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Retraites : la réforme ne permettra pas de générer les économies nécessaires

La Première Ministre a enfin présenté la réforme des retraites, attendue depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron. Présentée comme une réforme de « justice, d'équilibre et de progrès » elle s’appuie avant tout sur des mesures paramétriques d’âge pour faire revenir le solde des régimes de retraite à l’équilibre en 2027 et effacer ainsi un déficit anticipé de 12,4 Mds € en 2027 et 13,5 Mds en 2030. Ces prévisions de déficits construites à partir d’une hypothèse de plein emploi (4,5% de chômage) pourraient cependant être pires et les mesures apportées insuffisantes. En reportant l’âge à 64 ans et en allongeant la durée de cotisation à 173 trimestres, le gouvernement se prive d’utiliser un levier plus puissant, le report de l’âge à 65 ans qui lui aurait permis plus d’économies. La preuve en est que le gouvernement compte équilibrer les comptes en transférant une part des cotisations accidents du travail à l’assurance vieillesse.

De plus, les estimations de déficit sur lesquelles sont basées le projet de loi passent sous silence le déficit structurel des régimes de retraite des fonctionnaires, estimé à près de 30 Mds€. C’est l’autre faiblesse de cette réforme qui n’aligne pas les régimes de retraite des fonctionnaires sur ceux des salariés du privé, ni même ne met en place une caisse de retraite pour les fonctionnaires d’Etat qui permettrait au minimum de faire connaître le déficit de ce régime. Quant aux autres régimes spéciaux, leur fermeture ne permettra pas d’économies avant 40 ans.

On peut également se demander si certains droits nouveaux notamment la retraite progressive ont été correctement calibrés, surtout si l’accès à la retraite progressive est facilité en inversant la charge de la preuve au bénéfice du salarié. D'ailleurs, le projet de loi aménage des droits supplémentaires : pénibilité, retraite progressive, cumul emploi retraite tout en maintenant un certain nombre de dispositifs actuels (notamment catégories actives dans la fonction publique). Cette multiplicité de mesures dérogatoires paraît contradictoire avec la volonté affichée d’augmenter le taux d’emploi des seniors.

La Première Ministre vient de présenter la réforme des retraites promise par Emmanuel Macron, pendant la campagne du printemps dernier, et qui doit effacer l’échec de la réforme systémique annoncée lors de son premier mandat. Cette réforme qui sera présentée en Conseil des ministres le 23 janvier prochain prévoit les principales mesures suivantes :

Le report de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans au rythme de 3 mois par an pour atteindre 64 ans en 2030. La première génération concernée sera 1961. En parallèle, la durée de cotisation est portée de 168 trimestres actuellement à 172 trimestres en 2027, soit un allongement de 3 mois tous les ans au lieu de 3 mois tous les 3 ans, rythme prévu par la réforme de 2014 dite Touraine. Là aussi la première génération concernée est la génération 1961, la durée de cotisation à 172 trimestres concernera en premier la génération 1965. Le gouvernement prévoit que ces deux mesures permettront 10,3 Mds € d’économies en 2027 et 17,7 Mds € en 2030. Le report de l’âge et l’allongement de la durée de cotisation s’appliquera de la même façon à l’ensemble des régimes mais avec un décalage pour tenir compte du fait que les principaux régimes spéciaux des ex-entreprises publiques n’ont pas encore rattrapés la durée de cotisation applicable dans le privé.

L’exécutif part d’un constat de déficit des systèmes de retraite de 12,4 Mds € en 2027 et de 13,5 Mds € en 2030. Cette estimation est toutefois extrêmement optimiste puisqu’elle repose sur un scénario de chiffrage à 4,5% de chômage à moyen long terme. On peut donc se demander si ces mesures seront belles et bien suffisantes. On n’atteint pas l’effet d’un report de l’âge légal à 65 ans, mesure initialement prévue par le gouvernement, qui est de 17,6 milliards en 2030, 26,6 milliards en 2035. Et l'âge d’annulation de la décote restera 67 ans, quelle que soit la durée de cotisation.

D’autant que l’exécutif prévoit d’aménager un certain nombre de dispositifs qui représenteront des coûts supplémentaires à financer par le système de retraite :

Le dispositif carrières longues est maintenu mais les bornes d’âge seront décalées de deux ans passage de 60 à 62 ans pour les personnes ayant travaillé 5 trimestres avant l’âge de 20 ans. Les personnes qui auront eu des carrières « très longues » pourront elles partir à 60 ans au lieu de 64 ans (durée de cotisation de 173 trimestres et début de carrière entre 16 et 18 ans), voire à 58 (début de carrière avant 16 ans).

