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Le Pen – Macron : ce qu’ils proposent pour les retraites

Quel que soit le président issu des urnes, le sujet des retraites devrait être bouleversé dans la prochaine mandature. Chacun des programmes présente une transformation importante de notre système de retraites : Marine Le Pen propose de revenir à la retraite à 60 ans ; Emmanuel Macron veut créer un régime de retraites universel. Leur point commun est de ne pas vouloir réaliser d’économies sur les retraites obligatoires. En apparence seulement. Car si la candidate du FN va créer des engagements supplémentaires, le candidat d’En Marche devrait simplifier l’organisation complexe de notre système de retraites et, on l’espère, économiser ainsi sur les frais de gestion. Il devrait surtout pousser les actifs à reculer leur âge de départ à la retraite avec le « coefficient de conversion des droits accumulés en fonction de l’âge de départ et de l’année de naissance ». Ce coefficient devrait permettre de maintenir à l’équilibre le système de retraites, alors que selon le dernier rapport de juin 2016 du COR celui-ci pourrait repasser dans le rouge dès 2020 dans l’hypothèse d’un scénario avec une croissance/productivité inférieure à 1,3% et que les nouvelles projections démographiques de l’INSEE anticipent une dégradation de l’équilibre démographique à partir de 2040.

Analyse des propositions de Marine Le Pen

C’est dans ce contexte démographique très défavorable que Marine Le Pen propose de revenir à la retraite à 60 ans. Une proposition qui selon les hypothèses retenues pourraient coûter entre 18 et 40 milliards d’euros. Notons qu’elle envisage une augmentation du minimum vieillesse de 20% soit une dépense supplémentaire de 700 millions. Ainsi que des mesures en faveur des retraites des mères de familles nombreuses. Pour sa mesure phare, la candidate envisage un coût un peu inférieur à notre estimation (17 milliards). Elle espère financer cette mesure par des économies grâce à ses positions sur l’Europe et l’immigration[1]. Elle escompte également un retour de la croissance et envisage de compléter ce financement en fiscalisant davantage les revenus du capital.

Le 2 mai la candidate a déclaré qu'elle voulait d'abord "mettre en oeuvre le retour à l'emploi" pour pouvoir financer la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation, qui interviendrait "probablement à la fin du quinquennat".

Proposition de Marine Le Pen

1. Abaissement de l'âge de la retraite pour les mères ayant élevé au moins trois enfants ou ayant élevé un enfant handicapé. L'objectif doit être fixé de revenir le plus rapidement possible au principe de 40 annuités de cotisation pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein.

2. Fixer l'âge légal de la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation pour percevoir une retraite pleine : pour les travailleurs ayant débuté leur activité professionnelle précocement, des négociations par branche et par secteur détermineront les modalités d'une possible dérogation à cette règle des 60 ans. Un calendrier devrait donc être défini et ajusté en permanence, en fonction de la situation financière de la Nation.

3. Elargir l'assiette du financement des retraites aux revenus du capital pour financer notamment l'ensemble des prestations qui relèvent du principe de solidarité nationale et non du principe d'assurance : minimum vieillesse, bonifications pour enfants, cotisations du salaire parental, etc.

Notre analyse sur la proposition de Marine Le Pen, nous l’avons détaillé dans une note spécifique, aurait un coût global de 18 milliards d’euros. Le calcul serait sans doute à affiner car on ne tient pas compte des droits dérivés. Bref : 18 milliards par an est une hypothèse assez conservatoire d'autant que, mais là la position n’est pas très claire, l'objectif serait également de revenir aux 40 annuités.

Les propositions de Marine Le Pen risquent bien d’être infinançables si la sortie de l’euro fait sombrer l’économie française et fuir les capitaux à l’étranger. Il faudrait alors envisager une hausse des cotisations (contradictoire avec une politique de baisse des charges, en tout cas de pérennisation du CICE, comme prévu dans son programme) ou une baisse des pensions. En outre, cette mesure suppose que les actifs sont des pions interchangeables et qu’un retraité peut être remplacé poste pour poste par un chômeur. Ce qui n’est pas le cas et ne s’est d’ailleurs pas vérifié lorsque, par le passé, on a pratiqué les préretraites massives à 55 ans au motif que l’on pourrait ainsi libérer des postes pour les plus jeunes. Cette vision d’un marché du travail figé à se partager entre actifs, empoisonne notre politique économique depuis trop d’années.

Analyse des propositions d’Emmanuel Macron

S’il s’abstient de citer un quelconque modèle à la réforme qu’il présente, la description du système de retraites que le candidat Emmanuel Macron présente, ressemble à ce que la Suède a mis en place dans les années 90 (Voir sur notre site la note sur le sujet).

