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Réseau La Poste : externaliser 7.500 points de contact

La Cour des comptes vient de rendre public un référé en date du 25 février 2016 sur la modernisation du réseau La Poste qui met en lumière les difficultés de celui-ci, notamment à cause du maintien d’un nombre disproportionné de points de contact imposé par l’État. Le réseau La Poste est en effet, avec 57.380 agents sur les près de 258.000 du groupe La Poste et 17.075 points de contact, le plus dense d’Europe. Cela engendre évidemment un surcoût qui sera de moins en moins soutenable au fil des ans pour l’entreprise si rien n’est fait. l'avenir du réseau La Poste passera par l'externalisation de plus de 7.500 points de contact et la mutualisation des bureaux de postes avec d'autres services publics.

Une obligation de maintenir un réseau disproportionné

Tout comme EDF[1], La Poste est victime de son actionnaire majoritaire, l’État, qui lui impose des décisions qui pèsent lourdement sur sa rentabilité. C’est ici plus particulièrement le réseau La Poste, l’entité du groupe La Poste qui assure la distribution des produits du groupe (activités bancaires, bureaux de postes, téléphonie mobile, etc.) qui en fait les frais.

Comme à l’accoutumé, l’État français a fait le choix de sur-transposer la directive européenne 97/67/CE du 15 décembre 1997 en imposant au réseau La Poste le maintien de 17.000 points de contact minimum sur le territoire, en contradiction avec les réalités du terrain et les besoins des utilisateurs, et ce, alors que la directive européenne prévoyait simplement que « les États membres prennent des mesures pour que la densité des points de contact et d'accès tienne compte des besoins des utilisateurs ». La France dispose donc aujourd’hui du réseau postal le plus dense d’Europe, tant en termes de points de contact qu’en proportion de sa population. Mais pour quel résultat et à quel coût ?

Selon la Cour des comptes, ce maintien de 17.075 points de contact en 2014, dont 9.574 bureaux de postes, ainsi qu’un effectif fort de 57.380 personnels, entraine un surcoût évalué par l’ARCEP[2] à environ 250 millions d’euros par an. La Cour rappelle d’ailleurs que ce surcoût est « supérieur aux abattements fiscaux (170 millions d’euros) dont La Poste bénéficie pour les compenser ».

Le réseau La Poste se différencie surtout de ses voisins européens par un nombre très élevé de bureaux de postes « en propre » par rapport à ceux confiés à des commerçants :

Pays

France[3]*

Royaume-Uni

Allemagne

Nombre total de points de contact

17.075

11.905**

13.000**

Nombre de points de contact en propre

15.014 (dont 9.574 bureaux de poste et 5.440 agences postales communales ou intercommunales)

590***

5.800***

Nombre de points de contact externalisés

2.061

16.910***

8.200***

 

* Cour des comptes, données 2016

** Eurostat, données 2010

*** Sénat, données 2003

 

Le jugement de la Cour est sans appel : « la baisse importante et continue de l’activité va rendre le coût du réseau de moins en moins soutenable pour l’entreprise ».

Une baisse d’activité importante

Selon l’étude de la Cour, entre 2009 et 2014, « une baisse globale de 25% du temps d’activité des guichets a été constatée ». À quoi est-elle due ? Principalement à la baisse de l’activité de courrier : -16% pour les opérations de colis, -21% pour les opérations de courrier, -40% pour les « activités diverses du réseau » et -31% pour les opérations bancaires réalisées à un guichet. La Cour note que seule l’activité de téléphonie mobile de la branche La Poste mobile, créée en 2011, est en croissance, même si son poids « reste marginal ». Les causes sont bien connues : de nombreuses opérations peuvent se faire par internet, qu’il s’agisse de virements bancaires, d’expéditions de colis ou autres et la distribution des colis se passe de plus en plus dans les points-relais. Pour la Cour, « cette tendance ne peut que s’amplifier » et « paraît irréversible ».

