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Fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, vers une hausse de la cotisation retraite employeur ?

Le gouvernement pourrait annoncer une hausse de la cotisation employeur de la CNRACL, la caisse de retraite qui couvre les fonctionnaires territoriaux et la fonction publique hospitalière. Le taux pourrait passer de 30,65% à 31,65%. Cette annonce si elle est bel et bien confirmée n’est pas vraiment une surprise.

En effet, cette caisse est confrontée à des déficits qui vont aller croissant avec des départs massifs en retraite et une stagnation du nombre de cotisants. Cette caisse est aussi symptomatique des enjeux qui frappent la fonction publique et qui relance tout l’intérêt d’une convergence public-privé.

La CNRACL : qu’est-ce que c’est ?

Créée en 1945, la Caisse Nationale de Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL) est le régime spécial d’assurance vieillesse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Elle ne couvre que les agents titulaires[1] des collectivités locales et hôpitaux[2]. Le régime spécial couvre aussi le risque inaptitude/invalidité de ces fonctionnaires.

La CNRACL constitue l'un des tous premiers régimes de retraite de base en France par son nombre de cotisants puisqu’elle occupe la 2e place derrière le Régime Général. En revanche, elle n’est que le 7e régime en nombre de pensionnés, ce qui traduit un rapport démographique, avec 1,50 cotisant pour 1 retraité, jusqu’ici très favorable.

Placée sous l’autorité d’un conseil d’administration, la Caisse des dépôts assure la gestion du régime. Le conseil d’administration est composé de 16 membres titulaires, représentant de façon paritaire les affiliés (syndicats de fonctionnaires) et les employeurs (collectivités et hôpitaux) et 2 commissaires du gouvernement, représentant les ministres chargés de la Sécurité sociale et du budget[3]. La Caisse ne dispose d'aucune autonomie réglementaire, ce qui signifie qu’elle ne fixe pas les modalités de calcul des pensions ou le taux des cotisations, qui sont fixés par décret. Comme pour la fonction publique d’Etat, les cotisations sont calculées en % du traitement indiciaire brut (hors primes à l’exception de la NBI). Les primes ne sont pas comprises mais font l’objet de cotisations obligatoires pour un régime en capitalisation, le RAFP (plafonnées).

Une situation financière qui se dégrade

Les pensions de retraite versées par la Caisse se sont élevées à 20,4 Md€ en 2021. Exception faite de l’année 2021 marquée par le rebond de l’activité économique, la situation financière du régime se dégrade régulièrement en raison d’une croissance des prestations vieillesse. En 2021, le déficit s’est un peu réduit, à -1,2 Md€. En 2022, le déficit de la CNRACL se creuserait de nouveau pour atteindre 2 Md€. Et en 2023, le déficit sera de Mds d’euros selon le président de la Caisse, Richard Tourisseau.

Les perspectives démographiques sont en effet assez défavorables : selon le dernier rapport statistique de la Caisse, le nombre de pensionnés a progressé de 45% en 10 ans tandis que la population cotisante n’a progressé que de 1,7%. L’âge moyen des cotisants continue d’augmenter (46 ans en 2021) et 40% des actifs ont plus de 50 ans. Le rapport démographique était encore de 2,2 en 2011 et de 4,5 en 1980.

C’est en effet une caractéristique de la population couverte par la Caisse : les fonctionnaires territoriaux ont tous été plus ou moins recrutés au moment des grandes lois de décentralisation, 40 ans plus tard ce sont désormais les mêmes cohortes qui partent en retraite. Dans la fonction publique hospitalière, les recrutements étaient également à cette époque au plus haut.

A cela s’ajoute le poids des départs anticipés en catégorie active : si 50% des départs à la retraite dans la FPT se font à l’âge légal en 2021, c’est seulement 1/3 dans la FPH où 42% des départs se font en catégorie active, et 17% en carrière longue. Et les carrières longues représentent aussi 36 % des départs dans la FPT.

Néanmoins, l’âge moyen de départ des nouveaux retraités ne cesse de progresser probablement sous l’effet de la montée en puissance de la décote liée à un âge d’entrée plus tardif sur le marché du travail.

L’amélioration 2021 tient à des cotisations sociales qui ont progressé de 3,7% sous l’effet « Ségur de la santé » (et effet PPCR). Et les dépenses ont été un peu contenues par une moindre revalorisation moyenne des pensions et une inflexion des nouveaux bénéficiaires (décalage progressif de l’âge du taux plein automatique pour la fonction publique). Dès 2022, la revalorisation anticipée de 4% au 1er juillet 2022 et la hausse des nouveaux bénéficiaires entrainerait un nouveau déficit, et ce malgré la hausse du point d’indice.

La montée en puissance des contractuels

Une autre difficulté frappe tout particulièrement la CNRACL, c’est la hausse des embauches de contractuels. Sur les trois versants de la fonction publique, la montée en puissance des effectifs des contractuels est nette (+177.500) entre 2016 et 2020 dans un contexte de stabilisation de l’emploi public (titulaires).

Les contractuels ne sont pas affiliés à la CNRACL mais à la CNAV pour le régime de base et à l’IRCANTEC pour la retraite complémentaire. Fin 2017, un quart des territoriaux étaient déjà contractuels. Parmi eux, 42 % étaient sur un emploi permanent, c’est-à-dire des postes dont la vocation est d’être occupés par des fonctionnaires, relève la direction générale des collectivités locales (DGCL). Une étude de la Caisse des Dépôts indique, qu’en 2016, les personnes employées comme contractuelles sont majoritaires parmi les agents de catégorie B (55%). L'étude révèle aussi que les rémunérations sont plus faibles chez les contractuels.[4] Mais cela s’explique par un âge moyen nettement plus faible chez les contractuels. De la même façon, des données récentes indiquent que dans la FPH les contractuels représentent 40 % des personnels (+6,5% entre 2019 et 2020).

