France accuse la 3e place des pays européens derrière l’Italie et la Grèce.


[1] y compris coefficient de solidarité à l’ARRCO