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Comment mesurer l'équité entre régimes de retraite

Régime général des salariés / Régimes spéciaux

Le déficit des régimes de retraites (20 milliards d'euros par an en 2020) annoncé par le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) rend urgente une nouvelle réforme. La commission, mise en place le 27 février par Jean-Marc Ayrault sous la présidence de Yannick Moreau, n'aura que trois mois pour proposer des pistes de réforme. Mais pour que les Français les acceptent, elles devront d'abord établir l'équité entre les régimes de retraite. En préalable, il faut donc évaluer la situation actuelle, un problème complexe face à des régimes très nombreux et très divers. Quatre méthodes sont souvent utilisées pour décider si certaines catégories sont anormalement privilégiées ou pénalisées. Une seule permet une évaluation objective chiffrée.

Même entre les seuls régimes obligatoires par répartition, tout est différent. D'abord la règle de base : par points sur toute la carrière (ARRCO/AGIRC/IRCANTEC), par annuité sur les 25 « meilleures » [1] années (CNAV-Sécurité sociale) ou en fonction des salaires des 6 derniers mois (fonctions publiques, SNCF, RATP, EDF/GDF). Et les règles sont tout aussi différentes pour les avantages familiaux, les conditions et les taux de réversion, les retraites minimums, la prise en compte des études, de la pénibilité, l'intégration des primes, les aides sociales, les règles d'indexation, les dates de versement, l'assiette des cotisations, les décote et surcote, le financement des frais de gestion… Des mécanismes de compensation et de surcompensation ont été mis en place pour atténuer les conséquences des évolutions démographiques divergents des différents régimes.

Cette complexité coûte cher en frais de gestion inutiles (plusieurs milliards d'euros par an), rend les régimes de retraite incompréhensibles par les intéressés [2], et entretient la méfiance entre les différentes catégories d'actifs et de retraités même de bonne foi. Pour tenter de sortir de ce flou, plusieurs méthodes de comparaison sont uilisées :

1. Niveau des retraites : Comparaison du régime général des salariés du privé et des régimes spéciaux

2. Rendement des cotisations versées : Combien 100 euros de cotisation rapportent-ils en retraite ?

3. Taux de remplacement : Rapport entre le montant de la première mensualité de retraite et le dernier salaire

4. Coût des retraites : Coût des retraites en taux de cotisation

[(Une nouvelle commission pour les retraites

"Une commission pour l'avenir des retraites sera installée par Jean-Marc Ayrault, le 27 février 2013, en présence de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. La commission sera présidée par Yannick Moreau, conseiller d'Etat, présidente de section honoraire".

"La commission sera chargée, sur la base des rapports du Conseil d'Orientation des Retraites (COR) et d'un cahier des charges qui lui sera remis le jour de son installation, de formuler différentes pistes de réforme des retraites à plus ou moins long terme. Elle préparera ainsi la concertation prévue avec les partenaires sociaux sur ce sujet".

Cette commission semble remplacer le COPILOR (Comité de Pilotage des Retraites) créé en novembre 2010 avec les mêmes objectifs.)]

1. Niveau des retraites : Comparaison du régime général des salariés du privé et des régimes spéciaux

En 2008, le niveau moyen des retraites des fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux est de 1.757 euros par mois. Celui des salariés du secteur privé est de 1.166 euros par mois. Des écarts considérables, qui témoignent que les salaires du secteur public sont en moyenne au moins égaux à ceux du privé, mais difficiles à interpréter : les formations, les métiers, les parcours des carrières, les durées de cotisation pouvant être très différents. Le COR constate que « La diversité des règles et des paramètres génère des écarts de pension entre deux monopensionnés de régimes différents. Les conclusions à tirer de tels écarts ne sont pas évidentes. » Le fait que l'écart reste très important même pour les carrières complètes (1.920 euros pour la fonction publique et autres régimes spéciaux, contre 1.520 euros dans le privé) tend à montrer que la garantie de l'emploi et les meilleures possibilités de conserver un emploi à plein temps (les emplois de fonctionnaires sont notamment disponibles sur toute la France facilitant la mobilité géographique), constitue un avantage important. Néanmoins, le critère du niveau des pensions ne constitue pas une méthode de comparaison fiable.

2. Rendement des cotisations versées : Combien 100 euros de cotisation rapportent-ils en retraite ?

Cette méthode semble la plus objective. Pour chaque régime de retraite, il est possible de calculer le total des cotisations versées par personne (ou par classe d'âge de retraités) et combien elle recevra en retraites. Cela suppose de tenir compte de l'inflation sur toute la période d'activité et de retraite, des calculs minutieux mais faits couramment pour tous types d'investissements.

