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Soins dentaires : un cas d’école pour la réforme du système de santé

« Transformer notre système de santé » est l’objectif très ambitieux fixé par Agnès Buzyn, ministre de la Santé, aux experts des cinq chantiers lancés en mars 2018 et qui doivent être conclus avant l‘été.

Sur les 211 milliards d’euros de dépenses courantes de santé prises en charge en 2016 par la Sécurité sociale et l'État, les soins dentaires n’en représentent que 1,8% mais constituent un cas d’école des problèmes que ces chantiers devront traiter. Ces soins étant réalisés presque uniquement dans le secteur libéral ou mutualiste de ville, la question complexe des relations ville-hôpital ne se pose pas et son fonctionnement devrait donc être assez simple. Mais les difficultés rencontrées depuis deux ans pour renouveler la convention entre l’État, la CNAM et les dentistes montrent que ce secteur n’échappe pas au problème de fond de notre système de santé : comment concilier l’accès aux soins, leur coût et la rémunération des praticiens, sans disposer de mesure de la qualité.

La méthode du tarif unique appliquée par l’Assurance-maladie et l’État, conduit à un nivellement par le bas. Une méthode déjà choquante et inefficace pour les emplois peu qualifiés, mais inacceptable pour les professions à haut niveau de compétence et de responsabilité du secteur de la santé. Et qui risque de s'aggraver avec la mise en place du "zéro reste à charge".

Situation sanitaire

Dans le domaine dentaire, des indicateurs simples et relativement objectifs permettent d’évaluer la situation sanitaire des Français : par exemple, le nombre de caries ou le nombre de personnes édentées, en fonction de l’âge. En 2006[1], les enfants français de douze ans avaient en moyenne 1,25 dent abimée ou manquante. Un progrès considérable puisqu’en 1987 la moyenne était de 4 dents abimées. Mais avec deux fois plus de dents abimées que les jeunes Allemands, Anglais, Suédois ou Hollandais, la France se place au onzième rang des pays européens. Et avec une personne sur six édentée à 65 ans, la France est trois fois moins performante que la Suède, un tiers moins efficace que l’Allemagne, mais deux fois meilleure que les Pays-Bas, confirmant qu’il faut du temps pour que les efforts de prévention appliquée aux enfants entrainent une amélioration pour les générations âgées. Mis à part ces indicateurs partiels et anciens, la situation sanitaire dentaire est mal connue en France faute d’études épidémiologiques régulières comme l’indiquaient le rapport de la Haute autorité de santé (HAS) de 2010 et encore le  rapport de la Cour des comptes en 2016.

Dépenses de santé dentaire

D’après l’OCDE, repris dans le rapport de la DREES, Les dépenses de santé en 2016, la France consacre beaucoup moins d’argent aux soins dentaires que les autres pays comparables, tout en disposant d’un nombre de dentistes proche de la moyenne européenne. Comme leurs confrères médecins généralistes ou spécialistes, les dentistes français disposent de beaucoup moins (deux à quatre fois moins) d’assistants médicaux (ex. hygiénistes) et administratifs qu’à l’étranger.

Dépenses consacrées aux soins dentaires en parité de pouvoir d’achat et nombre de dentistes pour 100.000 habitants

 

Royaume-Uni

France

Pays-Bas

UE-15

États-Unis

Allemagne

Suisse

€/pers./an

120

130

145

230

330

370

380

Nb dentistes

55

65

60

70

60

85

50

 En pourcentage du PIB consacré aux soins dentaires, les écarts sont aussi forts allant par exemple de 0,5% pour la France à 0,85% pour l'Allemagne.    

Prise en charge des dépenses

En France, le mode de prise en charge des dépenses de soins dentaires est très différent de celui des autres soins. L’assurance-maladie obligatoire (CNAM) d’habitude très majoritaire (77%) les prend moins en compte, les complémentaires ont un rôle important, et le reste à charge pour les assurés est deux fois plus élevé que pour la moyenne des soins.

