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Retraites : des mécanismes d’ajustement automatique pour éviter les débats stériles

Sur fond de journées de grèves et avec des invectives qui commencent à fuser pendant les débats à l’Assemblée nationale, la réforme des retraites tourne à la foire d’empoigne. Une partie des élus a décidé une stratégie d’obstruction par le dépôt de plusieurs milliers d’amendements (20 500 dont 18 000 par les élus de la NUPES). Réformer notre système de retraites doit-il nécessaire se dérouler dans un tel climat ? D’après l’OCDE, il semble qu’une autre solution existe : celle de fixer des règles d’ajustement automatiques des paramètres des pensions… ce qui permet au système de retraite de s’auto-réguler. Pas moins de deux tiers des pays de l’OCDE ont recours à un dispositif de ce type.

Dans son dernier opus sur le panorama des pensions dans les pays de l’OCDE, l’organisme s’interroge sur la manière d’assurer la viabilité financière des régimes de retraite à long terme face au vieillissement démographique et à l’augmentation du rapport retraités-cotisants. L’Ocde explique qu’il y a deux manières de faire : une, discrétionnaire, par le biais d’une action législative régulière à mesure que la situation change. L’autre automatique, en fixant des règles d’ajustement des paramètres des pensions.

Que sont les MAA ou mécanismes d’ajustement automatique ?

Il s’agit de règles prédéfinies qui modifient automatiquement les paramètres de calcul des pensions ou des prestations en fonction de l’évolution d’un indicateur démographique, économique ou financier. Environ les deux tiers des pays de l’OCDE utilisent une forme ou une autre de MAA dans leurs régimes de retraites obligatoires ou quasi obligatoires[1].

Les exemples cités par l’OCDE sont les suivants :

La Suède a mis en place un régime de retraite en comptes notionnels, système où chaque assuré dispose d’un compte personnel alimenté par les cotisations salariales et patronales. Le « capital » constitué est transformé au moment du départ à la retraite en rente viagère, modulée en fonction de son âge de départ et de l’espérance de vie pour chaque génération. Ainsi même si l’âge légal est fixé à 62 ans[2], l’âge moyen de liquidation augmente au fil des générations. Le mode de revalorisation des pensions est directement lié à la croissance du PIB : l'index de revalorisation est calculé de la façon suivante = taux d'inflation + (taux de croissance réelle du revenu par tête - 1,6 %). Enfin, il existe un mécanisme de correction automatique des déséquilibres financiers fondé sur le ratio cotisations à recevoir/engagements de pensions qui corrige le taux de revalorisation du capital notionnel accumulé par les assurés sociaux.

La Finlande ajuste les paramètres sur l’espérance de vie : ainsi, l’âge de la retraite est progressivement repoussé pour atteindre 65 ans pour les personnes nées entre 1962 et 1964 et sera ensuite lié à l’évolution de l’espérance de vie. Le montant de la pension dépend du salaire sur lequel les cotisations ont été versées, du taux d'accroissement (revalorisation du salaire de référence fixé à 1,5%) et de la durée d'assurance. Au moment de liquider la pension, le montant total obtenu tout au long de la carrière est diminué par un coefficient d'espérance de vie. Un mécanisme supplémentaire d’équilibrage ajuste les taux de cotisation si nécessaire.

L’Estonie et l’Italie prennent en compte l’évolution du PIB. En Italie, la réforme de 1995 a introduit un système proche de la « capitalisation virtuelle » à la suédoise, par la création d’un compte individuel pour chaque assuré, financé par une part fixe du salaire. Le capital virtuel est revalorisé selon le taux de croissance moyen du PIB des cinq dernières années. Le calcul inclut aussi un coefficient de transformation, qui augmente avec l’âge mais diminue à mesure que progresse l’espérance de vie. Néanmoins, ce système applicable aux nouveaux entrants en 1996, se superpose avec le système en place préalablement à la réforme. Et l’Italie a ces dernières années contourné temporairement le relèvement de l’âge de la retraite en facilitant la retraite anticipée.

En Allemagne, il existe un facteur de soutenabilité du système de retraite dit facteur « Riester » du nom du ministre allemand qui a eu la charge de la réforme en 2001-2002. Le mécanisme d’équilibrage se base sur le ratio retraités-cotisants. Dans le régime allemand de retraite une année de cotisation donne droit à des points. Lors du départ en retraite, on additionne les points et on multiplie cette somme par la valeur du point qui est revalorisée chaque année en fonction de la hausse des salaires brut. On applique en outre ce facteur de viabilité qui mesure l’évolution du nombre de cotisants par rapport au nombre de retraités.