Cette méthode est très mal vue par les partisans et les gestionnaires des régimes de retraites par répartition. Parce qu'elle permettrait aux cotisants de mesurer la performance de leur système de retraite. Et de la comparer avec les retraites par capitalisation ou simplement avec celle d'un PEA ou de son assurance vie. Les responsables politiques, l'INSEE, la DREES, les gestionnaires des caisses de retraite ou le COR ne publient jamais ce genre d'information.

Cette évaluation se heurte à un obstacle de fond : quelles cotisations faut-il prendre en compte ? Les taux de cotisation employeurs varient du simple au quadruple entre régimes : 15% dans le privé, 70% pour les fonctionnaires d'État [3]. Si on prend en compte seulement les cotisations salariés, le rendement serait extraordinairement élevé pour les régimes spéciaux. Il est plus logique de prendre en compte les cotisations salariés et employeurs. Mais alors, même si les rendements du système du secteur privé et des régimes spéciaux étaient équivalents, les affiliés des régimes spéciaux bénéficieraient d'avantages considérables liés au taux de cotisation employeur. Cette méthode n'est donc pas pertinente pour cette étude ; elle serait au contraire très adaptée à la comparaison entre retraites par répartition et par capitalisation.

3. Taux de remplacement : Rapport entre le montant de la première mensualité de retraite et le dernier salaire

Ce critère est proche des préoccupations des intéressés. Il répond à la question : quelle baisse de niveau de vie une fois à la retraite ? Ce souci est compréhensible, mais il est doublement trompeur. D'un point de vue comptable, les cotisations ayant été versées tout au long de la vie active en fonction du salaire du moment, il n'existe aucune raison de verser une retraite en fonction du dernier salaire. Cela encourage d'abord les petits arrangements, les promotions et augmentations de salaire des actifs quelques mois avant leur départ en retraite. Une pratique qui ne coûte rien à l'employeur mais beaucoup aux caisses de retraite. Cette pratique a été si fréquente dans le secteur public qu'elle a reçu un nom, le « coup de chapeau ». Plus généralement, dans le secteur privé et particulièrement dans certains métiers (vente, métiers pénibles par exemple), les salaires sont variables et le dernier revenu peut être notablement inférieur ou supérieur à la moyenne de la carrière de l'intéressé. C'est pour ces deux raisons que la retraite de base Sécurité Sociale et celles des régimes complémentaires (ARRCO/AGIRC/IRCANTEC) prennent en compte la totalité de la carrière ou 25 années de cotisation.

Avec la crise actuelle, le problème s'aggrave puisque une proportion élevée de personnes travaillant dans le secteur privé ne sont plus en activité ou sont en temps partiel depuis plusieurs années au moment de partir en retraite. Si les indemnités chômage ou le montant du RMI est pris comme dernier salaire, le taux de remplacement a toutes les chances d'être excellent.

[(Étude de la DREES (2012)

« L'utilisation du dernier salaire pour apprécier la part du salaire couvert par la retraite apparaît insuffisante, dans un contexte où les années précédant la retraite sont marquées, pour un nombre important de salariés, par un changement de quotité de travail ou une période transitoire de chômage ou d'inactivité. »)]

Selon la DREES, « une minorité de salariés connaît une activité à temps complet sans interruption de 50 ans à la liquidation d'un premier droit à pension », et « Les fins de carrières sont très différentes selon le secteur privé ou public ». sans qu'on sache s'ils sont au chômage, en retraite, en activité non salariée, invalidité... Cet écart est particulièrement sensible à partir de 55 ans. Ces différences de trajectoires en fin de carrière rendent peu significatives les comparaisons brutes de taux de remplacement. La DREES s'intéresse ensuite aux carrières complètes à plein temps. Pour les salariés du privé, les salaires relatifs médians [4] baissent de 50 à 62 ans, alors qu'ils augmentent pour ceux du public.

Face à ces problèmes de méthode la DREES propose neuf approches pour « savoir comment définir un salaire de fin de carrière » : 1) salaire à 50 ans, 2) salaire des 5 dernières années, 3) dernier salaire d'activité, 4) dernier salaire avant liquidation, 5) salaire moyen de 50 ans à la fin de carrière, 6) salaire maximal et le deuxième le plus élevé, 7) l'avant-dernier salaire à temps complet, 8) salaire moyen hors dernier salaire, 9) salaire des 5 avant-dernières années.

Aucune de ces méthodes n'est satisfaisante, les fins de carrière étant différentes entre le public et le privé : le taux de remplacement n'est pas un indicateur acceptable pour juger de l'équité entre régimes de retraite.

