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Système de Gand, chèque syndical… quelle réforme pour le syndicalisme français ?

La démocratie sociale en France est en passe d’être réformée. De nombreuses mesures ont été élaborées telles que le nouveau fonds de financement du paritarisme, effectif depuis le 1er juillet 2015, les mesures concernant la représentativité syndicale en 2008,  le nouveau calcul de la représentativité patronale dans une loi de 2014 et encore débattu aujourd’hui. Malgré tous ces efforts, les négociations sans fin, les affrontements entre partenaires sociaux et le manque de transparence dans le financement, ont rendu notre syndicalisme « malade ».

Pour rappel, la démocratie sociale en France est singulière. D'abord le taux de syndicalisation est le plus faible des pays de l’OCDE (8% en 2010), alors que le taux de couverture conventionnelle est parmi les plus élevés (98% en 2011), et 40% des salariés déclaraient en 2005 qu’un syndicat était présent sur leur lieu de travail, plus de la moitié dans leur entreprise ou leur administration. Si l’implantation syndicale est comparable dans le secteur public et dans les grands établissements du secteur privé, les syndicats sont peu présents dans les petits établissements privés. De plus, le secteur public a davantage tendance à se syndiquer. Ce déséquilibre conduit les syndicats à favoriser la défense des intérêts des salariés du secteur public au lieu de défendre les intérêts de tous les salariés qu’ils représentent.[1]

  • Ainsi le syndicalisme français joue-il véritablement son rôle de défenseur des intérêts des salariés en répondant à leurs aspirations ?
  • Quel est l’intérêt pour un agent de se syndiquer puisqu’il sera de toute façon couvert par les mesures sociales issues des négociations collectives ?

Enfin, avec la mise en place du nouveau fonds de financement du paritarisme, alimenté par une nouvelle contribution obligatoire pour les entreprises (0,016% de la masse salariale), les partenaires sociaux se financent désormais indépendamment du nombre de leurs adhérents. S’ajoute à cela l’État qui participe aux discussions entre organismes paritaires déficitaires et impose ses vues. Une rénovation de la démocratie sociale en France doit être entamée notamment en s’inspirant du système syndical nordique, plus actif et efficace.

Le « système de Gand », ou un syndicalisme de service, des pays nordiques

Contrairement au faible pourcentage français, les pays nordiques affichent un taux de syndicalisation de 70% des salariés. La différence réside dans un modèle de démocratie sociale propre à chaque pays. Au Danemark, en Finlande et en Suède, en Islande et en Belgique, le taux de syndicalisation est plus élevé car assis sur le « système de Gand ». Le modèle de Gand est un système de relations professionnelles où l’appartenance à un syndicat conditionne l’accès à certains droits sociaux tels que l’assurance chômage ou l’assurance maladie. Il s’agit d’un syndicalisme de service permettant aux syndicats de mettre en place une stratégie de recrutement et de fidélisation de leurs adhérents.[2] Les syndicats offrent une grande variété de services à leurs affiliés : des services d’information et de conseil sur le droit du travail, des services d’assistance juridique gratuite, des services financiers, des aides sociales complémentaires ou encore des services de loisirs. De plus, le financement des syndicats repose principalement sur les cotisations des adhérents, d’où le « retour sur investissement » attendu par ceux-ci. Les syndicats, par leur solide assise financière, sont autonomes et peuvent défendre efficacement les intérêts de leurs adhérents. Ce système permet également de rendre l’activité syndicale beaucoup plus légitime et se rapproche d’une véritable démocratie sociale.

Le syndicalisme Suédois

En Suède, il n’y a que trois Confédérations syndicales principales : la Confédération syndicale de Suède (LO) qui fédère les travailleurs manuels, celle des employés professionnels (TCO) et la confédération des associations professionnelles (Saco) pour les travailleurs diplômés.

Le syndicalisme suédois repose initialement sur le modèle Rehn-Meidner (1951), du nom des économistes qui ont développé une vision d’ensemble de la politique économique, en accordant un rôle primordial à l’intervention syndicale au sein de l’organisation du marché du travail, agissant en relation avec l’État. Le gouvernement doit, de son côté, être en mesure d’assumer la gestion des finances publiques et d’entreprendre une politique du marché du travail efficace et adaptée à chaque région tout en limitant l’inflation. Les syndicats doivent, quant à eux, mener une « politique salariale solidaire » en fixant des salaires dans le cadre de négociations collectives. Le modèle est celui de la flexisécurité, les partenaires sociaux ne s’encombrant pas d’un cadre juridique trop contraignant. Il existe un partenariat solide entre les acteurs sociaux, un système de relations professionnelles consensuelles, et une négociation collective centralisée.

Cependant, au fil du temps, avec l’arrivée de la mondialisation, le syndicalisme de service a dû se réformer et a opté pour une décentralisation des négociations, plus proche des entreprises. L’État laisse également plus d’autonomie aux régions.