Au Canada, c’est le mécanisme d’équilibrage qui est original : tous les trois ans, le bureau de l’actuaire en chef préparer un rapport actuariel sur la situation financière du régime de pensions canadien remis au ministre des Finances et aux ministres des Finances des provinces. Ce rapport est remis également au Parlement qui statue sur la nécessité ou non d’ajuster les cotisations pour couvrir les dépenses. Le mécanisme d’équilibrage automatique est déclenché à défaut d’accord sur d’autres interventions possibles.

Quels enseignements en tirer ?

La France ne dispose pas de mesure d’ajustement automatique. En 2003, la loi Fillon sur les retraites avait bien prévu de caler la durée de cotisation sur les 2/3 des gains d’espérance de vie, mais cette règle avait été supprimée de facto avec la réforme de 2010 qui reportait l’âge de la retraite à 62 ans en raison de la dégradation des comptes à la suite de la crise financière de 2008. La règle n’avait pas non plus été réintroduite en 2013-2014 lors des débats autour de la loi Touraine.

On peut noter aussi que l’accord de 2018 intervenu dans les régimes complémentaires Agirc-Arrco prévoit que sur la période triennale 2019-2022, la valeur d’achat du point évolue comme les salaires, mais la valeur de service est calculée selon une formule qui tient compte d’un facteur de soutenabilité « calculé de sorte qu’en pratique la valeur de service du point évolue au moins comme les prix à la consommation ». Autrement dit qui traduit une baisse du rendement du point[3].

Hors ces deux timides tentatives, Il n’existe pas de mesure automatique liée par exemple à l’espérance de vie. Il faut dire que les paramètres automatiques n’ont pas la faveur des responsables publics, gestionnaires des régimes ou responsables syndicaux. Cette situation s’explique par la fragmentation de notre système de retraite entre plusieurs régimes qui fonctionnent selon des paramètres différents. Une mesure d’ajustement automatique imposerait une harmonisation des règles de pilotage des régimes. Or, on sait à quel point les corporatismes empêchent le pilotage unifié des régimes.

La France en passe donc régulièrement par de grandes réformes à l’initiative de l’exécutif, lorsque la situation du système de retraite est acculée à un déficit que les outils classiques de dépannage (affectation de ressources par le biais de taxes supplémentaires, re-paramétrage des règles d’indexation) ne parviennent pas à corriger. C’est à reculons que les principales réformes des retraites sont entreprises depuis 1995. Elles cristallisent la contestation sociale parfois bien au-delà de la question du pilotage du système de retraite. En témoigne aujourd’hui la préoccupation forte dans les cortèges de manifestants autour de la question du pouvoir d’achat.

La France aurait tout à gagner à mettre en place des mécanismes d’ajustement automatique qui protègeraient les régimes de retraite des incertitudes démographiques ou économiques tout en évitant des mesures trop brutales. Comme le résume bien l’Ocde, ces mécanismes « réduisent le coût politique du maintien ou de l’amélioration de la viabilité financière d’un régime de retraite ainsi que le besoin de réformes fréquentes ». Ainsi on peut imaginer qu’à l’instar de ce qui a été fait à l’Agirc-Arrco des paramètres soient fixés pour 3 ans pour l’ensemble des régimes, avec un bilan financier au bout des trois années qui évalue si les paramètres sont conservés, durcis ou levés. Ce qui n’empêche pas des mesures discrétionnaires si le contexte devait se dégrader fortement (ex. de la crise financière de 2008).

Dans ce contexte, il serait propice d’inclure dans la réforme actuellement en négociation un paramètre identique à celui prévu par la loi Fillon de 2003, à savoir une augmentation de la durée de cotisation liée aux gains d’espérance de vie, avec une clause de revoyure tous les 3 ans. En 2003, le principe était de stabiliser le rapport entre temps de travail et temps de retraite avec la mise en place de rendez-vous de suivi pour examiner l'opportunité d'allonger encore la durée de cotisation, en fonction de l'évolution de l'espérance de vie.


[1] D’après l’Ocde, les pays suivants ne sont pas dotés de MAA : Autriche, Belgique, Corée, Espagne, France, Hongrie, Irlande, Israël, Nouvelle‑Zélande, République slovaque, République tchèque, Slovénie, Suisse et Turquie. Certains d’entre eux possèdent toutefois des plans d’ajustement au vieillissement de la population : report progressif de l’âge légal ou allongement de la durée de cotisation comme en France.

[2] Cet âge doit toutefois être reporté à 64 ans en 2026

[3] l’évolution de la valeur de service du point est fixée sur l’inflation, et comme la revalorisation des salaires est généralement plus importante que l’inflation, la valeur d’achat augmente mécaniquement plus vite que la valeur de service