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Une industrie espagnole particulièrement résistante aux chocs économiques

Depuis le début de l’année 2023, l'industrie manufacturière espagnole se montre exceptionnellement résistante face au contexte économique. Les données démontrent une accélération de la croissance au premier trimestre 2023. La valeur ajoutée brute réelle a augmenté de 1,2 % par rapport au trimestre précédent, dépassant la croissance enregistrée au second semestre 2022. De manière similaire, l'indice de la production industrielle a progressé de 1,9 % en glissement annuel au cours du premier trimestre, légèrement supérieur à celui du dernier trimestre de l'année précédente. Le secteur maintient également un rythme positif en matière de création d'emplois, avec une croissance de 1,5 % en avril.

L’industrie espagnole en chiffres

Nombre d’entreprises et d’employés dans les différentes branches de l’industrie espagnole.

Source : Instituto Nacional de Estadística

Entre 2020 et 2021, le secteur industriel a enregistré des résultats positifs avec la création de 2 386 nouvelles entreprises. Dans le domaine de l'industrie manufacturière, le taux de création d'entreprises a augmenté de 3 % en un an, avec un total de 4 919 nouvelles industries recensées. En revanche, le secteur des minerais a fait face à une diminution de 10 %. Enfin, c'est dans le secteur de la fourniture d'électricité, de gaz et de vapeur que la diminution a été la plus importante, enregistrant une baisse de 17 % d’entreprises.

En ce qui concerne l'emploi, le nombre de personnes employées a augmenté en moyenne de 3 % entre 2021 et 2020. Au total, dans le secteur industriel, 68 499 nouveaux emplois ont été créés, avec le secteur manufacturier représentant le plus grand employeur, ayant embauché 73 080 nouveaux employés en un an, soit 89,7 % du personnel total employé dans l'industrie. Parmi les sous-secteurs de l'industrie manufacturière, l'industrie alimentaire enregistre une augmentation significative de 17 982 employés. Cependant, la fabrication de vêtements a connu une diminution de 487 employés.

En général, la plupart des industries manufacturières ont enregistré une augmentation du nombre d'entreprises et du personnel occupé entre 2020 et 2021, indiquant une tendance positive dans le secteur.

Chiffres économiques des différentes branches industrielles espagnoles.

Source : Instituto Nacional de Estadística

En 2021, le chiffre d'affaires du secteur industriel a connu une augmentation significative de 21,5 % pour atteindre 734 026 millions d'euros. L'industrie manufacturière représente la majeure partie, soit 80,1 %, du chiffre d'affaires total du secteur. La métallurgie se distingue particulièrement avec une variation exceptionnelle de 44 %, principalement due à une augmentation de la production de 58 % entre 2021 et 2020 dans ce secteur. De plus, les fournisseurs d'électricité ont enregistré une forte hausse de leur chiffre d'affaires en raison de la montée des prix de l'énergie, qui a eu un impact positif sur leurs opérations. Le secteur du bois a également enregistré une croissance notable de 27 % de son chiffre d'affaires et une augmentation de la production de 29 %. Dans l'ensemble, la production de l'industrie espagnole a augmenté de 20 % en moyenne entre 2021 et 2020.

Valeur ajoutée de l’industrie en % du PIB des principaux pays européens en 2022

Source : Banque Mondiale

En 2020-2021, l'Espagne a connu une croissance de 12% de sa valeur ajoutée industrielle en pourcentage du PIB, presque deux fois plus élevée que la France qui affichait une croissance de 7% sur la même période. L’écart entre les deux pays s'est réduit, car en 2021, la valeur ajoutée brute de l'industrie française était de 291,1 milliards d'euros, tandis que celle de l'Espagne atteignait 184,6 milliards d'euros, ne laissant qu'un écart de 106,5 milliards d'euros. En comparaison cet écart était bien plus important en 2000, il était à hauteur de 128,7 milliards d'euros. Ces chiffres indiquent que l'Espagne continue de développer son industrie, tandis que la France s'industrialise à un rythme moins rapide. En effet c’est à partir de 2022 que la France a inversé cette tendance avec la création nette de 80 nouvelles usines sur son territoire.

L'investissement direct étranger représente une véritable opportunité pour l'industrie espagnole

En 2022, l'Espagne a enregistré une croissance significative de ses investissements productifs bruts, atteignant 34,178 milliards d'euros, soit une augmentation de 14 % par rapport à l'année précédente. Cependant, les désinvestissements ont également augmenté de 25 %, ce qui a conduit à une hausse des investissements productifs nets de 10 %, totalisant 23 892 millions d'euros. Cette année a été marquée par dix secteurs dépassant le milliard d'euros d'investissement, avec une mise en avant particulière de l'industrie manufacturière et des technologies de l'information et de la communication, qui ont attiré d'importants investissements étrangers. Bien que le secteur des services demeure majoritaire dans la réception des flux, l'industrie a considérablement augmenté sa part, atteignant 40 % grâce aux opérations des entreprises.

