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Quelle place pour le régime des professions libérales dans le futur système de retraites ?

Interview de Monique Durand, Présidente de la Caisse de retraite des pharmaciens (CAVP) et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL)

Dans cet échange, la Présidente de la Caisse de retraite des pharmaciens (CAVP) et Présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), nous parle de la place des professions libérales dans la future réforme des retraites : comment les 10 régimes complémentaires professionnels seront-ils intégrés dans la réforme ? Quel sera le taux de cotisation appliqué aux libéraux ? Quel sera le sort réservé aux réserves accumulées par ces régimes ?

Pourriez-vous présenter le régime des professions libérales et plus particulièrement celui des pharmaciens ? Quelles sont ses caractéristiques ? 

Depuis 1948, la loi reconnaît aux professionnels libéraux la possibilité de confier la gestion de leur retraite à des structures adaptées à leurs spécificités, permettant une gestion plus proche des affiliés et dont la gouvernance est assurée par les professions libérales elles-mêmes puisque les administrateurs sont élus par leurs confrères cotisants et retraités comme eux.

Les caisses professionnelles ainsi créées au sein de l’Organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales sont dotées de l’autonomie financière. Tous les professionnels libéraux bénéficient d’un régime de base fonctionnant par points, géré par la CNAVPL et unifié en 2004, qui repose sur un principe similaire à celui du futur régime universel selon lequel, pour un même revenu, la cotisation et les droits sont identiques quelle que soit la profession exercée.

La cotisation est calculée sur deux tranches de revenu, au taux de 8,23 % jusqu’au plafond annuel de la Sécurité sociale et de 1,87 % jusqu’à 5 fois le PASS. Au-delà de ce socle commun, chaque profession a mis en place son propre régime complémentaire administré par un organisme dédié.

La retraite des pharmaciens libéraux officinaux et biologistes est confiée à la CAVP qui est également gestionnaire par délégation du régime de base de la CNAVPL (pour le compte des pharmaciens), d’un régime de retraite sur-complémentaire spécifique aux biologistes et d’un régime de prévoyance couvrant les risques invalidité et décès.

Le régime de retraite complémentaire des pharmaciens présente la particularité de comporter un volet fonctionnant par répartition (cotisation forfaitaire fixée à 5 680 euros en 2018) auquel s’ajoute un second volet, géré par capitalisation, dont les cotisations s’échelonnent de 2 272 euros à 13 632 euros en fonction du revenu.

La CAVP compte 32 000 cotisants, 22 000 retraités de droits directs et 6 000 ayants droit. Avant 2015, chaque pharmacien pouvait cotiser dans la classe de son choix pour améliorer sa retraite. Il est à noter que depuis leur création, les caisses de retraite des professions libérales n’ont jamais demandé un centime à la collectivité nationale pour équilibrer leurs régimes complémentaires malgré une démographie parfois très dégradée, et qu’elles se sont dotées de réserves prudentielles pour faire face aux déséquilibres démographiques.

Quelle est la place du régime en capitalisation ?

Le régime par capitalisation fait partie intégrante du régime complémentaire des pharmaciens depuis sa mise en place en 1962.

Dès la fin des années 1950, les administrateurs de la CAVP ont pris conscience de la nécessité de proposer à leurs confrères, sans le leur imposer, un régime capable de résister aux déséquilibres démographiques, offrant de larges possibilités de moduler leurs versements pour tenir compte de leurs priorités et de leur capacité contributive.

Il est important de rappeler que ce régime a été imaginé dès l’origine comme devant se substituer à la montée en charge du régime complémentaire par répartition. A la demande de l’Etat pour se conformer aux textes européens et en accord avec la profession pour pallier les difficultés croissantes de cession des officines, ce dispositif est devenu obligatoire en 2009 pour l’ensemble des pharmaciens libéraux. Ce régime fonctionne à la manière d’un fonds de pension, ce qui en fait une exception dans le paysage de la retraite française.

Les droits sont exprimés en euros et le régime par capitalisation totalisait 7 milliards d’euros d’encours au 31/12/2017. Il finance aujourd’hui une part significative des prestations servies aux pharmaciens retraités. Son rôle est donc déterminant dans la couverture sociale de la profession.

Quelle place pour le régime des professions libérales dans le futur régime universel ? Pensez-vous qu'il peut s'intégrer dans un régime universel général ? Ou bien faut-il adosser les régimes des non-salariés entre eux (professions libérales, chefs d'exploitation agricole, indépendants, autres comme les avocats, ...) ?

Tout d’abord, il paraît acquis que le régime de base des professions libérales sera intégré dans le futur régime universel. Les caisses libérales participeront donc à la mise en place du nouveau système et leurs affiliés cotiseront et acquerront des droits dans le régime universel comme l’ensemble des Français.

