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STX : une nationalisation "temporaire" suspecte

Mais non, ce n’est pas une nationalisation, comme y insiste Bruno Lemaire ! Tout juste le moyen d’exercer un veto à une participation majoritaire étrangère, à condition que cela conduise à une situation seulement « temporaire » et que l’on reconstruise un peu différemment ce que l’on a démoli, de préférence avec le même partenaire (il n’y en a pas d’autre qui convienne), partenaire que l’on a sévèrement souffleté au passage. Pourra-t-on après ces fiançailles rompues reconduire la promise à l’autel ? Il faudra qu’elle soit bien conciliante…

Les réactions syndicales sont réalistes. Le leader de la CFDT insiste sur le caractère temporaire de l’acquisition du capital par l’Etat et la nécessité de s’adosser à un partenaire industriel. Au passage on appréciera l’unanimité avec laquelle syndicats, salariés et direction expriment que « ce n’est pas à l’Etat de construire des navires ». La période des nationalisations à la Mitterrand est bien close. Le leader de FO approuve la décision gouvernementale mais, comme d’autres, franchit bien des étapes de raisonnement en y voyant  la « garantie » que les emplois français seront sauvegardés et le savoir-faire de STX conservé. Il ne craint pas de se contredire : si cette « nationalisation » n’est que temporaire, en quoi est-ce une garantie de long, et même de moyen terme ? Comme toujours, la seule garantie sociale qui vaille ne peut provenir que de l’économie, à savoir le développement industriel, autrement dit en l’occurrence l’adossement à un partenaire industriel. On en revient au point de départ, et c‘est là que bien des étrangetés apparaissent.

Etrange en effet qu'on se méfie d’un Italien, donc européen, qui plus est l’Etat italien ( qui détient 71,6% du capital du partenaire Fincantieri) et qu’on refuse de lui accorder les mêmes droits que ceux dont bénéficiaient depuis longtemps des actionnaires norvégien puis coréen. Et l'Europe, et la contradiction flagrante dans laquelle s’enferme Emmanuel Macron après ses déclarations enflammées sur l’Europe ? Sur ce point la réaction du gouvernement italien est imparable. 

Etrange, cette méfiance née de l’existence d’un partenaire chinois de l’Etat italien avec une telle participation archi-dominante de cet Etat au capital de Fincantieri.

Etrange aussi que l'on puisse penser que le partenaire italien peut avoir intérêt à sacrifier STX au profit de sa propre industrie alors qu'il aura une vision d'actionnaire qui voudra valoriser son acquisition. Ce sera d’autant plus le cas si sa participation n'est pas majoritaire ! Et cette crainte n’est-elle pas alors valable pour tous les investissements étrangers quels qu’ils soient qu’il faudrait dès lors refuser ? Les investisseurs étrangers ne vont-ils pas y regarder à deux fois avant de venir en France ?

Etrange encore, cette définition gouvernementale aussi élastique des intérêts "stratégiques". C’est en 2006 qu’Alstom vend au norvégien Aker sa division Alstom Marine, comprenant les Chantiers de l’Atlantique, en criant haut et fort qu’il ne s’agit pas d’un actif stratégique. Il est vrai qu’à l’époque la vente s’effectue pour un misérable prix de 50 millions d’euros… après qu’Alstom ait recapitalisé la division à hauteur de 350 millions. Il était donc « stratégiquement » nécessaire de s’en séparer ! Aker revend ensuite sa division Aker Yards au groupe coréen STX, lequel tombe en faillite, et le tribunal de Séoul accepte l’offre de reprise par Fincantieri pour 79,5 millions d’euros. Le gouvernement français signe en conséquence le 15 mai 2017 (Emmanuel Macron est déjà élu Président) un accord avec Fincantieri prévoyant la prise de participation majoritaire de l’Italien. Deux semaines plus tard,  Emmanuel Macron annonce qu’il veut renégocier cet accord. Devant le refus italien, la France fait jouer son droit de préemption au motif du caractère stratégique de STX[1].  Et c‘est le même Emmanuel Macron qui trois années plus tôt a revendu le pôle énergie du même Alstom à General Electric, au motif qu’il n’était pas stratégique. Comprenne qui pourra.

Etrange toujours, que l’on encense tout d’un coup en STX un  "fleuron" de l’industrie française, doté d’un savoir-faire inestimable et « unique au monde", et que ce  fleuron ne vaille que la somme assez ridicule de 80 millions d’euros. C'est que les affaires sont extrêmement difficiles dans le secteur et que STX a dû consentir des conditions extrêmement serrées, voire perdantes, pour obtenir les commandes des derniers navires[2]. Résultat, pour 1,3 milliard de chiffre d’affaires en 2016, STX a vu ses profits tomber quasiment à zéro, en chute de 90%  par rapport à 2015.

L’Etat français va donc acquérir pour une très faible somme la totalité du capital de STX. Mais pour en faire quoi ? Il ne semble pas que d’autres partenaires industriels soient sur les rangs, du moins dans des conditions acceptables, et sûrement moins acceptables que celles obtenues du gouvernement précédent de la part du partenaire italien. L’affaire n’est pas tentante financièrement. On évoque une participation de MSC, qui avait un temps pensé de faire une offre devant le tribunal de Séoul avant de se rétracter. Ceci reviendrait à faire bizarrement rentrer dans le capital un client, et ne résoudrait pas le problème du partenaire industriel.

Alors, après avoir fait pas mal de dégâts, on repart de zéro avec Fincantieri, groupe beaucoup plus important que STX (4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit trois fois plus), qui se trouve maintenant en position de force. Comme le dit un observateur italien, il se trouve en position de répliquer au ministre français qu’il n’a plus maintenant qu’à se débrouiller tout seul… Ne pas oublier l’orgueil blessé de l’Italie, et que le camouflet reçu va contraindre le gouvernement italien à faire preuve de fermeté vis-à-vis de son peuple. Quel atout Bruno Lemaire pourra-t-il bien avoir dans sa manche lorsqu’il rencontrera son homologue la semaine prochaine à Rome ? En tout cas la circonspection est de mise, et justifiée de la part des salariés et des syndicats qui font valoir que le temporaire ne règle rien.


[1] C’est bien le tribunal de Séoul et Fincantieri qui sont maîtres des horloges ici. Le 28 juillet a été fixé comme date ultime d’exercice éventuel du droit de préemption, ce qui a contraint Bruno Lemaire à agir, avant de pouvoir rencontrer son homologue italien. Notons que l’exercice du droit de préemption devient un engagement ferme de la France de se substituer à Fincantieri pour le paiement des actions à la faillite coréenne. De son côté, Fincantieri est évidemment délié de tout engagement et de tout accord. On repart donc de zéro.

[2] Les deux commandes de navires émanant du croisiériste MSC ont été conclues notamment à des conditions financières inconnues mais compliquées, et exigeant de la part des salariés des sacrifices notables quant à leur temps de travail.