Prise en charge des soins en % et euros

Sécurité sociale

CNAM

Assurances complémentaires

Reste à charge

Total des soins

77 %

13 %

10 %

Dont soins dentaires

37 %

39 %

24 %

 

Source : Les comptes de la Sécurité sociale, juin 2016 (page 112)

Cette situation atypique s’est peu à peu installée, les 600 soins répertoriés et pris en charge par la CNAM dans sa classification commune des actes médicaux (CCAM) restent focalisés sur les traitements classiques, laissant la charge des plus novateurs aux complémentaires santé et aux patients. Il est par ailleurs admis que les dentistes perdent de l’argent sur les actes de prévention et de soins classiques[2], et se rattrapent sur les prothèses. Une grille de faux prix qui peut encourager des comportements malsains, mais une méthode qui n’est pas unique en Europe.

En Allemagne, pour les personnes affiliées aux assurances publiques, les dentistes doivent strictement appliquer des tarifs opposables, mais ils disposent d’une grande liberté pour les 13% affiliées obligatoirement aux assurances privées. Au total, les ressources des cabinets dentaires allemands ne proviennent que pour moitié des prises en charge des assureurs publics, l'autre moitié est financée par les assureurs privés et par les patients.

Tout se passe en France comme si les responsables politiques voulaient que tous les citoyens disposent des mêmes soins essentiels aux mêmes prix, mais étaient conscients de la nécessité de laisser un espace de liberté tarifaire, et de liberté médico-technologique aux professionnels et aux patients. De son côté, la Suède a décidé de façon pragmatique que les tarifs officiels ne sont pas opposables, et donc de laisser une certaine latitude tarifaire aux dentistes.

Règles de prise en charge par la CNAM

Classes de soins

Niveaux de prise en charge

Possibilités de dépassements

Consultations, soins préventifs et conservateurs

Tarifs CNAM pris en charge à 70%

Dépassements de tarifs interdits

Soins prothétiques, et orthodontiques commencés avant 16 ans

Tarifs CNAM pris en charge à 70%

Dépassements de tarifs autorisés

Soins parodontologie et implantologie

Pas de prise en charge par la CNAM

Tarifs libres

 

En France, le désintérêt de l’assurance maladie obligatoire pour le dentaire n’a pas empêché le développement de soins de pointe : appareils orthodontiques pour les enfants, prothèses et implants pour les adultes, mais avec de forts effets de ségrégation sociale et de renoncement aux soins. Faute de prise en charge par la CNAM des soins les plus coûteux, le coût total des soins dentaires et  le reste à charge pour les patients ne sont pas précisément connus.

« Zéro reste à charge »

L’engagement d’Emmanuel Macron « zéro reste à charge » pour les soins dentaires est séduisant. Mais comme dans toutes les politiques publiques de « gratuité », le risque est un niveau médiocre des prestations fournies. Les ménages sont alors face à un choix difficile : soit accepter la prestation gratuite de qualité moyenne, soit choisir une prestation de haute qualité mais très coûteuse[3]. Si elle aboutit, la nouvelle convention en cours de négociation entre les dentistes et la CNAM augmenterait les tarifs des soins courants pour lesquels aucun dépassement de tarif n’est possible, et réduirait l’espace de liberté tarifaire des dentistes pour les prothèses mieux prises en charge par les complémentaires. Au total, la situation serait peu modifiée et les problèmes de fond ne seraient pas traités : le tiers des actes (en valeur) conserveraient des tarifs libres, et les complémentaires santé augmenteraient inévitablement à terme leurs tarifs.    

Prévention d’abord

Pour le secteur dentaire au contraire, l’exemple des autres pays montre que la prévention est très efficace, sans doute parce ce qu’elle est simple à mettre en œuvre, et que la quasi-totalité de la population est touchée par ces problèmes dentaires. 