La réforme suédoise est de faire converger tous les systèmes vers un système unique sous forme d’une retraite par points par répartition, complété par une part de retraite en capitalisation. Pour y parvenir, les Suédois ont mis 15 ans, il n’est donc pas trop tôt pour commencer. La négociation a apporté de nombreux points positifs au système de retraite suédois :

  • Un système de base unique obligatoire pour tous, secteurs public et privé,
  • Une retraite par répartition prenant en compte l’ensemble de la carrière,
  • A cotisation définie au taux de 16 %,
  • Montant de la retraite calculé en fonction des montants accumulés et de l’espérance de vie de la génération,
  • Indexation fonction de l’inflation et de la croissance du PIB,
  • Un complément de capitalisation individuelle au taux de 2,5 %,
  • Libre choix du fonds de pension, sortie en rente,
  • Un niveau de retraite minimum garanti.

La principale conséquence de la réforme suédoise a été de parvenir à équilibrer le régime par un report continu de l’âge effectif de départ à la retraite. C’est donc probablement pour cela qu’Emmanuel Macron ne se prononce pas pour un report de l’âge qui interviendra de toute façon.

Sur le site d’En Marche !, on lit : « Les cotisations, aux régimes de base comme aux régimes complémentaires, qu’elles soient versées sur les bases de revenus ou acquises au titre de la solidarité (pour les chômeurs par exemple) seront inscrites sur un compte individuel et revalorisées chaque année selon la croissance des salaires. Ainsi, chaque euro cotisé accroîtra de la même manière la pension future, quel que soit le statut du travailleur et l'origine de cette cotisation.

Le total des droits accumulés sera converti au moment de la retraite en une pension, à l’aide d’un coefficient de conversion fonction de l’âge de départ et de l’année de naissance. L’allongement de l’espérance de vie est donc pris en compte en continu, au fil des générations : plus besoin de réformes successives, qui changent les règles et sont anxiogènes et source d’incertitude. Dans la durée, la réforme aura bien un effet financier en garantissant un équilibre sur le long terme. »

Donc si Emmnuel Macron ne prévoit pas de tirer de quelconques économies de ses propositions en matière de retraites, il estime que son programme a bien un effet financier. Par ailleurs, comme Marine Le Pen, il a prévu une revalorisation du minimum vieillesse anticipé à 100 millions d’euros.

« Cette réforme ne changera rien aux conditions de départ à la retraite de ceux qui sont à moins de cinq ans de la retraite et qui l'ont donc déjà planifiée. Pour les autres, ceux qui ont au moins cinq ans d'activité devant eux, la transition sera progressive, sur une période d’environ 10 ans. »

Sur son site il est indiqué : « Les travaux du Conseil d’Orientation des Retraites, qui font référence, le montrent : pour la première fois depuis des décennies, les perspectives financières permettent d'envisager l'avenir avec « une sérénité raisonnable » selon le Comité de Suivi des Retraites. L’enjeu aujourd'hui n’est donc pas de repousser l’âge ou d'augmenter la durée de cotisation. » Cette sérénité mérite quand même d’être relativisée : si l’équilibre des systèmes de retraite est possible c’est parce que l’âge moyen des départs en retraites va augmenter, que le taux de cotisation global va se stabiliser à un niveau élevé de 30% et qu’en contrepartie les Français verront une baisse de leur taux de remplacement et ce, quel que soit le scénario économique (particulièrement dans un contexte de redémarrage de la croissance compte tenu des règles d’indexation). Autant d’hypothèses qui sont des enjeux à part entière.

Si le taux de remplacement doit baisser, il sera bon d’encourager la constitution d’une épargne retraite supplémentaire. Sur le sujet Emmanuel Macron veut encourager les retraites professionnelles supplémentaires. Mais les actifs ne pourront financer des régimes supplémentaires en plus des régimes actuels obligatoires par répartition. Il faut donc trouver une solution pour leur redonner les moyens d’investir.

Le projet d’Emmanuel Macron de mettre en place un régime universel avec des règles communes de calcul des pensions pourrait être un moyen d’y parvenir même si ce n’est pas une mince affaire et que le sujet est sur le table depuis plusieurs années.

Propositions d’Emmanuel Macron

Pour un système de retraite plus simple : les différents régimes doivent être rapprochés en quelques années afin de construire progressivement un régime universel de retraite. La retraite ne devrait pas, à terme, dépendre du statut du travailleur mais de la réalité de son travail.

1. Mise à jour du 24 avril : Le système restera un régime par répartition. Les cotisations d'aujourd'hui ne seront pas investies en actifs financiers, comme dans les systèmes par capitalisation, mais elles paieront les retraites d'aujourd'hui.

2. Mettre les régimes de retraite professionnels au service du financement : sur les 130 milliards d'euros que représentent ces régimes, 15 à 20 milliards d'euros pourraient être réorientés vers le financement de l'économie réelle, et donc vers la création d'emplois et d'activités économiques (fonds de pension à la française).

3. Construire un régime universel de retraite indépendant du statut (salarié, indépendant ou fonctionnaire). Un système universel avec des règles communes de calcul des pensions sera progressivement mis en place. Le fait de changer d'activité ou de secteur sera sans effet sur les droits à la retraite. Avec un principe d'égalité : pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous.