Les trimestres au titre de l’AVPF ou du congé parental seront inclus dans le calcul des trimestres pour carrières longues (dans la limite de 4). Les trimestres pour le TUC « travaux d’utilité collective » également. Le coût est estimé à 0,4 Md € en 2027 et 0,6 Md € en 2030. Les autres motifs de départs anticipés sont également maintenus à 62 ans (inaptitude, handicap, invalidité, catégories actives). Le coût estimé est de 1,7 Md € en 2027 et 3,1 Mds € en 2030.

S’agissant de la pénibilité, le projet de loi abaisse les seuils d’exposition aux principaux facteurs de pénibilité et augmente le nombre de points prévus pour la polyexposition. Le gouvernement met en place un fonds d’1 Md € de prévention de la pénibilité pour financer des actions de formation et de reconversion. Le gouvernement souhaite également renforcer le suivi médical des salariés âgés de 45 ans et plus exerçant des métiers pénibles pour permettre un éventuel départ anticipé. Cette dernière mesure devrait coûter 200 M€ en 2027 et 300 M€ en 2030. Le gouvernement affiche sa volonté de transférer une partie des cotisations AT-MP vers le régime d’assurance vieillesse pour financer ces mesures.

Le projet de réforme annonce la fermeture des régimes spéciaux sauf les régimes autonomes (professions libérales et avocats) et ceux répondant à des sujétions spécifiques (marins, Opéra de Paris, Comédie Française). Les nouveaux embauchés seront affiliés au régime général. A noter que c’est déjà ainsi que fonctionne le régime spécial de la SNCF fermé depuis la réforme de ferroviaire de 2018. Les nouveaux embauchés sont soumis au régime du privé pour les retraites depuis 2020. Cette fermeture des régimes spéciaux ne génère pas d’économies avant très longtemps, uniquement quand les personnes concernées partiront en retraite.

Les fonctionnaires seront concernés par le report de l’âge et l’allongement de la durée de cotisations mais le gouvernement n’envisage pas de toucher au mode de calcul des retraites des fonctionnaires ni de remettre en cause les catégories actives. Les bornes d’âge pour les catégories actives seront décalées de 2 ans également mais la durée de service requise pour bénéficier du dispositif ne sera pas modifiée (15 ans).

Engagement de campagne d’Emmanuel Macron : porter la pension minimale pour une carrière complète soit 85% du Smic, à 1200 €. Si initialement cette mesure doit être appliquée aux seuls nouveaux retraités, la discussion parlementaire devrait voir le dispositif étendu à l’ensemble des retraités (justifiant d’une carrière complète). Le coût de la mesure pour les nouveaux retraités pourrait s’élever jusqu’à 2,5 milliards € si elle concernait l’ensemble des retraités. Le coût de cette mesure est estimé à 400 M€ en 2027 et 700 M€ en 2030.

Le texte comporte des mesures favorisant la poursuite d’activité avec une nouvelle formule du cumul emploi-retraite où les trimestres effectués après la liquidation permettent de cumuler des droits complémentaires, contrairement à ce qui était en vigueur depuis 2013. Dans le même esprit, le gouvernement propose de travailler à temps partiel, tout en percevant une fraction de sa retraite. L’État veut en assouplir les conditions dans le privé et le réintroduire dans le public où le dispositif avait été supprimé en 2011. Ces mesures représenteraient 200 M€ de coûts supplémentaires en 2027-2030.

Ces dispositions sont censées encourager le travail des seniors et iront de pair avec une politique de lutte en faveur du travail des seniors d’où la création d’un "index senior" négocié dans chaque branche et publié par les entreprises de plus de 50 salariés. La question des sanctions a été évoquée …

Processus législatif : La réforme qui vient d’être dévoilée sera discutée au Parlement sous la forme d’un PLFSSR 2023. Cette procédure a le double avantage de permettre le vote par 49.3 si une majorité ne parvenait pas à se dégager. Par ailleurs, les députés auront 20 jours ouvrés pour terminer les discussions. Si elles n’ont pas abouti au terme de ce délai, le texte sera envoyé au Sénat sans vote. S’il y a une débauche d’amendements, voire une obstruction à l’avancement de la discussion, le texte passerait alors au Sénat sans vote. La majorité sénatoriale ayant déjà depuis plusieurs années, essayé de faire passer des amendements au PLFSS allant dans le sens de la réforme présentée aujourd’hui, il y a peu de risque que le texte soit bloqué. La loi ira en CMP directement où un accord devrait être trouvé pour un vote mi-mars et une application dès l’été.

Voir le dossier de presse sur le site du Ministère du Travail : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dossier-presse-pour-nos-_retraites-2023-01-10.pdf