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Subprimes : Anatomie d'une crise annoncée

On a dit tout et - souvent - n'importe quoi sur la crise financière du mois de septembre. Voici l'analyse éclairante et sans langue de bois du professeur Aftalion.

La titrisation (securitization) est une technique financière dont l'usage s'est développé au cours des années 80, d'abord aux États-Unis puis dans le reste du monde développé. Depuis que les banques existent, c'est-à-dire depuis des siècles, leurs techniques avaient peu changé. D'un côté, elles se finançaient grâce aux dépôts de leurs clients, de dettes et de capitaux propres et de l'autre côté, elles prêtaient à diverses échéances, les plus longues correspondant à des crédits immobiliers. La titrisation consiste pour les banques à assembler des portefeuilles de créances de même nature - cartes de crédit, automobiles, crédits hypothécaires - et à les vendre. Les crédits hypothécaires regroupés dans un même portefeuille doivent correspondre à des échéances voisines et représenter les mêmes niveaux de risque de non-remboursement. Pour acheter les portefeuilles vendus, des entités ad hoc, juridiquement distinctes des banques qui les vendent, sont créées. Ces sociétés se financent au moyen d'obligations vendues à des investisseurs institutionnels. La valeur de ces obligations est estimée en tenant compte des taux d'intérêt prévalant sur le marché et du risque représenté par le portefeuille financé.

Traditionnellement, les banques remplissent deux fonctions différentes. Elles consistent d'une part à évaluer le risque représenté par un débiteur potentiel (et à lui facturer ce risque) et d'autre part à financer les créances consenties et supporter les risques correspondants jusqu'à l'échéance des prêts. Avec la titrisation, ces deux fonctions sont disjointes laissant les banques faire le travail pour lequel elles sont le plus compétentes, l'appréciation du risque client. Les investisseurs qui achètent et portent les créances, par leur grand nombre, provoquent la dissémination des risques que chacun d'entre eux gère en diversifiant ses actifs.

Impossible de savoir quels sont les établissements menacés

Depuis le début des années 2000, le secteur immobilier des États-Unis a connu un boom spectaculaire. Parmi ses causes, il faut souligner la politique de taux d'intérêts suivie par la Banque fédérale à la suite de la récession de 2001. La FED a en effet maintenu sur le marché interbancaire (marché des fed funds) des taux réels négatifs jusque vers la fin de l'année 2004, bien après que les craintes déflationnistes se soient dissipées. Un système de tarification des prêts hypothécaires commercialement très incitatif et le peu de rigueur avec laquelle les banques accordaient ces prêts figurent parmi les autres causes de ce boom.

2007 a vu la valeur de l'immobilier aux États-Unis s'effondrer. Ce qui a entraîné l'augmentation brutale du nombre de défaillances de prêts hypothécaires risqués. Ces prêts sont titrisés dans une catégorie de portefeuilles qualifiée de subprime. À la suite des bonnes notes que les firmes spécialisées dans l'appréciation des risques-crédit leur avaient accordées jusque-là, leur valeur de marché a plongé. Plusieurs établissements dont les actifs en étaient chargés se trouvèrent en situation de quasi-faillite. D'autres (banques, hedge funds, compagnies d'assurance, fonds de pension, etc.) qui en détiennent des quantités relativement importantes (à leur bilan) encourent des pertes mettant leur existence en danger. Dans l'immédiat, pour survivre, elles ont besoin d'emprunter. Le problème est qu'il est impossible de savoir quels sont les établissements menacés. Cette incertitude a asséché les liquidités des marchés monétaires, les prêteurs potentiels préférant prêter aux Trésors nationaux plutôt que de prendre des risques de non-remboursement qu'aucune augmentation des taux d'intérêt ne peut compenser. Cette crise du crédit jointe à la crise de l'immobilier pourrait provoquer aux États-Unis une récession qui s'étendrait ensuite au reste du monde et serait accompagnée d'une crise boursière. Face à cette situation, les banques centrales ont injecté des sommes considérables sur les marchés et sont venues au secours de certains établissements particulièrement menacés. Elles pensent ainsi conjurer les risques de récession.

2007 a vu la valeur de l'immobilier aux États-Unis s'effondrer. Cette crise du crédit jointe à la crise de l'immobilier pourrait provoquer aux États-Unis une récession qui s'étendrait ensuite au reste du monde.

Mais tous les économistes ne sont pas d'accord avec leur conduite. Ne devraient-elles pas plutôt laisser les firmes ayant pris des risques inconsidérés chûter ? En agissant ainsi, le problème des subprimes ne se poserait plus dans l'avenir, ce qui éviterait de règlementer davantage le crédit (et inciterait les marchés à innover pour contourner ces nouvelles règlementations). Le 18 septembre, la FED a même abaissé le taux des fed funds de 0,50 %. La hausse des cours boursiers qui l'a accompagnée montre que les marchés, qui craignent une récession, ont approuvé cette mesure. Pourtant prise alors que les pressions inflationnistes ne paraissent pas complètement résorbées, elle risque d'être le germe d'une crise future.