En ce qui concerne l'origine géographique des investissements, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont été les principaux contributeurs, dépassant les 2 000 millions d'euros d'investissement dans des actifs espagnols. L'année 2022 a été exceptionnelle en termes de nouveaux projets d'investissement, avec 860 projets annoncés, dépassant les niveaux d'avant la pandémie, apportant 44,564 milliards d'euros d'investissement et créant 96 144 emplois. En cumul, l'Espagne a reçu 10 069 nouveaux projets entre 2003 et décembre 2022, représentant 3,3 % du nombre total de projets annoncés dans le monde cette année-là, ce qui la classe au sixième rang mondial et au troisième rang européen en termes de projets reçus.

Au premier trimestre de l'année 2023, l'Espagne a enregistré une augmentation significative de 20,3 % des investissements étrangers, selon les données publiées dans le Registre des investissements étrangers DataInvex du Secrétariat d'État au Commerce. Les flux bruts d'investissement étranger ont connu une hausse de 8,1 % par rapport à la même période en 2022, tandis que l'investissement non-ETVE a connu une croissance remarquable de 20,3 %, atteignant 9 912 millions d'euros, représentant une augmentation de 50,8 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. Sur le plan sectoriel, l'industrie a pris la tête du classement, bénéficiant de 48,8 % du total des investissements étrangers, équilibrant ainsi pratiquement le secteur des services qui a reçu 48,5 % des investissements, et la construction représentant 2,6 %. Les États-Unis ont été les principaux investisseurs, émettant 58,1 % des flux d'investissement non-ETVE[1] vers l'Espagne, tandis que l'Australie et la France ont également joué un rôle essentiel, représentant 72,6 % des investissements.

Investissements étrangers bruts en Espagne en milliers d’euros

Source : DataInvex

A noter que les investissements comprennent seulement les opérations non ETVE.

Ces investissements étrangers sont un moteur crucial de la croissance économique espagnole, avec des niveaux records d'exportations des entreprises espagnoles, et en 2022, ils ont connu une croissance impressionnante d'environ 55 % de janvier à septembre par rapport à la même période de l'année précédente, apportant d'excellentes nouvelles tant quantitatives que qualitatives.

Selon la 15e édition du Baromètre du climat des affaires en Espagne réalisée par ICEX-Invest, basée sur l'évaluation de plus de 720 entreprises de capitaux étrangers, les prévisions pour 2023 sont globalement positives malgré l'incertitude liée au contexte politique et économique international. Les investisseurs étrangers apprécient les infrastructures, la taille du marché et le capital humain de l'Espagne, qui favorisent leur implantation dans le pays. En 2022, les niveaux d'emploi des entreprises étrangères établies en Espagne se sont améliorés, avec 91% d'entre elles ayant augmenté ou maintenu leurs effectifs, tandis que seulement 9% les ont réduits par rapport à 2021. En effet le pays se différencie fortement de ses voisins avec un nombre d’emplois par projet étranger en moyenne de 120 comparé à 33 en France, 53 en Allemagne et 58 au Royaume-Uni. Pour 2023, les estimations concernant l'investissement et l'exportation restent significativement positives, bien que le nombre d'entreprises prévoyant d'augmenter leur chiffre d'affaires et l'emploi soit légèrement réduit. En 2022, 84% des entreprises ont augmenté ou maintenu leurs investissements en Espagne, mais ce pourcentage reste stable pour 2023. Le chiffre d'affaires présente un léger recul, avec 20% des entreprises prévoyant une réduction en 2023, comparé à 83% en 2022 et 82% en 2021 qui ont maintenu ou augmenté leur chiffre d'affaires. Les prévisions en termes de création d'emplois demeurent positives, mais diminuent de 47% en 2022 à 36% en 2023.

En 2022, l'Espagne s'est démarquée en recevant 860 projets de capitaux étrangers, plaçant ainsi le pays au sixième rang mondial des destinations les plus attractives en termes de projets greenfield, surpassant des puissances telles que la Chine, la France et le Japon. Cette augmentation est significative par rapport aux 838 projets de ce type enregistrés en 2021 et aux 554 en 2020.  Mais c’est la nature des projets qui interpelle également car l'Espagne se positionne favorablement dans des domaines d'investissement avancés et productifs : 3ème au niveau mondial pour les nouveaux projets dans les secteurs des énergies renouvelables et des technologies de l'information et des communications, 4ème pour les projets liés à la recherche et au développement ainsi que pour les projets automobiles et liés à l'hydrogène propre.

Enfin, le nouvel arrêté sur les investissements étrangers s'apprête à apporter des changements significatifs grâce à un nouveau cadre juridique et des mesures visant à contrôler et faciliter les investissements. Ce décret, prévu pour être approuvé avant la fin de l'année, modifiera la réglementation actuellement en vigueur, renforçant ainsi le mécanisme de contrôle existant qui suspend temporairement le régime de libéralisation. Cette prolongation s'étendra jusqu'au 31 décembre 2024, en vue des nouveautés que le nouveau décret royal introduira sur les investissements étrangers. Ces évolutions témoignent de l'engagement de l'Espagne à adapter ses politiques en matière d'investissements étrangers afin de promouvoir un environnement réglementaire plus solide et d'encourager les investissements dans le pays.