4. Coût des retraites : Coût des retraites en taux de cotisation

Les trois méthodes précédentes se heurtent à des problèmes de fond et de forme. Il est naturel d'en revenir à un critère simple, le coût des différents régimes, mesuré par le taux des cotisations et de subventions nécessaires pour financer chaque année les retraites. Alerté par l'écart entre le taux des cotisations du privé et de l'État, le COR a consacré une étude à ce sujet en 2001. La comparaison est très complexe, les cotisations retraites finançant des domaines différents suivant les cas. Par exemple :

Salariés du privéFonctionnaires d'État
Les charges de gestion sont à la charge des caisses de retraite Les charges de gestion sont à la charge de l'État
Les cotisations et les retraites prennent en compte les primes Les cotisations et les retraites ne prennent pas en compte les primes [5]
Les avantages familiaux sont à la charge de la CNAF Les avantages familiaux sont à la charge de la caisse de retraite
Les prestations invalidité sont principalement prises en charge par la CNAM Les prestations invalidité sont prises en charge par la caisse
Les périodes de chômage sont prises en compte par le FSV (Fonds de solidarité vieillesse) et l'UNEDIC Il n'y a pas de période de chômage [6]
Les caisses participent à la compensation entre régimes La caisse participe à la compensation et à la surcompensation

Après avoir recensé ces différences et tenté d'estimer leur impact, le COR conclut que le taux de cotisation de l'État se situe entre 38,6 et 41,5% (suivant les hypothèses) alors que celui des employeurs du privé va de 25,5 à 27,5% (suivant les hypothèses). Un écart considérable, mais le rapport du COR qui traite de ce problème date de 2001. Depuis cette date, le taux de cotisation brut de l'État est passé de 42% à 68,59% soit 4,6 fois plus élevé que le taux de cotisation du régime du secteur privé qui est resté stable. Cet écart de coût cache de multiples facteurs qui vont de la base de calcul (derniers salaires ou non), du mode de calcul, aux avantages familiaux, aux minimums retraite, aux règles de réversion, au total sans doute une vingtaine de facteurs.

Année 2012Cotisation salariéCotisation employeur + subvention EtatTotal
Secteur privé 10,55 % 15 % 25,55 %
Fonction publique d'État (civils) 9 % 68,59 % 77,59 %
Fonctions publiques Collectivités locales et Hôpitaux 9 % 28,85 % 37,85 %
SNCF 9 % 33,49 +60 % 102,49 %
EDF/GDF 12,13 % 45,11 % 57,24 %

Conclusion

Comparer avec équité les différents régimes de retraite est essentiel. Le critère du taux de cotisation total pour le salarié et l'employeur est le seul critère logique et objectif, capable de résumer en un chiffre les diverses caractéristiques des différents régimes, y compris les durées de vie à la retraite. Une solution classique : les prix ont été inventés pour faciliter la comparaison entre des produits ou des services même hétéroclites.

Avec la multiplicité actuelle de régimes de retraites incompatibles, la situation est très injuste entre les diverses catégories de Français. La réforme de 2013 doit préparer la mise en place d'un régime obligatoire unique, compréhensible, moins coûteux à gérer, et équitable.

[1] Le terme « meilleur » n'est pas tout à fait exact. Cela dépend de la valeur du salaire par rapport au plafond sécurité sociale du moment.

[2] Dans les régimes ARRCO/AGIRC, le taux d'appel différent du taux contractuel est déjà assez obscur

[3] Pour simplifier, on ne tient pas compte ici des écarts de taux de cotisation entre salariés qui sont encore inégaux (10,55% pour les salariés du privé, 8,50% pour les fonctionnaires)

[4] Le « salaire relatif » indique comment le salaire d'une personne ou d'un groupe évolue par rapport à la moyenne des salaires de la population

[5] Cette étude a été faite avant la mise en place de la nouvelle retraite par capitalisation qui prend en compte les primes des fonctionnaires. Mais même avant cette réforme, le système n'était pas systématiquement désavantageux : les retraites ne prenaient pas en compte les primes, mais ni les fonctionnaires ni l'Etat ne versaient de cotisations retraite sur ces primes. Une simple préférence pour des revenus d'activité plutôt que des revenus de retraite.

[6] Une grande partie des corrections proposées par le COR revient à dire que la charge de retraites des chômeurs doit être prise en compte par le régime de retraite du privé. Une position contestable : le financement des droits retraite des chômeurs et des pré-retraites est en réalité un problème de solidarité nationale qui n'a pas à être supporté par les seules caisses de retraite du privé. Dans les régimes spéciaux, les salariés qui ne sont plus nécessaires restent en place et leurs droits ne sont pas à la charge des caisses de chômage et de retraite.