Mise à jour du 24 avril : Les règles de base seront les mêmes pour tous, mais les taux de cotisation ou les conditions d'âge pourront différer, en raison notamment des caractéristiques des métiers. Les taux de cotisation pourront rester différents. Par exemple, les indépendants pourront continuer à cotiser moins que les salariés et à avoir en conséquence une pension de retraite moindre : ils ont souvent constitué, en parallèle, une épargne qui peut être par exemple leur fonds de commerce, qui servira à leur assurer un revenu.

On comprend bien que le candidat d’En Marche ! ne va pas rentrer dans le détail des régimes qui, selon la règle « chaque euro cotisé accroîtra de la même façon la pension future », seront des gagnants ou perdants. Mais on sait déjà qu’il existe des différences de « rendement » entre régimes : entre l’Ircantec et les retraites complémentaires, entre le régime général et le régime de la fonction publique (par ex. entre deux enseignants, un du public et un du privé), entre les régimes des indépendants et ceux de salariés (même si Emmanuel Macron a évoqué ce point en suggérant qu’il pourrait subsister un régime indépendant avec des cotisations inférieures et donc une pension moindre). Toute la question est donc de savoir quel rendement final sera adopté et si l’on alignera par le haut la valeur de ce point cotisé.

Autre sujet que le candidat n’aborde pas, ce sont les économies de gestion qui pourront être tirées de cette nouvelle organisation en fusionnant les régimes (37 aujourd’hui). Dans notre étude de 2014, nous citions le coût très élevé de gestion du secteur des retraites : ce coût en % des prestations versées s’élève à 1,92% en France contre 1,19% dans la moyenne de l’Union européenne. Il est 0,67% en Espagne ou au Royaume-Uni, de 0,72% en Suède, de 1,23% en Allemagne. 1,92% cela signifie 5 milliards de frais de gestion pour les retraites. S’aligner sur le coût de gestion de la Suède ce serait permettre 3 milliards d’euros d’économies. D’autant qu’un seul régime facilite le pilotage des régimes, et notamment la maîtrise des dépenses, même si ce n’est pas la priorité du candidat. L’unification des régimes à la suédoise, peut paraître utopique mais c’était pourtant noir sur blanc le projet de la Sécurité sociale d’après-guerre. Sauf que…  de nombreux régimes ont voulu échapper à la réunification et constituer les régimes spéciaux que nous comptons encore aujourd’hui.

Dernier point qui mérite d’être souligné, sur son site, Emmanuel Macron, indique :

  • Les spécificités de certains régimes ne disparaîtront pas.

Les règles de base seront les mêmes pour tous, mais les taux de cotisation ou les conditions d'âge pourront différer, en raison notamment des caractéristiques des métiers.

  • La pénibilité sera toujours prise en compte.

Rappelons tout d’abord que les Suédois n’ont pas mis en place de système spécifique de prise en compte de la pénibilité dans leur système de retraites. Dans son rapport de 2009, le sénateur Vasselle qui avait réalisé une mission d’information sur la réforme suédoise des retraites le souligne :

« Interrogées sur ce point, les autorités suédoises rencontrées par la Mecss ont unanimement fait part de leur refus de principe de la prise en compte de la pénibilité, mettant en avant trois arguments principaux :

  • l’idée que des métiers autrefois pénibles ne le sont plus aujourd’hui ;
  • le refus de distinguer les assurés sociaux entre eux, au nom du principe même de solidarité ;
  • le risque de pénaliser les femmes, si l’on en venait à utiliser comme critère d’évaluation l’espérance de vie à soixante ans ou soixante-cinq ans, en fonction des sexes. Aujourd’hui, les coefficients de conversion sont en effet calculés sur la base de l’ensemble de la population, hommes et femmes indifférenciés. Or, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, ce qui pourrait conduire ces derniers à revendiquer un départ en retraite plus précoce pour compenser leur désavantage. »

Si malgré tout, le candidat d’En Marche ! devait moduler les âges ou les taux de cotisation en fonction des métiers, alors l’effet de la réforme serait considérablement amoindri, et une discrimination serait de fait introduite entre des individus de même génération qui ne se verrait pas attribuer les mêmes droits à la retraite. Si les Suédois sont aussi intransigeants sur le sujet, c’est qu’ils ont une politique de formation tout au long de la vie. Sur ce sujet Emmanuel Macron veut investir 15 milliards d’euros sur le quinquennat en faveur de la formation. Il pourra donc s’en prévaloir face aux syndicats qui tenteront de faire perdurer les régimes spéciaux dans la négociation.


[1] Le Front National estime lui-même à 17 milliards d'euros la somme nécessaire pour parvenir à ce rétablissement de la retraite à 60 ans. Aujourd'hui, par exemple, cela concernerait un demi-million de personnes. Une somme importante que le FN propose, pour la trouver, de tabler une nouvelle fois sur des économies sur l'immigration et sur l'Union européenne. Mais Marine Le Pen le reconnaît, une croissance forte est le seul moyen d'y parvenir. RTL Présidentielles 2017