Une transition plus verte qu’industrielle en Europe.

L’objectif du gouvernement espagnol est que l’Espagne mène la révolution industrielle verte au niveau européen. Ainsi, pour accompagner son industrie manufacturière dans sa décarbonisation et dans son amélioration de son efficacité énergétique le gouvernement a mis en place le Projet stratégique pour la relance économique et la transformation (PERTE). Dans le cadre de ce programme, un investissement total de 11,6 milliards d'euros est prévu, avec une contribution du secteur public de 3,1 milliards d'euros. Il s'agit d'un projet de partenariat public-privé qui comprend toutes les mesures de transformation qui alimenteront les projets. Les investissements dans la décarbonisation et la modernisation de l'industrie manufacturière promus par ce PERTE augmenteront la compétitivité du secteur d'environ 10 % et conduiront à la création d'environ 8 000 emplois. En outre, selon les estimations du ministère de l'industrie, du commerce et du tourisme, une réduction des émissions de 13 millions de tonnes de CO2 par an est attendue. Le programme est doté de 3 principales mesures transformatrices pour promouvoir la décarbonisation de l'industrie manufacturière en Espagne. Premièrement une aide globale de décarbonisation avec un financement public de 2,3 milliards d'euros, comprenant 800 millions de subventions et 1,5 milliard de prêts. Ensuite un soutien spécifique à l'hydrogène renouvelable : un aide approuvé par la Commission européenne de 450 millions d'euros de subventions aux entreprises manufacturières participant au projet européen sur l'hydrogène renouvelable. Enfin le programme offre 150 millions d'euros de subventions et 100 millions d'euros de prêts pour stimuler le développement d'installations de fabrication efficaces et décarbonées.

Récemment en France, l'Assemblée nationale a voté le projet de loi du gouvernement sur l'industrie verte, qui vise à renforcer l'attractivité du territoire français pour le développement des industries vertes en s'appuyant sur trois exigences clés : faciliter, favoriser et financer. L'ambition de la France est de devenir le pays le plus attractif pour les industries vertes en Europe, et pour y parvenir, le projet de transition industrielle se concentre sur quatre actions principales. Premièrement, il vise à accélérer les procédures d'implantation des industries sur le territoire français en réduisant les délais de délivrance des autorisations de 17 mois à neuf mois. Deuxièmement, le projet prévoit la structuration d'une filière de recyclage pour favoriser l'économie circulaire. Troisièmement, il s'agit de mobiliser l'épargne privée en faveur des industries vertes, notamment grâce à la création du plan d'épargne Avenir Climat visant à inciter l'investissement dans les technologies vertes. Enfin, une commande publique responsable sera privilégiée, encourageant les entreprises à améliorer leurs processus de production pour réduire leurs émissions. Ces mesures sont développées pour promouvoir la transition vers une économie plus verte et durable en France.

Face au protectionnisme américain instauré par la loi Inflation Regulation Act (IRA), qui favorise les entreprises américaines proposant des technologies vertes et impacte négativement les industries européennes, la France a joué un rôle moteur en incitant la Commission européenne à agir avec le Net Zero Industry Act. Cette initiative est une réponse directe à l'IRA américain, mettant en avant le lien entre réindustrialisation et transition écologique. Le développement d'une souveraineté industrielle européenne est crucial pour le succès des industries vertes sur le continent. En plus de cela les pays européens travaillent sur des projets industriels au niveau national pour faire face à la concurrence provenant de l’outre-Atlantique.

En Europe, le défi réside dans l'écart entre les ambitions vertes des gouvernements et leurs ambitions industrielles. Les aides nationales et européennes ne sont pas à la hauteur de celles des concurrents américains, qui ont investi plus de 400 milliards de dollars dans des secteurs ciblés et sur leur territoire. Est-ce la seule alternative de fournir d'importantes subventions à l'industrie verte ? Pour la France, la principale source d'émissions de CO2 provient des importations, représentant 51% des émissions, ce qui souligne la nécessité de relocaliser les usines en France pour une décarbonisation plus efficace. En effet, la question cruciale est de connaitre l'utilisation de l'argent public investi dans cette transition, car une partie importante des aides destinées à la voiture électrique en France, soit 500 millions d'euros, se retrouve en Chine. Cette problématique concerne l'ensemble de l'Europe puisque la Chine est le premier partenaire pour les importations de biens de l'UE représentant 20,8%. La solution proposée par le parti républicain serait d'attribuer des certificats d'économies d'énergie aux entreprises relocalisant leurs usines sur le territoire européen, car cette relocalisation permettrait une production plus respectueuse de l'environnement. Les objectifs clés consisteraient donc à relocaliser les industries en Europe pour développer la souveraineté européenne et favoriser une décarbonisation accrue de l'industrie.


[1] ETVE signifie Entité étrangère détentrice de titres. C’est uneeholding espagnole consistant à exonérer les bénéfices venant des filiales étrangères versés sous forme de distribution de dividendes ou de plus-values de cessions de participations.