Une baisse de l’activité couplée au maintien d’une forte masse salariale ne peut signifier qu’une seule chose : une explosion des charges de personnel et une dégradation de la productivité des personnels. Si les charges de personnel ont baissé de 6% entre 2009 et 2014, « principalement sous l’effet d’une réduction des effectifs, d’une évolution de la répartition entre les fonctionnaires et les salariés et de mesures d’âge », elles n’en demeurent pas moins et « de loin », le premier poste de dépenses du réseau La Poste, avec 73% du total en 2014. La Cour note d’ailleurs, au passage, que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) contribue pour un tiers à la baisse des charges. Rappelons également que La Poste est le premier bénéficiaire du CICE avec près de 445 millions d’euros en 2014[4] et que sans lui, ses résultats se seraient effondrés de 42% !

La Cour nous met en outre en garde contre l’existence de « mesures propres à accroître les dépenses de personnel » susceptibles de « menacer les efforts accomplis » : le ralentissement de la baisse des effectifs entre 2013 et 2014, « l’élargissement du dispositif interne de préretraite aux sites n’étant pas en situation de sureffectifs » (ce qui entraine un remplacement des personnels concernés), le « rattrapage des rémunérations » des salariés sur les fonctionnaires, ainsi que « la revalorisation des rémunérations des guichetiers » formés aux activités commerciales et financières, sont autant de facteurs de risques budgétaires pour le réseau La Poste.

Une organisation territoriale obsolète…

Le réseau postal urbain, avec ses 6.815 points de contact, est particulièrement dense, surtout dans les grandes agglomérations. Cette densité est même « supérieure aux critères d’accessibilité au service public » pour la Cour. Il en résulte des différences importantes d’activité selon la Cour, qui note que « la forte densité du réseau en zone urbaine se traduit par des écarts significatifs de volume d’activité entre bureaux de postes ». Ainsi en 2014, ce sont près de 965 bureaux de postes qui enregistraient une activité inférieure à 3 heures quotidiennes, dont 173 étant en activité moins d’une heure par jour ! Ce phénomène tend même à se développer pour la Cour, puisque « du fait de la baisse continue de l’activité des guichets, le nombre de bureaux concernés s’accroît de 11,3% en moyenne chaque année depuis 2010 ». Entre 2013 et 2014,  la Cour a même relevé une augmentation de plus de 26% de ces situations. Mais ce qui caractérise le réseau postal urbain, est sa très faible part de partenariats. En 2014, seulement 10,4% des points de contact existaient sous la forme de partenariats. En conséquence, La Poste supporte à elle seule des « coûts opérationnels devenus inutiles en raison de la baisse durable et continue de l’activité des guichets ».

La situation est meilleure en zone rurale où près de 66% des points de contact sont sous la forme de partenariats (agences postales communales, intercommunales, relais-poste commerçants). Et même si le rythme de création de ces partenariats a diminué entre 2010 et 2014, la Cour reconnait « une reprise en 2015, où 185 nouveaux points de contact en partenariat en zone rurale ont été créés durant les neuf premiers mois ». Ces transformations permettent notamment au réseau La Poste de maintenir ses points de contact et un maillage fin du territoire rural. Ainsi, « entre 2010 et 2014, le nombre total de points de contact en zone rurale n’a pas varié ».

Mais comme en zone urbaine, La Poste est confrontée à l’existence de bureaux à très faible activité et ce phénomène tend même à s’aggraver. Le nombre de bureaux ayant moins d’une heure d’activité par jour est ainsi passé «  de 705 en 2012 à 796 en 2013 et 992 en 2014 ». Les mêmes causes donnant les mêmes résultats, la Cour nous interpelle sur « des coûts fixes sans commune mesure avec l’activité ».

Cette organisation territoriale, « marquée par le poids du passé » et qui n’a que « très peu évolué » est devenue obsolète. Il est pourtant urgent de réagir, surtout compte tenu des « coûts élevés de l’immobilier en zone urbaine ». Les dépenses immobilières sont d’ailleurs le deuxième poste de dépenses du réseau, en hausse de 9,7% à 13,2% entre 2008 et 2014.