En France, tous les enfants sont invités, dès l'âge de 6 ans, puis tous les trois ans jusqu'à leurs 24 ans, à se rendre chez leur chirurgien-dentiste pour un rendez-vous de prévention. Cet examen ainsi que les soins qui en découlent sont gratuits. L'assurance-maladie propose aussi aux femmes enceintes de bénéficier d'un examen de prévention bucco-dentaire au cours de leur grossesse. Des mesures de prévention peu suivies (35%) notamment dans les milieux socio-économiques peu informés. 

Les pays étrangers ont montré qu’il faut agir massivement sur la prévention pour améliorer la santé buccale des Français et réduire à terme le nombre des prothèses complexes. Et aussi pour améliorer la santé globale des Français, le manque d’hygiène buccale ayant des conséquences sévères sur la santé. Une consultation annuelle ou même biannuelle auprès d’un dentiste est recommandée, qui peut être déléguée à un assistant hygiéniste. Pour motiver les assurés, des assureurs étrangers ont mis en place des systèmes de bonus, prévoyant une baisse du coût des soins pour les assurés qui consultent régulièrement. Il est admis aussi que les dentistes « convoquent » chaque année leurs patients comme c’est fait en France pour les contrôles techniques automobiles.

Pour progresser en France, il faudrait que les assureurs établissent un lien de confiance avec leurs assurés et avec les dentistes, et fassent preuve de créativité. Des progrès peu probables en France avec le partage aléatoire de la prise en charge des soins dentaires entre deux assureurs (CNAM et complémentaire), une garantie d’irresponsabilité. Dans son rapport de 2016, la Cour des comptes a bien détecté et dénoncé ce problème de fond. Mais sa proposition de cantonner officiellement la CNAM à la prévention et aux soins simples, et les complémentaires aux prothèses, n’est pas acceptable : un seul acteur doit être motivé par l’amélioration de la prévention pour éviter les soins complexes plus tard.

Conclusion

Les médecins libéraux (et plus généralement les professionnels libéraux de santé) sont en France les seules personnes compétentes et responsables payées fondamentalement toutes au même tarif par acte, en fonction du niveau de leur diplôme. Une méthode qui n’est appliquée à aucune autre profession de ce niveau (ingénieurs, avocats, architectes, consultants, vétérinaires…). Même dans le secteur public pourtant très adepte de l’égalité, ni les enseignants de l’éducation nationale ni les professionnels des hôpitaux ne sont tous rémunérés au même prix de l’heure tout au long de leur carrière.

Face aux évolutions nécessaires pour résoudre cette anomalie, certains dentistes expriment deux craintes : 1) être évalués, et 2) que certains assureurs et mutuelles exigent des baisses de prix incompatibles avec une qualité satisfaisante (c'est d'ailleurs ce qui se passe depuis des décennies avec les tarifs fixés par la Sécurité sociale).

Ces appréhensions sont compréhensibles mais doivent être dépassées. La première condition est de disposer de plusieurs  évaluateurs indépendants les uns des autres (Etat, assureurs, patients, pairs, associations…) et que les évaluations soient largement basées sur les données objectives contenues dans le fichier de la CNAM. Seule la concurrence entre plusieurs assureurs au premier euro pourra susciter la création de contrats mettant en avant la prévention et le niveau de qualité des soins. Plus encore que dans les autres domaines (ex. alimentation, vêtement, voiture, tourisme), il doit être possible de faire comprendre aux assurés que la qualité et le service ont un coût. 

Les dentistes n'obtiendront plus de reconnaissance et de liberté qu'en acceptant plus de responsabilité donc d'évaluation de leurs résultats. 

Des tarifs tirés au sort ?

Le rapport conjoint du ministère de la Santé (DREES) et de l’Assurance-maladie de février 2018. L’organisation des soins bucco-dentaires en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas, fournit en annexe une comparaison entre les tarifs officiels d’une cinquantaine de soins dentaires dans ces trois pays plus la France. L’objectif était d’évaluer comment les tarifs français se situent par rapport à ceux de ces pays. Le constat est que tous ces tarifs sont complètement incohérents. Ils sont pourtant supposés calculés méthodiquement, dans des grands pays techniquement et administrativement avancés, en prenant en compte le temps passé par les intervenants de différents niveaux de compétence, les locaux,  les équipements nécessaires et les produits utilisés.