En clair, les jeunes recrues sont embauchés en tant que contractuels ce qui accélère le vieillissement de la population cotisante à la CNRACL. Pourquoi ce choix ? Tout simplement parce que les cotisations sociales sont beaucoup moins élevées. Dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat aux collectivités, ce choix permet de réduire le poids des charges salariales tout en maintenant les embauches.

Comparaison des cotisations vieillesse (hypothèse salaire=PASS)

 

Part salariale

Part patronale

Fonctionnaire

11,10%

30,65%

Contractuel

10,10%

14,65%

CNAV

6,9%+0,4%

8,55%+1,9%

Contractuel IRCANTEC

2,8 %

4,20%

La différence de cotisations retraite employeurs majore le coût total pour une collectivité ou un établissement de santé ce qui alourdit les missions budgétaires d’un surcoût sans relation avec la qualité du service rendu.

Par exemple, dans la FPT, le salaire brut moyen est de 2584 euros par mois dont 25% de primes. Les charges sociales employeurs CNRCAL représente un surcoût de 2600 € par an soit 216 € par mois. Il est difficile de comparer toutes choses égales par ailleurs, étant donné que les salaires des contractuels sont inférieurs à ceux des fonctionnaires puisque le critère d’âge joue dans la rémunération.

Le poids des éléments de retraite des fonctionnaires (part des départs en catégorie active, mode de calcul) et son impact sur la cotisation employeur de l’Etat ajoutés aux rigidités du statut de la fonction publique (mobilité, rémunérations, progression de carrière,…) conduit les employeurs publics locaux à privilégier les embauches de contractuels. On en mesure les conséquences sur l’attractivité des postes à l’hôpital ou dans l’enseignement.

L’urgence d’agir

La CNRACL est confrontée à une double lame de fond : une population cotisante qui s’étiole sous l’effet de recrutements qui se font hors statut de fonctionnaires et le poids des départs anticipés (carrières longues, catégories actives). Cette situation est d’autant moins justifiable que l’on trouve en nombre dans la fonction publique hospitalière et même dans la fonction publique territoriale des emplois exercés dans les mêmes conditions de formation ou de carrière par des salariés du privé (le personnel soignant représente ainsi 54% de la FPH, ou encore filière technique, médico-sociale, animation, … qui représentent elles aussi plus de la moitié des effectifs de la FPT)

Tout cela concoure à un acte ambitieux en faveur de la réforme de ces catégories d’agents publics avec un alignement sur le privé. Pour les fonctionnaires, il existe une opportunité de rapprocher la gestion des droits de retraite sur celle des salariés du privés puisque c’est justement celle en vigueur pour les contractuels avec la CNAV pour régime de base et pour régime complémentaire, l’IRCANTEC.

À quoi sert l’Ircantec ?

Avec 2,23 millions d'allocataires pour 2,9 milliards €, l’Ircantec est considéré comme un régime important même s’il est loin de l’Agirc-Arrco. Il couvre une population variée de cotisants : non-titulaires (contractuels de droit public) des trois fonctions publiques, de la Banque de France, mais aussi des élus locaux, titulaires de la FPH et la FPT à temps non complet (moins de 28 heures)… Longtemps, les adhérents à l’Ircantec n’ont fait que passer avant de rejoindre le régime du privé ou celui de la fonction publique. En moyenne, la durée de cotisation à l’Ircantec n’est que de 10 ans. Cette institution est donc une source de poly-pensionnés importante.

Les employeurs et les salariés du secteur public sont attachés à ce régime complémentaire parce que les taux de cotisation salarié et employeur à l’Ircantec sont inférieurs à ceux de l’Arrco/Agirc, tandis que les niveaux de retraite sont plus élevés. Une situation qui n’est évidemment pas durable. Le gestionnaire de l’Ircantec, la Caisse des dépôts, est également très favorable au maintien de cette activité qui complète sa branche retraites et représente un produit d’appel pour justifier la reprise en main des retraites des titulaires de la fonction publique. Pour les syndicats et les employeurs du secteur public, les 33 postes d’administrateurs et de suppléants constituent également une source de postes et de financement attractifs. La gouvernance de l’Ircantec vient d’ailleurs de faire l’objet d’un rapport très critique de l’Igas.

 

L’autre phénomène qui a durement pénalisée la CNRACL : la compensation entre régimes

La CNRACL a connu pendant une très longue période un rapport démographique très favorable (décentralisation, dynamisme du recrutement hospitalier). Combiné avec un taux de cotisation employeur élevé (supérieur à 20%), la CNRACL a ainsi pu se constituer de fortes réserves et sa situation financière aurait dû être soutenable. Or ces réserves ont été utilisées dans le cadre de la compensation entre régimes spéciaux, pour financer les déficits d’autres régimes. C’est en quelque sorte à un « pompage des ressources » de la CNRACL que l’on a assisté. L’arrêt du versement au titre de la surcompensation et le relèvement du taux de contribution employeur (ceux-ci sont passés de 25% en 2000 à 30,65% aujourd’hui) a permis de redresser la situation.


[1] et stagiaires

[2] nommés dans un emploi permanent à raison de 28 heures hebdomadaires ou plus

[3] Les 2 présidents des Conseils supérieurs de la fonction publique, ont voix consultative.

[4] Des différences existent toutefois : les départements et les régions usent moins du recours à ce type de contrat, respectivement 28% et 24% de leurs emplois.