Le maintien d’une densité postale importante ne peut passer que par la contraction du réseau propre de La Poste et une externalisation massive des points de contact au secteur privé sous la forme de délégation de service public (DSP). Le Royaume-Uni par exemple, maintient un nombre de points de contact proche du nôtre, mais avec un réseau externalisé à 97%. Il n’est donc pas étonnant que la France, avec ses 17.075 points de contact propres, soit le 1er pays européen en nombre de personnes occupées dans le secteur postal intérieur dans l’emploi total avec 0,9% en 2009[5], loin devant l’Allemagne (0,4%) et le Royaume-Uni (0,6%). À titre de comparaison, le groupe La Poste emploie près de 258.000 personnes, contre 160.000 pour le Royal Mail[6] du Royaume-Uni, le tout pour un résultat net équivalent. Nos voisins britanniques font donc aussi bien que nous, mais avec 1,6 fois moins de personnels et surtout 29 fois moins de points de contact propres.

Pays

France

Allemagne

Royaume-Uni

Nombre moyen d’habitants desservis par bureau de poste[7]

3.800

6.300

5.200

Un simple alignement du nombre moyen d’habitants desservis par bureau de poste sur celui de l’Allemagne amènerait à supprimer près de 7.000 points de contact. L’Allemagne n’est pourtant pas en situation de sous-densité postale puisqu’elle s’impose comme critère d’accessibilité nationale que 100% de sa population soit à moins de 2km d’un point de contact en zone urbaine et qu’il y est au moins un point de contact par zone de 2.000 habitants ou par zone de 80m² en zone rurale. Un alignement sur le Royaume-Uni permettrait de supprimer 4.500 points de contact et, là encore, nos voisins ne souffrent pas de sous-densité puisque 95% de la population rurale est à moins de 10 km d’un point de contact et 95% de la population urbaine est à moins 5 km d’un point.

… qui ne répond pas aux besoins des client-usagers

L’organisation territoriale du réseau La Poste est obsolète, mais surtout, elle ne répond plus aux besoins des usagers. La dématérialisation permet à chacun de gérer à distance, via un ordinateur ou un Smartphone, de réaliser un grand nombre de tâche : souscrire à une offre de téléphonie mobile, résilier ce contrat, effectuer un virement bancaire, consulter ses comptes, envoyer une lettre recommandée, etc. Dès lors, l’activité des points de contacts doit s’adapter aux modes de consommation.

Mais elle doit également s’adapter aux temps de consommation, surtout en zone urbaine. C’est bien ce que préconise la Cour : « dans les zones urbaines où les horaires d’ouverture des bureaux, notamment à l’heure du déjeuner, le soir et le samedi, ainsi que le nombre de guichetiers présents méritent une attention égale à celle portée à la densité des points de contact sur le territoire concerné ». Puisque les tâches anodines et rapides sont désormais principalement réalisées sur internet, les usagers qui se déplacent dans les bureaux de postes le font pour réaliser des opérations qui prennent du temps. Il est donc nécessaire d’adapter les horaires des points de contacts, en ouvrant systématiquement les bureaux aux horaires du déjeuner par exemple, mais aussi en soirée, lorsque les gens quittent leur travail. Le réseau La Poste doit s’adapter aux rythmes professionnels modernes.

Adapter le réseau La Poste, les recommandations de la Fondation iFRAP :

  • supprimer l’obligation de maintien d’un nombre minimum de 17.000 points de contact

Cette obligation législative de maintenir un réseau disproportionné par rapport aux besoins est la principale source du problème de charges du réseau La Poste, car elle va de paire avec le maintien d’un nombre également très élevé de personnels.

