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Le Haut Conseil des finances publiques incapable de chiffrer l’impact de la réforme des retraites

L’avis que vient de rendre le Haut Conseil des finances publiques relatif au projet de loi de finances rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 portant sur la réforme des retraites est révélateur : « Compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques». Le Haut Conseil n'est capable de ne fournir qu'une évaluation partielle de l'impact pour 2023 et est incapable d'en fournir une jusqu'en 2027, voire 2030. Une illustration de la faiblesse des pouvoirs de contre-chiffrage du Haut Conseil liée au manque de transparence de l'administration et au fait qu'en contravention des règles européennes, la France n'a pas adopté de loi de programmation des finances publiques 2023-2027.

Le HCFP n’est pas en mesure véritablement d’évaluer l’impact du projet de loi pour 2023

Le HCFP note que le relèvement de trois mois de l’âge légal de départ en retraite à partir du 1er septembre 2023 devrait conduire au décalage de départ en retraite d’environ 50.000 personnes. Ce qui entraînerait une baisse des dépenses de 200 millions d’euros en 2023. Mais cet élément positif pour les finances publiques à très court terme serait contrebalancé par une augmentation des dépenses publiques de 600 millions d’euros. Il en résulterait alors un impact net sur les finances publiques de +400 millions d’euros en dépenses. Ces 600 millions d’euros de dépenses supplémentaires résulteraient :

  • D’une hausse annoncée du minimum contributif « dont les conditions précises restent toutefois à déterminer » et dont le coût net a été provisionné à hauteur de +400 millions d’euros ;
  • De mesures d’accompagnement s’agissant de la pénibilité et de l’usure professionnelle pour 100 millions d’euros ;
  • De mesures en faveur des transitions emploi-retraite (+100 millions d’euros) ;

Ce coût limité résultant du fait que « la réforme ne devrait pas (…) entraîner de hausse significative en 2023 des dépenses d’autres prestations » dont les pensions d’invalidité ou l’AAH car le maintien de l’âge de départ légal à 62 ans pour les personnes inaptes ou invalides a été maintenu.

Par ailleurs comme le relève le HCFP « la réforme doit entraîner des recettes supplémentaires » du simple fait du maintien dans l’emploi de personnes qui seraient sinon parties à la retraite sans réforme entre septembre et décembre 2023. Mais aucun chiffrage à l’appui n’a été fourni au Haut Conseil. Cependant le Haut Conseil estime que « celles-ci devraient être faibles, là aussi en raison de l’application de la réforme à partir du 1er septembre 2023. » L’étude d’impact[1] fournie en appui du projet de loi ne fournit aucun chiffrage direct en matière de recettes supplémentaires tout en constant qu’à l’aune de 2027 et de 2030 la mesure aurait un impact de 0,3 point sur le taux d’emploi en 2027 et de 0,5 point en 2030, permettant un surcroît en termes de PIB de respectivement +0,7% en 2027 et de +1,1% en 2030. Mais rien pour la courte période 2023-2024.

En réalité le total des dépenses nettes est plus faible puisqu’au 180 millions d’économies sur la branche vieillesse (champ du ROBSS), s’ajoutent près de 90 millions d’économies réalisés sur les pensions de l’Etat et sur les régimes complémentaires.

Organismes impactés

Impact financier en droits constatés (en Md€)

ROBSS dont :

2023

2024

2025

2026

Vieillesse

0,18

2,12

3,38

4,88

Etat

0,02

0,28

0,45

0,53

Régimes complémentaires

0,07

0,93

1,49

2,06

Impact total

0,27

3,33

5,32

7,47

Source : Etude d’impact, PLFRSS 2023.

Par ailleurs, et indépendamment de la volonté propre du HCFP, le projet déposé n’est pas clos et la discussion parlementaire devrait modifier significativement l’épure transmise au Haut Conseil.