74% des salariés sont syndiqués en Suède. Le modèle semble plus efficace que le nôtre mais connait également des difficultés. Les cotisations sont élevées et selon le patron du syndicat TCO Sture Nord, la jeune génération « ne sait plus exactement à quoi servent les syndicats. ». La question centrale de la nécessité d’un syndicalisme au XXIème siècle se pose…

Source : Cairn et Perspective.

Dans toute l’Europe, se pose la question de la modernisation du syndicalisme

En Belgique, le taux de syndicalisation s’élève à 52% (stable depuis 10 ans). Par l’affiliation à un syndicat gestionnaire d’une caisse d’assurance chômage,  le chômeur belge effectue sa demande d’allocation et reçoit ses indemnités. Presque 90% des chômeurs sont affiliés. Dans ce pays, les syndicats participent à de nombreuses commissions ou organismes de gestion.

Certaines disparités existent néanmoins entre les différents pays pratiquant un syndicalisme de service.  Les organisations syndicales adoptent de plus en plus, à travers l’Europe « des variantes de l’approche axée sur les services aux affiliés ou de l’approche organisationnelle en vue d’améliorer le recrutement ».[3] Deux grands modèles existent et se complètent :

  • Un syndicalisme d’organisation : il s’agit de syndiquer de nouveaux travailleurs à travers de fortes campagnes (ciblées et professionnalisées) en mettant en place une forme syndicale adaptée aux nouvelles relations de travail. Le choix de l’organisation peut varier entre un syndicalisme de représentation institué par l’État, un syndicalisme de proximité et un mouvement social ;
  • Un syndicalisme « serviciel » : les syndicats proposent de nouveaux services financiers ou individuels.

Les syndicats de différents pays européens choisissent l’un ou l’autre modèle, ou bien conjuguent les deux. En Italie par exemple, les organisations syndicales mêlent les deux. Leur principal sujet étant les travailleurs immigrants, ils proposent des formes d’encadrement de la vie sociale et professionnelle qui attirent de nouveaux adhérents. Le syndicat allemand IG Metall a fait le choix d’un syndicalisme organisationnel en créant des « cercles locaux de travailleurs » consacrés aux travailleurs atypiques et temporaires. Aux Pays-bas, des syndicats « Low cost » fondés sur internet, offrent des services en ligne, du conseil notamment.

La France pourrait s’inspirer du système de Gand pour rénover sa démocratie sociale et développer une « approche servicielle »[4]. La culture du syndicalisme à bases multiples, très proches du mutualisme, a déjà fait une brève apparition en 1895, à la création de la CGT ou un peu plus tard au syndicat national des instituteurs. Cependant, le contexte est différent de celui des pays nordiques. En France, la protection sociale, gérée principalement par les partenaires sociaux, est inspirée à la fois du modèle bismarckien (logique assurantielle) et du modèle beveridgien (logique assistancielle). Néanmoins, le système dit « beverigien » a une place importante dans notre pays et repose sur l’universalité de la protection sociale par la couverture de toute la population et l’uniformité des prestations fondées sur les besoins des individus. Instaurer un syndicalisme de service comme en Suède par exemple impliquerait une remise en cause profonde de l’organisation paritaire de l’assurance chômage et de la Sécurité sociale. Notre histoire sociale, fondée sur une adhésion militante et un modèle hexagonal[5], entrave la mise en place d’un certain nombre de prestations sociales conditionnées à l’adhésion. Cela semble dans la pratique et constitutionnellement impossible. Remémorons-nous l’article 8 du préambule de la Constitution de 1946 (faisant partie du bloc constitutionnel) qui dispose que « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. ».  Le dialogue entre partenaires sociaux est également difficile. La mésentente chronique entre organisations patronales et syndicales ne favorise pas un espace de négociations apaisé et efficace.

Pour se moderniser et évoluer, les organisations syndicales pourraient se diriger vers une mutualisation de leurs moyens pour apporter des services de proximité. Il s’agit d’adapter la forme du syndicalisme à la configuration de notre paysage juridique et social.

Une note du centre d’analyse stratégique a proposé, en 2010, une réflexion sur l’élaboration d’un « syndicalisme à base multiple » afin de s’affranchir de la référence au modèle nordique et de créer un système adapté à la configuration sociale de notre pays.

  • Proposition n°1 : Ne pas se limiter, si les organisations syndicales investissent de nouveaux domaines d'action, au seul champ professionnel (en proposant des services répondant aux préoccupations concrètes des salariés, comparables à ceux rendus par les comités d’entreprise par exemple). Trois axes ont été développés : la défense juridique des salariés, la prise en charge d’associations de consommateurs, la mise en place d’un maillage territorial de proximité.
  • Proposition n°2 : Mutualiser les moyens des organisations syndicales pour rendre directement certains services spécifiques.
  • Proposition n°3 : S’appuyer sur la participation à la gestion d’organismes paritaires ou tripartites pour s’impliquer davantage dans l’élaboration des dispositifs collectifs d’accompagnement des parcours professionnels. Le maintien d’une approche collective (gestion paritaire et services rendus sans conditionnement à une adhésion syndical) complète l’approche plus « individualisée ».

