Actualité

Réforme des retraites : les raisons du report

Le Président de la République a pris tout le monde de court en annonçant son intention de reporter la présentation du texte sur les retraites au 10 janvier, alors que la date initiale était prévue le 15 décembre. Plusieurs explications ont été avancées : la coupe du monde de foot, les élections professionnelles ou les renouvellements des états-majors politiques survenus le week-end dernier et la nécessité de poursuivre les discussions avec les partenaires sociaux pour chercher des compromis sur ce dossier chaud.

La question se pose aussi de l’impact de l’évolution des taux d’intérêt de la dette en termes d'urgence de la réforme des retraites. Comme on peut le voir, les déclarations sur les retraites ont oscillé depuis 2 ans entre fermeté et ouverture, l’exécutif semblant toujours chercher des appuis pour faire passer une réforme majeure mais impopulaire, face aux menaces de mobilisation. La réforme des retraites est une réforme structurelle majeure dont la mise en œuvre est sans doute la plus scrutée et la plus attendue du 2d mandat d’Emmanuel Macron... notamment par ceux qui financent la dette française.

Dernier élément d’explication, le manque de pédagogie sur le sujet des retraites. C’est notamment ce qu’a avancé le Haut-commissaire au Plan, François Bayrou dans une déclaration au JDD ce week-end. C’est également ce qu’il mettait en évidence dans une lettre publiée la semaine dernière dans Le Figaro où il s’étonnait du peu de consensus sur la situation réelle de notre système de retraite, malgré le nombre de structures censées évaluer sa solidité (Conseil d’orientation des retraites, Comité de suivi des retraites, France Stratégie) sans compter les rapports spéciaux des commissions parlementaires (finances) de l’Assemblée et du Sénat, la MECSS également à l’Assemblée et au Sénat, la Cour des comptes, le conseil d’analyse économique, la DG Trésor, …

Le Haut-commissaire cite dans sa note deux déclarations de parlementaires mettant en doute l’utilité d’une réforme : « Faire croire qu’une réforme serait urgente parce que nos régimes de retraite seraient en péril, c’est raconter des histoires » (Mme Monique Lubin, sénatrice PS des Landes). « Le COR prévoit un déficit temporaire entre 2022 et 2032, avant un retour à l’équilibre. Il n’y a donc pas de danger sur l’avenir du système » (Mme Laurence Cohen, sénatrice PC (CRCE) du Val-de- Marne). Mais ces sénatrices ne sont pas les seules à discuter l’opportunité d’un recul de l’âge :

  • « L’enjeu des retraites, c’est l’emploi des 55/64 ans, pas le recul de l’âge légal, ni la hausse de la durée de cotisation», Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière. "L'ensemble des organisations syndicales de ce pays, notamment Force ouvrière, ont dit qu'il n'y avait pas de déficit. Le système est équilibré, il n'y a pas lieu de faire une réforme, notamment par le recul de l'âge de départ à la retraite", indique Michel Beaugas, secrétaire confédéral Force ouvrière.
  • « C’est la première fois qu’un gouvernement est aussi faible en arguments » selon Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa. D’abord, il n’y a pas urgence, ensuite, les sommes à trouver ne sont pas si importantes, enfin il y a d’autres solutions. » ; « Vingt euros de plus par mois rapportent 12 milliards d’euros et on peut les partager entre employeur et salarié »
  • «Nous voulons un mix de solutions et que les entreprises soient mises à contribution. » (Suppression de la baisse de certaines charges, le déplafonnement du paiement des cotisations, etc.) a indiqué Cyril Chabanier, président de la CFTC à Elisabeth Borne.
  • "Le gouvernement s’amuse à faire peur aux travailleurs. Il [le Président de la République] dit qu’il n’y a qu’un moyen pour financer tout un tas de politiques qu’il énonce, c’est de travailler plus [pour] tout le monde. Ce qu’ils sont en train d’essayer de faire, c’est un impôt sur les travailleurs", explique Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, invité des "4 Vérités" de France 2. "L’équilibre du régime des retraites n’est pas en danger aujourd’hui comme il l’était en 2010 et 2014", ajoute-t-il. Le syndicaliste indique aussi que le gouvernement truque les chiffres pour justifier cette réforme : "Ils les ont truqués. Ils ont pris des hypothèses sur le chômage et sur l'évolution de la masse salariale, qui sont très contestables. Les hypothèses sur l'allongement de l'espérance de vie ne sont pas conformes à ce qu'on observe depuis huit ans".