  • fixer un objectif minimum d’externalisation du réseau en délégation de service public (DSP)  équivalent à 50% du réseau, soit près de 7.500 points de contact

Le nombre élevé de points de contact n’est un problème que s’il n’est supporté que par La Poste. Si l’on veut conserver un nombre élevé de points de contact, notamment en zone rural, il faut accélérer l’externalisation du réseau au secteur privé, sous la forme de délégation de service public. Les bureaux de tabac et de presse notamment, pourraient tout à fait exercer la mission de bureau de poste, ce qui leur garantirait, de plus, une activité  maintenue voir renforcée.

La priorité doit être donnée à l'externalisation des près de 2.000 bureaux de poste avec une activité quotidienne inférieure à 3 heures. A terme, il faudra rendre obligatoire l'externalisation de la totalité des bureaux de postes ayant une activité quotidienne inférieure à une demi-journée de travail.

  • différencier les objectifs de maintien du service public postal entre les zones rurales et urbaines

Les zones rurales et urbaines n’obéissent pas aux mêmes logiques. Dans le premier cas, il s’agit principalement de maintenir la présence d’un service public local, alors que dans l’autre, il s’agit surtout d’adapter les amplitudes horaires aux rythmes professionnels.

  • élargir les contrats de présence territoriale à l’ensemble du territoire et décentraliser leurs signatures

Adapter le réseau La Poste aux réalités et aux besoins territoriaux nécessite de partir du terrain et donc de décentraliser les contrats de présence territoriale. Aujourd’hui, ils sont signés entre l’État, La Poste et l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (AMF). La Fondation iFRAP propose de décentraliser ces contrats à l’échelon local et de les conclure directement entre La Poste, l’État et l’intercommunalité concernée.

Nous proposons également, en accord avec la Cour des comptes, d’intégrer les zones urbaines dans ces contrats pour respecter les différentes logiques présentées plus haut. Comme l’écrit la Cour, il s’agit en priorité pour les zones urbaines de transformer les bureaux de poste à faible, voir très faible, activité en points de contact externalisés.

  • poursuivre et accélérer la mutualisation des moyens entre les services publics au travers des maisons de l’État et des maisons des services au public

Dans les zones urbaines, notamment les zones sensibles où la présence des services publics est primordiale, ainsi que dans les zones périurbaines et rurales où il existe de réels pénuries de services publics, la Fondation iFRAP propose de mutualiser les moyens, notamment les locaux, entre le réseau La Poste et les maisons de l’État et les maisons des services au publics. Aujourd’hui, l’État et La Poste ont conclu un partenariat visant à ce que le réseau La Poste accueille « une maison de services au public dans 500 bureaux de poste à faible activité situés en zones rurale ». Pour la Fondation iFRAP, il faut aller beaucoup plus loin, en ne se limitant pas aux seules zones rurales. Le réseau La Poste peut accueillir beaucoup plus de ses maisons de l’État et maisons des services au public et ainsi mutualiser une large partie des charges, notamment immobilières. Si 50% des bureaux de postes sont externalisés, le réseau La Poste pourrait mutualiser les 4.787 bureaux de postes restants pour alléger ses charges opérationnelles. L'opération serait également bénéfique pour l'Etat et le contribuable, qui verraient la facture de l'emprise immobilière de l'Etat diminuer grâce à la mutualisation des moyens avec La Poste.


[1] Voir à ce sujet : EDF : victime de son actionnaire, l’État de Philippe François sur www.ifrap.org

[2] Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

[3] Pour la France, données 2016 référé de la Cour, pour les autres pays, données 2010 Eurostat (http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Statistiques_sur_les_services_postaux_des_prestataires_du_service_universel ) et rapport sénatorial http://www.senat.fr/rap/r02-344/r02-344.html

[4] http://www.journaldunet.com/economie/magazine/cice-des-grandes-entreprises-francaises.shtml

[5] Source données : statistiques Eurostat http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Statistiques_sur_les_services_postaux_des_prestataires_du_service_universel

[6] http://www.royalmailgroup.com/

[7] Ibid.