Il n’existe plus de trajectoire des finances publiques au-delà de 2023

En second lieu, comme l’évoque le HCFP « compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques. » En clair, impossible de vérifier l’impact sur la trajectoire des finances publiques de la réforme des retraites actuellement déposée devant le Conseil d’Etat… faute de chiffrage. Car, le Haut Conseil rappelle la France n’a pas à proprement parler de trajectoire des finances publiques en dehors du Programme de stabilité de l’année dernière (2022-2027) dans la mesure où même s’il disposait des éléments budgétaires manquants il ne pourrait pas « juridiquement » les confronter au projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027… faute d’adoption par le Parlement.

Cependant, cette difficulté ne devrait pas être totalement dirimante. En effet, comme l’évoque sur son blog l’économiste Antoine Bozio[2] le programme de stabilité 2022-2027 incluait déjà dans sa trajectoire l’impact d’une réforme des retraites qui figurait… dans le PNR (programme national de réforme) : « Le Cor est obligé, de façon réglementaire, de reprendre les projections de croissance du gouvernement telles qu’elles sont définies dans les documents envoyés à Bruxelles pour définir la trajectoire des finances publiques à cinq ans (le fameux programme de stabilité, ou PSTAB). Or, dans la trajectoire des finances publiques, le gouvernement inclut une réforme des retraites. »

On peut par ailleurs considérer que dans ses grandes lignes, le PLPFP 2023-2027 non adopté reprenait déjà les principaux fondamentaux du Pstab 2022-2027 du printemps précédent. En conséquence, il suffisait de prendre en compte le contrefactuel proposé dans les documents budgétaires « à politique inchangée » dont le RESF 2023 et de demander au gouvernement d’isoler par rapport à ce contrefactuel l’effet de la réforme des retraites.

En l’absence de ces éléments le HCFP dispose uniquement de la trajectoire du solde du système de retraites contenu dans le dossier presse d’exposition de la réforme[3] et non l’effet sur le solde des ASSO (en comptabilité nationale et non plus générale) et par ricochet sur les finances publiques :

Mais encore une fois juridiquement, il n’a pas le droit ni d’effectuer ses propres chiffrages, ni de les rapprocher de la PLPFP.

Conclusion

Malgré un texte dont l’étude d’impact est très insuffisante, notamment sur le plan des effets économiques et budgétaire (l’impacte sur les finances publiques est donné en comptabilité générale et non nationale), le Haut Conseil a tenté un chiffrage du dispositif (hors retours de cotisations) pour 2023. Le HCFP est cependant totalement aveugle quant à la trajectoire du projet de loi à horizon 2027 ou 2030. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas jugé bon de transmettre des trajectoires actualisées et séquencées année par année, en tenant compte des arbitrages et donc des mesures d’accompagnement déjà intégrées dans la réforme et qu’il ne publie qu’en 2027 et en 2030 dans le cadre du dossier de présentation[4]. Le risque est donc qu’en dehors des déficits propres au régime de retraites, les économies générées/ressources supplémentaires soient totalement absorbées par les mesures d’accompagnement et de corrections qui interviendront durant la discussion parlementaire. Sur ce point, le Haut Conseil est aveugle ce qui arrange le gouvernement et le met à l’abri d’un chiffrage « en temps réel » de la réforme, alors que les négociations sont en cours. Reste que ce manque de transparence entretient la suspicion de l’opinion publique sur la sincérité de la réforme. Mais aussi nos partenaires européens en nous plaçant en contravention par rapport à nos engagements dans le cadre du Semestre européen. Comme le relève le Haut Conseil « Au-delà cette absence {de loi de programmation}, contraire aux engagements européens de la France, prive les finances publiques d’une boussole indispensable à leur bonne gestion et à la préservation de la soutenabilité de la dette publique. »


[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0760_etude-impact.pdf#page=40

[2] https://blog.ipp.eu/2022/12/07/le-systeme-de-retraite-francais-est-il-en-peril/

[3] https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/05/1548a2feb27d6e5ed4d637eb051bb95daeb2200f.pdf#page=38

[4] Et qui ne sont pas mineures 2,8 milliards en 2027 de dépenses supplémentaires et 4,8 milliards en 2030.