Le chèque syndical : pour une meilleure légitimité et représentativité

Le chèque syndical, dont la Fondation iFRAP propose l’instauration depuis plusieurs années, constituerait un moyen d’améliorer la représentation syndicale.

La société Axa fut le précurseur du « chèque syndical », il y a plus de vingt ans. L’entreprise distribue l’équivalent d’un million d’euros par an par l’intermédiaire d’un chèque remis à chaque salariés qui ne peut pas l’endosser pour son propre compte mais peut décider de le remettre ou non à l’organisation syndicale de son choix. D’après la lettre du Trésor consacrée à la question, dans les faits, un salarié sur deux décide chaque année de soutenir une organisation syndicale et ce financement fournit plus de la moitié du budget des sections. Ce dispositif contribue à améliorer la qualité du dialogue social, à renforcer l’implication des salariés dans le fonctionnement des instances syndicales et le rôle de l’action syndicale.

La Fondation iFRAP propose de transformer l’avantage fiscal issu des cotisations syndicales en un chèque syndical. Le montant du chèque pourrait être fixé à un plancher par la loi et augmenté par accord d’entreprise, ce qui permettrait de garantir un financement raisonnable aux syndicats dans les entreprises tout en renforçant leur implication auprès des salariés. Un mécanisme identique peut être mis en place pour la négociation de branche, comme cela a déjà été fait dans l’assurance.[6]

Cependant, le fonctionnement efficace de ce système implique la présence d’une véritable volonté des syndicats de représenter et de défendre les intérêts des syndiqués en proposant diverses activités syndicales. Or, le chèque syndical apporte un financement alternatif mais ne crée par forcément de lien d’adhésion entre le salarié et le syndicat. Les sections syndicales risquent même de glisser vers une forme de clientélisme néfaste à la démocratie sociale. D’où la mise en place en Belgique, par exemple, d’une prime syndicale annuelle afin de récompenser les affiliés pour leur action et de compenser leur contribution financière. Les entreprises paient une cotisation à une caisse sociale sectorielle, qui la reverse aux syndicats en fonction des affiliations déclarées. Le syndicat rembourse à son tour directement l’affilié, ce qui renforce le lien d’adhésion. Ce modèle, évoqué par la lettre du Trésor[7], pourrait être mis en place en France à travers le crédit d’impôt. 

Conclusion

Devons-nous instaurer un « système de Gand » à la française ? La question est ouverte. La définition du « syndicalisme de service » est très large et porte à interprétation. D’autant plus que le syndicalisme de service connaît certaines limites.[8] Certes, les syndicats des pays du nord de l’Europe sont indépendants par rapport aux gouvernants. Néanmoins, ils sont tributaires des volontés politiques de réformes (dans l’assurance chômage par exemple). La menace d’une  reprise en main par l’État d’un service distribué par les organisations plane en permanence. Cela oblige les partenaires sociaux à la modération mais également à un dialogue social de qualité.

Ce syndicalisme de service ne doit pas non plus constituer une « agence sociale », ne devant son succès qu’à la capacité de distribuer un service indispensable dans une banche. C’est par la diversification et la mise à disposition de services liés à l’action revendicative que le syndicalisme aura un vrai rôle à jouer[9]. Il doit finalement se situer à la frontière entre le syndicalisme d’organisation (plus militant) et le syndicalisme serviciel et mettre en place des services personnalisés et de proximité. Enfin, le point essentiel en France est de remettre les aspirations des salariés au cœur du système de représentation syndicale.  


[1] Études Dares « Le paradoxe du syndicalisme français »

[2] « La syndicalisation en France : paradoxes, enjeux et perspectives » Lettre du Trésor n°129 

[3] Centre d’analyse stratégique « Le syndicalisme de services : une piste pour un renouveau des relations sociales » 

[4] « Reconstruire le dialogue sociale » Institut Montaigne 

[5] Le modèle hexagonale favorise un syndicalisme militant, voire idéologique, qui s’éloignerait de ses adhérents

[6] « Trois pistes pour réformer le syndicalisme français » Eric Verhaeghe

http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/trois-pistes-pour-reformer-le-syndicalisme-francais

[7] « La syndicalisation en France : paradoxes, enjeux et perspectives » Lettre du Trésor n°129 

[8] Centre d’analyse stratégique « Le syndicalisme de services : une piste pour un renouveau des relations sociales » 

[9] Par exemple, en Belgique, dès lors que le motif de grève et reconnu par les centrales syndicales, elles versent une indemnité de grève.