Sans remettre en cause l’esprit de la réforme, la retraite complémentaire des professions libérales doit faire l’objet d’une approche particulière. Il ne s’agit pas de demander un traitement de faveur, mais d’obtenir la reconnaissance des spécificités liées à l’exercice libéral. Parmi celles-ci, on peut citer l’acquisition de l’outil de travail ou la déconnexion pouvant exister entre l’assiette de calcul des prélèvements sociaux et la trésorerie effectivement disponible. Il s’agit là de différences importantes avec la situation des salariés ou des agents de la fonction publique que les promoteurs de la réforme ne peuvent ignorer. Toutes les formes d’activité ne sont pas assimilables et fongibles dans un régime unique.

Des collaborations entre régimes des non-salariés peuvent naturellement être étudiées en s’appuyant sur les caractéristiques communes aux différentes professions, mais ces chantiers ne pourront être ouverts que dans le respect des particularités de chaque métier. Si des rapprochements devaient être envisagés, la question des réserves constituées par chaque organisme devrait être traitée de façon juste et équitable pour éviter que certaines professions aient le sentiment d’être spoliées.

Enfin, il est important de rappeler que les Libéraux sont très attachés à l’autonomie de gestion de leurs caisses de retraite et que l’acceptabilité des prélèvements comme la réussite des réformes entreprises jusqu’à ce jour reposent en grande partie sur la confiance inspirée par les règles de gouvernance actuelles de nos régimes.

Pensez-vous qu'il y a un risque d'alignement des taux de cotisation entre salariés et non-salariés ? Pourquoi y êtes-vous opposés ?

Cette question rejoint le point précédent. Il n’est pas concevable que les Libéraux se voient appliquer un niveau de prélèvement équivalent à la somme de la part salariale et de la part patronale des régimes des salariés du secteur privé, même à l’issue d’une période de transition longue.

En effet, dans cette hypothèse, les Libéraux devraient consacrer jusqu’à 28 % de leurs revenus professionnels pour la couverture du seul risque vieillesse, et ceci sans aucune possibilité de moduler leurs versements pour tenir compte de leurs revenus réels ! Une telle ponction sur les entreprises libérales n’est pas supportable.

Le président de la République a lui-même indiqué à plusieurs reprises que la réforme ne devait pas fragiliser le tissu économique en mettant en difficulté les travailleurs indépendants. Nous serons donc extrêmement attentifs aux modalités de la « convergence » des cotisations à laquelle les pouvoirs publics font régulièrement référence dans le cadre de nos échanges. Malgré la logique d’intégration verticale des régimes privilégiée à ce stade, il serait incohérent que la réforme conduise à une disparition pure et simple des régimes complémentaires professionnels. Dans un tel cas de figure, la France serait le seul pays européen dans lequel le maintien d’un deuxième pilier adapté aux spécificités de chaque groupe professionnel ne serait pas admis. La mise en place d’un régime « unique » et pas simplement « universel » serait contradictoire avec nos engagements européens.

Quelles sont les perspectives pour la profession et quelle est la solidité du régime face à une baisse éventuelle du nombre d'officines ? Pensez-vous qu'il faut maintenir un système de solidarité entre les régimes professionnels ?

Nous avons anticipé de longue date la fermeture de nombreuses officines et la diminution rapide du nombre de biologistes en activité également affiliés à la CAVP. Les événements nous donnent malheureusement raison. Nous estimons néanmoins que le maintien d’un maillage territorial tenant compte des besoins de la population conduira à une stabilisation des effectifs. De même, les orientations économiques de la majorité actuelle nous semblent de nature à favoriser la création d’entreprises et l’initiative individuelle.

Comme les autres caisses de professions libérales, la CAVP a pris ses responsabilités en constituant des réserves atteignant 1,3 milliard d’euros au 31/12/2017 - au prix d’une hausse régulière des cotisations et d’une modération de la revalorisation des pensions - pour être en capacité de couvrir les déficits techniques attendus. Selon les projections les plus récentes, le régime complémentaire par répartition des pharmaciens dispose de réserves permettant de financer les retraites au-delà de 2040, sans modifier les paramètres techniques actuels.

A l’heure de la mise en place du régime universel, il serait inacceptable que les réserves accumulées par les organismes les plus prévoyants soient reversées dans un pot commun et utilisées pour combler les déficits de régimes qui n’ont pas fait les efforts de restructuration nécessaires et sans y être contraints par les pouvoirs publics. Ces réserves appartiennent aux pharmaciens libéraux qui les ont constituées : elles doivent être exclusivement affectées au financement de leur retraite et de leur couverture prévoyance professionnelles.