Que le constat soit aussi peu partagé à quelques semaines de la présentation du texte en Conseil des ministres puis au Parlement, est inédit. Même en 2014, lorsque JM Ayrault et M. Touraine avaient présenté leur réforme des retraites, ils s’étaient appuyés sur le rapport de Y. Moreau pour établir un diagnostic partagé sur la situation du système de retraites. Idem en 2010 où la réforme a été lancée sur la base d’un rapport du COR mettant en avant l’impact de la crise financière de 2008 sur l’équilibre des systèmes sociaux.

Que s’est-il passé ? Le doute a sans doute germé dans l’esprit des principaux acteurs de la réforme lorsqu’en 2017 Emmanuel Macron inscrit une réforme des retraites systémique écartant toute mesure d’âge sur la base de rapports du COR indiquant qu’il n’y a pas de problème d’équilibre des retraites à long terme (retour à l’équilibre en 2025 dans au moins 3 scénarios sur 5). Un an plus tard, le COR recule la perspective de retour à l’équilibre de 15 ans à 25 ans, et encore, dans 2 scénarios seulement. Un changement de pied qui a sérieusement ébranlé la confiance des observateurs des retraites dans le diagnostic posé par le COR. Un doute qui est aujourd’hui utilisé pour remettre en question toute réforme.

Retraites : retour sur 3 ans de changements de pied de l’exécutif sur ce sujet

1er décembre 2022 : Emmanuel Macron avait semblé lâcher un peu de lest en expliquant que le projet pourrait porter sur un âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Cette possibilité a été écartée le jeudi, lors de l'interview d'Elisabeth Borne dans les colonnes du quotidien Le Parisien. Le décalage de l'âge sera bien progressif, mais jusqu'à 65 ans, à l'horizon 2031. 

26 octobre 2022 : Alors que l'exécutif poursuit ses négociations sur les réformes de retraites, Emmanuel Macron s'est déclaré "ouvert" à un report de l'âge légal de départ à 64 ans, et non 65 ans comme il s'y était engagé lors de la campagne présidentielle, en cas d'allongement de la durée de cotisation.

22 septembre 2022 : Emmanuel Macron a réaffirmé, ce jeudi, sa volonté de réformer le système de retraite. Il laisse le gouvernement à la manœuvre pour lancer la discussion. Le président Emmanuel Macron a estimé jeudi que, sur les retraites, c'est au gouvernement de "trouver la bonne manœuvre" avec le Parlement, réclamant que la réforme se fasse "de la manière la plus apaisée possible". "Le gouvernement doit lancer une discussion avec les forces sociales, syndicales et patronales, avec les forces politiques, et trouver, c'est son travail, avec le Parlement la bonne manœuvre", a assuré le chef de l'État dans un entretien à BFMTV réalisé dans la nuit du mercredi à jeudi.

11 avril 2022 : Lors de son déplacement dans le Pas-de-Calais lundi, le président et candidat à sa réélection, Emmanuel Macron s'est dit prêt à "bouger" sur la réforme des retraites et à "ouvrir la porte" à un report de l'âge de départ à 64 ans, plutôt qu'à 65 ans, "s'il y a trop de tensions" et que cela peut bâtir un consensus". Il s'est également dit "prêt à discuter du rythme et des bornes", estimant qu'une telle réforme ne se ferait pas "du jour au lendemain".

7 avril 2022 : S'il est élu, Macron lancera la réforme des retraites cet automne. Emmanuel Macron souhaite désormais le repousser à 65 ans, tout en supprimant au passage les régimes spéciaux de la RATP, d'EDF et des sénateurs. Pour contrebalancer, il promet une pension minimum de 1.100 euros pour une carrière complète.

10 mars 2022 : Emmanuel Macron propose de reporter l’âge de la retraite à 65 ans s’il est réélu. Tout juste candidat à l’élection présidentielle, le chef de l’Etat sortant veut que les Français travaillent plus longtemps. Le processus devrait s’étaler jusqu’en 2033 avec des dérogations dans plusieurs situations.