En euro

Allemagne

France

Pays-Bas

Suède

Consultation

18

23

20

86

Détartrage

14

29

36  (15’)

79

Inlay core

32-49

122-144

52

151-320

Inlay-Onlay

32-49

19-41

95-148

450-592

Couronne 

120

108

233

592

Bridge de base

148-187

280

159

1269

Sources

  • Etat des lieux de la démographie des chirurgiens dentistes, Observatoire national de démographie des professions de santé, décembre 2013 ;
  • Stratégie de prévention de la carie dentaire, Haute autorité de santé, mars 2010 ;
  • Les dépenses de santé en 2016, DREES santé, édition 2017 ;
  • L’organisation des soins bucco-dentaires en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas, DREES, février 2018 ;
  • Health at a glance, OECD indicators, OECD, 2009 ;
  • Financing and delivering oral health care : what can we learn from other countries ? Journal of the Canadian dental association ;
  • Oral healthcare systems in the extended European union.  The national research and development centre for welfare and health (Finland), 2004 ; 
  • Santé bucco-dentaire des enfants : inégalités dès le plus jeune âge, DREES, juillet 2013 ;
  • Les soins bucco-dentaires : une action publique à restaurer, une prise en charge à refonder, Cour des comptes, septembre 2016.

[1] Rapport OCDE de 2009

[2] Cette pratique est habituelle dans les hypermarchés avec des prix d’appel sur des produits phares, mais est plus étonnante de la part d’un État dans le domaine de la santé.

[3] Exemples : cantines scolaires, universités vs. grandes écoles de commerce, préparation au concours de première année en médecine vs. Formations privées.

Réactions

Sujet : Dentaire
Commentaire : Après 45 ans d’exercice de la chirurgie dentaire,et étant retraité exerçant toujours mais comme hygiéniste au sein d’un cabinet privé ,je constate que le problème reste le même et que la solution proposée par le président ne fera qu'accroître les inégalités en matière de santé bucco-dentaire. Mais à qui profite le système ? Si on ne cherche pas du côté des apparatchiks du syndicat majoritaire , des complémentaires santé et des promoteurs de cabinets mutualistes dont un représentant a l’oreille du président , de certains représentants des prothésistes dentaires, qui tous cherchent la protection de leur préhenbe.
Membre d’ un conseil de l’Ordre départemental , vice président d’ un syndicat ,j’ai pu mesurer la force des freins du changement ,jusqu’à l’immobilisation totale. Les professions meurent par le départ de leurs éléments les plus motivés et comme dans la caverne célèbre, restent ceux qui ont peur des ombres .
Des solutions existent , il suffit de copier les expériences faites en Europe du Nord et ne pas toujours chercher la solution originale « à la française » .
Combien de brosses à dents, de brossettes inter-dentaires vendues en France ? Étonnant !
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Sujet : Hongrie
Commentaire : Je conseille fermement les cliniques dentaires de Budapest. Une couronne ou un implant 3X moins chère... Une couronne et un merveilleux séjour d'une semaine, 10 implants et une voiture neuve... Pour le même prix

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Sujet : prothèses dentaires
Commentaire : L'année dernière j'ai eu à faire à un véritable charlatan, soi-disant "chirurgien-dentiste". Je suis allée le voir pour faire un bridge amovible et seulement pour cela. Or, au bout de 7 mois, non seulement je n 'avais eu aucune proposition pour cet appareillage, mais au contraire, sans m'avertir au préalable, ce Monsieur un jour m'a fait asseoir et, d'autorité, m'a amputée d'un bridge existant sous le prétexte qu'il était déjà vieux. Son assurance que j'ai contactée, scandalisée, a trouvé qu'il avait agi normalement ! Un vrai scandale et personne pour le Patient !

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Sujet : Soins dentaires
Commentaire : Sur dix ans je constate que nous n 'avons èté remboursés que de 20/100 de nos frais par la mutuelle complémentaire et la CNAM.

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