De même, lors de sa déclaration de candidature, le 3 mars, dans sa lettre aux Français, le locataire de l’Elysée avait déjà écrit : « Il nous faudra travailler plus et poursuivre la baisse des impôts pesant sur le travail et la production. » Une manière de manifester sa détermination à relancer un chantier qu’il avait suspendu, en mars 2020, du fait de la crise sanitaire, avant d’annoncer son abandon un an et demi après.

9 novembre 2021 : Le président français Emmanuel Macron a déclaré mardi que "les conditions n'étaient pas réunies pour relancer aujourd'hui" la réforme des retraites, l'une de ses promesses de campagne en 2017, citant la priorité donnée à la lutte contre la crise sanitaire.

12 Juillet 2021 : Pour la réforme des retraites, il est aujourd'hui urgent d'attendre. Emmanuel Macron n'a pas formellement enterré lundi soir ce dossier ô combien sensible. « Nous devrons engager, dès que les conditions sanitaires seront réunies, la réforme des retraites », a-t-il dit, répétant vouloir aller vers un système plus juste. Mais il a aussi assuré avoir « entendu les débats » qui ont eu lieu au cours des dernières semaines sur le calendrier de cette réforme.

3 juin 2021 : En déplacement ce jeudi dans le Lot, le chef de l'Etat a déclaré qu'il n'entendait « pas gérer l'été en pente douce ». Il a remis sur la table la question hautement sensible des retraites, soulignant que la réforme ne pouvait « être reprise en l'état », mais laissant clairement entendre qu'il était difficile de ne rien faire.

Été 2020 : Nouvellement nommé, Jean Castex indique que la réforme des retraites sera maintenue. Il réclame un nouvel état des lieux des finances du système de retraite.

Mi-mars 2020 : Le président de la République annonce la suspension des grandes réformes, dans le contexte d'urgence sanitaire.

Début mars 2020 : Le projet de loi sur les retraites est adopté grâce au 49.3.

31 décembre 2019 : Emmanuel Macron, lors de son allocution aux Français, La réforme des retraites "sera menée à son terme" Estimant que si les "décisions prises peuvent parfois heurter, susciter des craintes", "les inquiétudes ne sauraient pousser à l'inaction", sans quoi "nos enfants auront à payer notre renoncement", a avancé le président, soulignant qu'il s'agissait, selon lui, d'un "projet de justice et de progrès social parce qu'il assure l'universalité (...) plus d'équité (...) et repose sur un principe de responsabilité".

Evolution des taux OAT à 10 ans de la France

Source : Banque de France

La question des déficits reste pourtant centrale

Comme l’a expliqué de longue date la Fondation iFRAP, seule une prise de conscience du déséquilibre des régimes de retraite peut convaincre de l’utilité de faire cette réforme. Or aujourd’hui, le solde du déficit de retraite publié par le COR ne représente qu’une partie seulement de la situation financière réelle de notre régime de retraite. Une partie parce que le COR ne prend pas en compte les subventions d’équilibre et les transferts d’impôts versés aux différents régimes spéciaux. Ces subventions et transferts représentent pourtant 12 Mds € qui ne rentrent pas curieusement dans le périmètre du solde des régimes de retraite calculé par le COR.
L’autre explication tient à la notion même de déficit des retraites des fonctionnaires : comme nous l’avons à de nombreuses reprises soulevé, ce déficit étant couvert par une cotisation employeur d’équilibre, il n’est pas connu des Français. Pourtant, selon une méthodologie dévoilée au printemps dernier, il peut être établi que ce déficit des régimes de retraites des agents publics se monte à 30 Mds € (2020).

La situation est donc loin d’être à l’équilibre et justifie le recul de l’âge de la retraite au rythme de 4 mois par an pour atteindre 65 ans en 2031 et nous mettre à niveau de nos voisins européens. La solution d’augmenter les cotisations est irréaliste dans le contexte actuel de tension sur le pouvoir d’achat et compte tenu de la fiscalité qui pèse sur les entreprises françaises. L’exécutif doit mettre à profit le délai supplémentaire de discussion sur la réforme des retraites pour faire connaître à tous les Français ces chiffres.